[À l’émission Dessine-moi un dimanche, à Radio Canada, on nous a proposé, à Xavier Brouillette et à moi, de passer l’épreuve du bac de philo. J’ai joué le jeu, en me donnant une heure pour répondre à une question demandant si on peut agir moralement sans s’intéresser à la politique. Ce qui suit n’est qu’un exercice de style (avec les incontournables: thèse/antithèse et synthèse), à ne pas citer comme représentant nécessairement mon point de vue sur les questions abordées…]
Il pourra d’abord sembler plausible qu’il n’y ait de moralité possible que dans le désintérêt pour le politique.
C’est que là où la moralité est affaire de perfectionnement, d’accomplissement de soi, le politique est cette exigence de la rencontre avec autrui qui suppose diverses formes de compromissions, dont l’inévitable aboutissement est de se salir les mains et, on peut dès lors le craindre, de ne plus être moral.
De sorte que ce serait l’ascète se retirant du monde pour parvenir à la vertu qui détiendrait la solution, certes la plus radicale mais aussi la seule logiquement possible, au dilemme que pose, pour l’accomplissement moral, la présence d’autrui qui institue le politique.
À défaut de pouvoir satisfaire cette haute exigence en se retirant du monde, on mettra le politique entre parenthèses, comme une inévitable présence qu’on s’efforce d’oublier. Le christianisme («Rends à César ce qui est à César») et diverses sagesses anciennes, comme le stoïcisme et l’épicurisme, chacune à sa manière, ne disent pas fondamentalement autre chose.
Mais à l’examen plus attentif, cette thèse chère à ceux que Hegel appelait les belles âmes, à première vue plausible, semble bien fragile.
Outre qu’elle conduit à une inaction devant le malheur du monde dont qu’on a bien du mal à concevoir qu’on puisse la tenir pour une posture véritablement morale, le fait est que l’individu qu’on voulait séparer du collectif est toujours déjà en partie défini par lui, de sorte que cet isolement est radicalement impossible.
Nous sommes en effet, comme le savait fort bien Aristote, des animaux politiques et notre nature est toujours culturellement réalisée selon les modalités propre à cette culture singulière qui est la nôtre.
Chacun de nous est donc inséparable de ce collectif qui nous traverse de part en part. C’est ainsi que notre ascète de tout à l’heure doit à sa culture, comme l’a montré Marcel Mauss, jusqu’à ces techniques du corps que sont ses pratiques codifiées de la respiration.
L’illusion cognitive sur laquelle repose en définitive cette folle ambition d’agir moralement à l’écart radical et complet d’autrui et du politique, est à l’éthique ce que la prétention à produire seul est à l’économie : ce que Marx appelait des robinsonnades. L’accomplissement de soi passe donc par la rencontre avec autrui et la morale est impensable sans le politique.
Mais ici aussi, de graves menaces surgissent, qui sont l’envers de celles rencontrées tout à l’heure : elles proviennent cette fois non de la négation du collectif, mais de la possible négation de l’individu. Car le danger est alors de pousser si loin cette définition de l’individu par le collectif considéré comme premier et sur-déterminant, que la possibilité même de l’agir moral, qui présuppose la liberté individuelle, s’estompe jusqu’à disparaître.
Ce danger, qui est celui du totalitarisme, peut être aperçu chez tous ceux qui ont prôné ce que Karl Popper appelait une société fermée. Platon, dans La République, donne un terrifiant exemple de cette résorption de l’individu dans le collectif qui ne rend la vie morale concevable que dans la soumission des premiers aux intérêts toujours supérieurs du second.
Comment alors, en quels termes, penser cette réconciliation de la liberté et de l’autorité, de l’individu et de la communauté, qui rendrait possible celle de l’éthique et du politique?
La modernité croit y parvenir en se donnant comme cadre le libéralisme politique, par quoi naît et prend sens le concept de citoyen, qui est une possible clé de cette énigme.
Le citoyen est un gouvernant en puissance auquel ce statut conserve la liberté de conscience en même temps que l’obligation de se décentrer afin d’agir politiquement au nom du Bien commun et du point de vue de cet universel où éthique et politique, lucides et solidaires se réconcilient.
