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PKP, le vide et le pouvoir infini: un texte de Jeanne Crépeau

[Jeanne Crépeau, une ami Facebook, a rédigé ce texte après qu’à la suite d’échanges sur ce réseau, je l’ai encouragée de le faire. Il me fait plaisir de le diffuser ici.

Mme Crépeau n’est pas auteur, encore moins présente sur la place publique à ce titre. Je suis confiant que mes lectrices et lecteurs, sachant tout le travail et le courage que cette publication sur ce blogue demande à l’auteure, sauront commenter ce texte de manière respectueuse et constructive. Bonne lecture! ]

 

Il est 8h29, lundi matin, le 10 mars 2014. Marie-France Bazzo reçoit dans son émission à Radio-Canada celui qui vient de faire, la veille à midi, son entrée en politique; Pierre-Karl Péladeau. Elle demande: «La rumeur de votre candidature a été plusieurs fois démentie depuis plusieurs mois par vous et par Mme Marois et là, il y a six jours, vous auriez pris votre décision, pourquoi y allez-vous ?». Il me semble que c’est une bonne question à poser en ouverture à un milliardaire qui vient de faire le saut. La réponse commence par:

«Ben j’ai eu l’occasion d’expliquer à plusieurs reprises, donc, depuis hier…»

Oups. Déjà, là, j’ai envie de lui dire, comme à un ami: «Eille Man, il est 8h29, on est lundi matin, les gens reviennent à peine de la semaine de relâche scolaire. Je ne sais pas si la chef de ton parti a fait exprès de présenter ta déclaration un dimanche midi de fin de congé pour qu’il y ait le moins de journalistes possible, mais essaie de cacher que ça te fatigue de répéter, Man, on est lundi matin, ça fait même pas 24 heures que t’es candidat.» Parce qu’il est comme ça, Pierre-Karl, il appelle le tutoiement familier; il nous parle de «Julie», il donne du «Gabriel» à Nadeau-Dubois, qu’il prend à témoin dans le studio, il rappelle à l’animatrice leur fréquentation de la même association étudiante, bref, il se donne lui-même le rôle du bon gars de la famille, du sympathique cousin qui a réussi. Qu’il n’est pourtant pas. La question est donc le pourquoi de son engagement.

Je ne suis pas une analyste politique, je suis une citoyenne comme une autre appelée à voter le 7 avril, mais j’apprécie, par mon métier de scénariste et de cinéaste, l’importance des mots et ce qu’ils révèlent du personnage qui les dit.

«Ben j’ai eu l’occasion d’expliquer à plusieurs reprises, donc, depuis hier…»

…et pourtant, ça ne me semble pas clair. Il se dit souverainiste (soit, mais on le savait déjà) comme son père (là non plus, pas un scoop), puis rend hommage à ce bâtisseur qui a choisi les affaires à une époque où ce n’était pas bien vu et termine avec emphase :

« …je le fais aussi pour mes enfants parce que j’aimerais leur laisser autant cette entreprise familiale que mon père a bâtie que un pays»

Oui, d’accord. On apprend donc que PKP, malgré des mois de tergiversations n’a pas encore fait le choix de son destin: chef d’entreprise qui assurera un important patrimoine à ses enfants ou homme politique qui mènera son peuple à l’indépendance. Car oui, dans ce monde imparfait qui est le nôtre, on ne peut pas bien faire les deux, en même temps. Il faut choisir. C’est déchirant, on imagine bien. Mais il a de la chance, au fond, PKP ; dans certaines sociétés, on ne peut pas non plus détenir dans un seul portefeuille d’actions, 40% des sources d’information d’un territoire. Il parait qu’il existe même des pays civilisés où les lois interdisent la convergence. Pas ici. Donc magnat ou ministre, souverainiste, en gros? La question viendra plus tard. Pour l’instant, il n’est que 8h32 et PKP en est encore à la question «Pourquoi êtes-vous entré en politique?» et il semble tellement embrouillé que l’animatrice lui souffle quelque chose: «Donc vous pensez que vous aurez plus de pouvoir pour faire ce à quoi vous tenez en politique qu’en affaires où vous en avez quand même énormément?» Hypothèse raisonnable. PKP nous étonne encore et lance :

«La question de la souveraineté, ce n’est certainement pas en étant chef d’entreprise que je vais la réaliser!»

Et là, c’est moi qui ne comprends pas et je ne suis pas toute seule, en ce lundi matin, 10 mars, à me demander si j’ai raté un épisode. C’est bien une campagne électorale, en ce moment, et pas un référendum ? L’animatrice enchaîne, comme si elle comprenait à l’instant que si un grand patron se présente en politique, ce n’est pas pour moisir à l’Assemblée nationale en attendant les conditions gagnantes. Il doit savoir des choses qu’on ignore encore. «Quelle échéance voyez-vous pour un référendum sur la souveraineté du Québec?» Paf! PKP semble hésiter; soit il répond vraiment et prend le risque de se faire rabrouer, soit il ne répond pas et prouve qu’il vient de lancer n’importe quoi. Alors il patine et nous enfume sur le processus référendaire avec tellement de «Madame la Première Ministre» par ci et par là, qu’il en est obséquieux. Bazzo finit par lui envoyer «Je trouve que vous avez appris le langage politique très rapidement». On comprend qu’elle veut dire «la langue de bois» – personne ne pense que c’est un compliment – mais comme elle est charmante, il rigole d’une espèce de genre de gros rire, gêné. Et moi, je n’en reviens pas. Bazzo ne lâche pas le morceau: «Vous avez dû négocier quelque chose?»

«J’ai rien négocié avec Madame la Première Ministre… et elle l’a répété, elle aussi, parce que les questions lui ont été posées, évidemment hier, à maintes reprises et puis je suis convaincu que… elle dirait autant la vérité (rire) que je la dis».

Quoi? Qu’est-ce qu’il vient de dire là, le néo-ex-baron de presse? J’avance une hypothèse de décryptage: «Je suis convaincu qu’elle vous répéterait exactement ce qu’on a convenu ensemble de déclarer comme vérité». L’entrevue, déjà surréaliste pour moi, se poursuit. Bazzo demande maintenant à PKP comment il envisage de négocier au sein du gouvernement avec d’anciens «ennemis idéologiques» de son journal, l’aile gauche du parti. Bonne question. Mais PKP part:

«Juste une précision, je pense qu’il est important de dire que c’est pas MON journal, c’est le journal de … c’est une propriété… »

Ici, on pense qu’il va parler de la distance qu’il a installée entre sa personne et les décisions éditoriales (sic), mais non, c’est le retour du Commandeur:

«… c’est mon père qui l’a fondé en 1964 et c’est d’ailleurs l’origine de Québecor…»

Et là, le candidat patineur de tout à l’heure redevient empereur:

«… et c’est la raison pour laquelle nous en sommes très fiers et c’est la raison pour laquelle nous avons toujours travaillé à maintenir sa position de numéro un…».

Vingt-quatre mois de lock out des journalistes du Journal de Montréal, c’est «travailler à maintenir sa position de numéro un»? Là, je pense que le café n’était pas assez fort ce matin, je rêve. Je m’en ressers un autre. Mais PKP est déjà reparti:

«…c’est aussi la tribune de tout ce qui est possible d’avoir comme opinion alors peut-être certains médias sont eux, davantage orientés, le Journal de Montréal ne l’est pas. Il offre ses pages…»

Je m’étouffe dans mon café. Je me souviens des attaques répétées contre le financement public des arts par Nathalie Elgrably-Lévy (et sur Sun News) qui n’ont jamais eu de contrepartie. Bazzo coupe: «Ça penche quand même vers la droite?» Dans l’instant, le même qui voulait nous faire croire que son journal-qui-n’est-pas-le-sien était quasiment objectif, repart dans une toute autre justification.