La moralité du politique tient à ce décentrement qui appelle chacun de nous à penser à soi-même comme à un autre et comme à tous les autres, la liberté de chacun, dès lors, s’accroissant avec celle des autres comme le souhaitait Bakounine.
Le poète, finalement et comme toujours, avait raison : Je est (aussi) un autre. L’individu, en somme, n’est pas seulement un individu et à travers le citoyen, lucide et engagé, luttant contre les pouvoirs illégitimes au nom d’idéaux qui le dépassent, ce qui doit être coïncide avec ce qui est dans un histoire ouverte, et dont personne ne connaît le dernier mot puisqu’elle reste à accomplir.
Bon tout ca m’apparait raisonnable en ce sens que semble exister l’un par l’autre, a partir d’une certaine vision de l’esprit, mais qu’en savons nous vraiment, que savons nous de l’émergence de l’esprit, Ce phénomène que l’on se transmet de pere en fils n’est-il pas, peut etre, qu’une sorte d’atavisme, certains diront de tropismes comme celui de changer de couleurs de certains annimaux, Tout a coup que l’esprit n’existe pas vraiment tel que nous l’attendons, mais est tout simplement une mécanique réflexe propre a notre espece et lié a l’environnement, Je sais, je sais, quel coup de matraque a ceux que l’on appelle les intellectuels, mais en fait qu’est- ce que le savoir si ce n’est une réponse individualisé
C’est lorsque l’on confonds pensée et réflexe que l’on donne des coups de « matraque » dans l’eau!!!
Intéressant embrouillamini que vous nous servez là, Monsieur Baillargeon. En prenant dès le départ vos distances, nappant du coup davantage encore ce qui n’est pas très commode à percevoir.
Mais cette approche à la question de la moralité versus le politique n’équivaut-elle pas, dans une grande mesure, à vouloir chercher midi à quatorze heures? Tous les chemins ne mènent pas nécessairement à Rome. Certains ne mènent parfois qu’à des culs-de-sac.
Pourquoi chercher à séparer ce qui est intrinsèquement inséparable? Espérant ainsi y voir plus clair? Comme si on pouvait mieux apprécier le portrait global d’un casse-tête en considérant isolément, ou par petits groupes, ses diverses pièces.
Tout est dans tout.
John Lennon l’a d’ailleurs magnifiquement exprimé dans son énigmatique chanson «I Am the Walrus» (Album Magical Mystery Tour – The Beatles – 1967).
Les toutes premières paroles de cette chanson sont d’ailleurs:
«I am he… as you are he… as you are me… and we are all together»
On n’en sort pas. Il est illusoire et futile de chercher à comprendre les choses en les prenant isolément. Sans pour autant prétendre qu’en les considérant en bloc on les comprendra mieux…
Je vous trouve un brin sévère, Claude. C’est sûr qu’il y a quelque chose de convenu et d’artificiel dans l’exercice auquel se livre Normand. Il nous en avertit lui-même. Par ailleurs, s’il est peut-être bien vrai en effet que tout est dans tout et que we are all together, chacun conçoit toujours d’abord cette co-appartenance au tout d’une manière qui… l’en sépare! L’exercice de la dissertation permet non seulement de mettre en scène ces différends mais encore – c’est le plus important – d’engager la réflexion en prenant réellement en compte le point de vue de l’autre. Conduit avec rigueur, elle est une excellente préparation au dialogue authentique, non?
Lennon l’a dit. Merci de le rappeler: «I am he… as you are he… as you are me… and we are all together»
(J’aime beaucoup Lennon…)
Lorsque j’ai lu le texte de Normand, j’ai immédiatement pensé à l’infâme propos de la Tatcher : «There is no such thing as society.»
Tous les propos de ce genre exaspèrent profondément le sociologue que je suis depuis presque 50 ans. La connerie, parfois, devient intolérable.
J’ai aussi pensé, de manière un peu banale, à la phrase de Sartre devenue un cliché : «l’enfer, c’est les autres».
Je me suis alors dit qu’en ce début de millénaire nous pouvons voir ou percevoir ce qu’est l’enfer.
À mes yeux l’enfer, c’est la clique du «fameux» 1%.