«Effectivement, à quelque part, parce que c’est ça aussi, le rôle d’un dirigeant d’entreprise, c’est d’établir les principes, d’établir les stratégies et puis ensuite… on laisse à ses collaborateurs, ses collaboratrices le soin de les exécuter…»

Exécuter les stratégies du patron, c’est ça la définition de la «non-orientation» journalistique chez Québecor?

«…Et j’ai considéré que c’était important…»

Quoi? Qu’est-ce qui est important? Pencher à droite? Établir les stratégies? Laisser exécuter?

«…parce que les médias, la presse écrite sont indéniablement des vecteurs de la démocratie…» (ouf!) «…c’est le quatrième pilier, si on veut…»

Le «quatrième pilier»? De quoi il parle? de la Franc-maçonnerie? de l’épargne retraite? Il veut citer Tocqueville ?  Il veut dire le quatrième pouvoir?

« …et les médias doivent refléter justement cet arc-en-ciel qui existe…»

Pause. En ce lundi 10 mars, PKP semble incapable d’assumer sa couleur à lui, dans cet arc-en-ciel des positions idéologiques. Pourquoi ? Parce que c’est moins cool que de se présenter comme un écolo ? Plus tard dans la journée, à la même antenne, quand Michel C. Auger, lui demandera si son arrivée marque un virage à droite du PQ, il en sera presque vexé:

«… et puis je pense pas que on puisse nécessairement toujours tomber sous… des fois, malheureusement, un petit peu, tsé, le fléau, je dirais, de l’étiquette parce que quand on tombe dans ce genre de discours, je pense qu’on le minimise, on le réduit alors que nous devrions plutôt l’élargir…»

Eh ben! On peut quand même avancer sans trop de risque de procès, qu’un pdg préoccupé par l’agrément de ses actionnaires, davantage que par le bien-être de ses employés est plutôt à droite, non?  Bref, Marie-France Bazzo le ramène à sa question: comment négocier avec la gauche du PQ?

«J’ai des opinions, je suis capable de les défendre.»

Certes, mais la question est plutôt ici de savoir si vous êtes capable d’écouter quelqu’un qui n’a pas la même idée que vous (mettons de gauche) mais qui est assis à la même table que vous avec le même pouvoir (en principe)?

Et là, en mangeant ma toast, j’essaie de me souvenir d’une seule «opinion» que PKP aie défendue, depuis une dizaine d’années, qui ne soit pas directement liée aux intérêts financiers de son empire et je n’en trouve absolument aucune. Ma mémoire doit faire défaut. En revanche, je me souviens de l’«opinion» défavorable que PKP avait du Fond canadien de la télévision (FCT) et des moyens qu’il a pris pour la «défendre». Ça se passait en 2007. Le financement des projets choisis était confirmé, des centaines de réalisateurs, techniciens et collaborateurs se préparaient à tourner et tout a été gelé parce que Québecor, inspiré par Shaw, a décidé de ne pas verser les sommes dues au FCT par Vidéotron. Toutes les associations professionnelles ont unanimement condamné ce geste qui prenait en otage la production, rien n’y fit. Deux ans après, les conservateurs ont accordé à Québecor le privilège d’avoir son propre fond avec comme résultat une plus grande offre de divertissement et moins de documentaires d’auteur. Un pékin déciderait de ne pas verser un montant dû, il lui arriverait des misères; une amende, une saisie. Mais pas PKP. Déjà, il a ce pouvoir-là, mais il semble que ce ne soit pas encore assez.

 

Michel C. Auger demande à Péladeau si, dans l’hypothèse où il était ministre, il serait capable de s’auto-exclure du conseil au moment où seraient abordés des sujets où il pourrait être placé en situation de conflit d’intérêt. Auger prend un exemple : «La politique du prix unique du livre va affecter Archambault c’est évident, c’est une de vos propriétés, même si elle est en fiducie sans droit de regard, normalement, vous devriez vous exclure du conseil des ministres.»

«Oui et non, parce que (…) oui, nous (l’empire) sommes libraires mais aussi nous sommes éditeurs alors je pense avoir la capacité de débattre justement peut-être avec l’expertise appropriée puisque ayant eu une expérience personnelle autour de ces questions-là (…) je m’apparais éventuellement une personne ressource très intéressante pour participer au débat…»

Auger: «La loi est très claire; vous devriez vous auto-exclure du débat.»

«Oui, mais la décision… le conseil des ministres travaille dans la collégialité, c’est pas moi qui va diriger le conseil (…) si Madame la Première Ministre me fait le privilège de m’y nommer.»

Et là, on peut constater que, placé en situation – quoi que hypothétique – il a du mal à se retenir. En ce premier jour de sa campagne, PKP n’a pas encore eu le temps d’élaborer une «stratégie» en ce qui concerne le concept de «conflit d’intérêt». Pour l’instant, il a encore l’air du petit garçon qui aimerait tellement plonger sa main dans le sac de bonbons, si Madame la Première Ministre lui en donne le privilège. Et on imagine bien quelques libraires indépendants qui auraient aimé, aussi, avoir, mais n’auront jamais, la possibilité de faire valoir leur opinion sur le prix unique du livre, au conseil des ministres…

Il est autour de 8h40 quand Marie-France Bazzo lui demande s’il va revenir sur sa déclaration et décider de vendre ses actions de Québecor pour se consacrer à la politique.

«Non je ne changerai pas d’idées, pour toutes sortes de raison, d’abord…pour le respect que je dois à mon père, …»

Et on est reparti pour le troisième renvoi à la figure tutélaire…

«… cette entreprise qui est un fleuron du Québec, qui est par ailleurs (…) cotée en bourse qui compte de très nombreux actionnaires…»

Ah? Ce n’est plus la charmante entreprise familiale, ça devient une machine à prendre des décisions objectives?

«… dont notamment la Caisse de dépôt, y a des administrateurs et des administratrices qui sont chevronnés… »

Et là, à l’écouter faire l’éloge des personnes de son conseil d’administration, on croirait que la question était de savoir comment ils allaient pouvoir se débrouiller, eux, tous, sans lui, à Québecor, durant son séjour présumé à l’Assemblée nationale.

«… y a une gouvernance, y a justement donc, des questions qui sont liées aux conflits d’intérêt qui si elles doivent être posées, vont être répondues»

Fiou! Nous voilà rassurés. Grande Bine, qu’on a eu peur!

Sauf que la question ne concernait pas tant la gouvernance de Québecor sans PKP, que les très sérieux problèmes d’éthique qui se posent maintenant et que poseraient son éventuel retour aux affaires, après avoir été au gouvernement. Et là, peu importe son «opinion» sur la question, et la force de sa «défense», ce n’est pas à lui d’en décider, c’est au Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale du Québec, ce qu’il semble avoir négligé de prendre en considérations. Ce lundi 10 mars, sur les ondes de Radio-Canada, Pierre-Karl Péladeau tel qu’en lui-même, en sa conscience, sans le secours ni de ses avocats, ni de ses conseillers en communication, fait fi de l’autorité d’un des plus hauts fonctionnaires, garants de notre démocratie.

Ce candidat présomptueux, qui semble ne pas avoir réfléchi suffisamment aux questions délicates qui vont se poser à lui, qui ne nous offre, en ce premier jour de sa campagne, que sa sympathique familiarité et sa redoutable pugnacité mérite-t-il vraiment d’entrer au Parlement? La réponse appartient entièrement aux citoyens de Saint-Jérôme et nous ne pouvons que nous en remettre à leur vigilance et bon jugement.

Références des émissions de radio:

http://ici.radio-canada.ca/emissions/c_est_pas_trop_tot/2013-2014/archives.asp?date=2014-03-10

http://ici.radio-canada.ca/emissions/le_15_18/2013-2014/archives.asp?date=2014-03-10

Sur la crise du FCT :

http://www.ledevoir.com/societe/medias/129034/medias-les-grandes-manoeuvres-de-quebecor