À mes yeux l’enfer, c’est ceux du 19% (chiffre approximatif) qui sont devenus les larbins de la clique du 1%. C’est la valetaille à laquelle les maîtres donnent de bons revenus et consentent une foultitude de privilèges s’ils marchent droit, tel que prescrit par les maîtres.
Ces poltrons sont là pour mettre en place un système propagandiste destiné à «endormir» les pauvres bougres.
Ces couillons sont là pour être des flagorneurs et des téteux qui chantent la gloire des grands «boss».
Dans l’univers de la fiction l’enfer, ce sont les personnages comme «Mister» Burns, grand philanthrope comme chacun le sait.
À mes yeux l’enfer, c’est Bernie Ecclestone et ses semblables.
À mes yeux l’enfer, ce sont de nombreux médias intellectuellement bornés et au «cerveau» bien formaté.
À mes yeux l’enfer, c’est tous les sales assoiffés de pognon qui, un jour, seront obligés de manger leur «oseille» puisqu’ils auront tout dévasté et tout sali.
À mes yeux l’enfer, c’est souvent la religion, toutes les religions.
À mes yeux l’enfer, c’est Monsanto.
***Et le «paradis», qu’en dire?***
Pour la majorité des humains, le paradis (dans un sens plus imaginaire que réel), ce serait la disparition des maîtres du monde et de leurs laquais.
Pour la majorité des humains, le paradis, c’est l’amour. Le paradis, ce sont aussi les grandes et durables amitiés.
Le paradis, c’est de faire bombance et ripaille avec les personnes aimées.
Pour beaucoup d’humains le paradis, c’est la musique, la peinture et toutes les réalisations artistiques.
Quand retrouverons-nous le «paradis» perdu? Je parle ici du «paradis» dans un sens qui n’est pas religieux.
Jean-Serge Baribeau
Je fus tour à tour ascète et politique.
La morale est sauve mais l’épreuve du feu aura fait sa part de ravages. J’ai quitté la politique active il y a trois ans. Je cherche depuis à conjuguer condescendance et élégance…
Je suis de gauche. Tous partis confondus, mes convictions et idéaux rejoignent moins de 10% de la population.
Comme vous le dites si bien, M. Baillargeon:
« La moralité du politique tient à ce décentrement qui appelle chacun de nous à penser à soi-même comme à un autre et comme à tous les autres, la liberté de chacun, dès lors, s’accroissant avec celle des autres comme le souhaitait Bakounine. »
Qui suis-je pour prétendre que moi j’ai raison ? Et qu’eux, c-à-d plus de 90% de mes concitoyens, ont tort ?
Bref, d’une part si on additionne les différentes pensées émises dans l’article de Normand avec celles émises par tous les commentateurs qui précèdent, d’autre part si chacun de nous est aussi l’un et l’autre de nous tous, ça explique certes pourquoi je suis si mêlé dans ma tête aussi souvent même lorsque mes idées, lorsque j’en ai, me paraissent pourtant claires. Serait-ce donc que ce sont les émotions qui précèdent les pensées dans cette trame des passions humaines qui habitent tant les personnes qui votent ou non aux élections que celles se portant candidat ? Qu’on réponde oui ou non, on en arrive à devoir se demander si les émotions sont morales ou immorales en soi quitte ( disons dans ce dernier cas au moins) à apprendre à les réfréner.
Re-bref, à la « question demandant si on peut agir moralement sans s’intéresser à la politique », je dirais oui parce que, à tout le moins, tout n’est pas politique dans le quotidien de l’humain même si ce dernier est un animal politique. Bingo ? (o:
Mr Baillargeon,
Lors de l’émission du week-end dernier à Radio-Canada, vous avez parlé d’un auteur
qui avancait qu’un pourcentage très élevé (80%+) de ce qui est véhiculé en éducation est de lapoutine.
Pouvez-vous SVP me rappeler le nom de l’auteur?
Merci,
Paul C.
Bonjour, L’auteur est Daniel T Willingham. Ce que je rapportais de lui, plus exactement, c,est que, à son avis, 95% de ce qui circule en éducation sous le couvert de neuroéducation «is nort worth your attention» (or your money). À mon avis, il n’est pas loin du compte…