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Sur la liberté d’expression

On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.
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Un texte général sur la liberté d’expression écrit pour une journaliste, en 750 mots. J’ignore comment ça a été utilisé.

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La liberté d’expression est un principe conquis de haute lutte en Occident, un principe pour lequel des gens se sont battus, pour lequel beaucoup ont souffert et pour lequel certains sont morts.

Je viens d’écrire au passé, mais, hélas, tout cela peut être dit au présent et pour aujourd’hui.

Par exemple, ce jour, vendredi, en Arabie saoudite, Raïf Badawi, qui a utilisé sa liberté d’expression, sera sans doute sorti de la prison où il croupit depuis juin 2012 pour recevoir 50 coups de fouets, comme il l’a été vendredi dernier et comme il le sera 20 vendredis de suite.

En France — faut-il le rappeler ? — 17 personnes sont mortes dans deux boucheries qui visaient des journalistes et des caricaturistes qui ont utilisé leur liberté d’expression.

Ce précieux principe est à la fois philosophique, politique et juridique et il donne lieu, dans les souvent imprévisibles détails dévoilés par la pratique, à des discussions, à des débats, à des distinguos, parfois savants.

Mais sur le fond, ce qu’affirme la liberté d’expression est ceci que nul ne peut être empêché d’exprimer une idée, une opinion ou subir de conséquences négatives pour l’avoir exprimée.

Crucialement, elle est un principe politique qui demande au citoyen de faire une sorte de gymnastique intellectuelle par laquelle il doit simultanément penser deux choses : d’un côté, telle idée est ignoble, horrible, indéfendable; de l’autre : rien, et surtout pas le fait que je la pense telle, ne doit s’opposer à son expression publique.

C’est cette idée que rend parfaitement le mot, diversement formulé, mais attribué à Voltaire : «Je suis en désaccord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire». Ou celui de Noam Chomksy : «Si vous n’êtes pas en faveur de la liberté d’expression pour les idées que vous détestez, vous n’êtes pas en faveur de la liberté d’expression du tout.»

Les arguments avancés en faveur de la liberté d’expression tournent essentiellement autour de l’idée que la société dans son ensemble et la vérité elle même se portent mieux si toutes les idées peuvent être avancées et débattues.

Très tôt, on s’est cependant demandé au nom de quoi on pouvait restreindre la liberté d’expression. Il est des cas (incitations à la haine, calomnie, négationnisme) où on pense pouvoir le faire et ils diffèrent selon les pays et les traditions.

Le philosophe le plus influent sur cette question, John Stuart Mill, a défendu ce qu’on appelle le principe de tort (harm principle) selon lequel on peut limiter la liberté d’expression si un tort sérieux et immédiat peut être causé à quelqu’un. On peut, dira Mill, soutenir que les producteurs de grain affament le peuple ; mais on ne peut le dire devant une foule en colère devant le domicile d’un producteur de grains en l’incitant ainsi à le lyncher.

Ce qui se joue aujourd’hui, avec l’affaire Charlie Hebdo, concerne les possibles limitations à la liberté d’expression pour des motifs religieux, plus précisément pour cause de blasphème.

Certains pensent en effet que la religion échappe, au moins en partie, à ce que protège le principe de la liberté d’expression : celui-ci ne pourrait donc être invoqué dans des cas comme ceux d’un film comme Submission (son réalisateur Theo van Gogh a payé de sa vie ce film) et des caricatures comme celles de Charlie Hebdo. Depuis quelques années, des organismes comme l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique), ont promu jusqu’à l’ONU et non sans un certain succès l’idée que le blasphème devrait être interdit. C’est une très, très mauvaise idée.

On peut certes souhaiter que les gens utilisent leur liberté d’expression de manière vertueuse, avec respect et politesse. Mais on ne peut d’autant moins en faire un devoir ou, pire, un devoir consigné dans des lois, que les sensibilités de chacun et les motifs d’indignation diffèrent à l’infini.

Je pense pour ma part qu’il faut défendre non seulement le droit mais aussi le devoir de blasphémer, ce qui signifie déboulonner les certitudes, moquer les pouvoirs et ramener à leur humaine proportion des systèmes de croyances dangereux à proportion qu’ils oublient leur origine. Et les croyances religieuses ne devraient en aucun cas recevoir de traitement préférentiel sur ces plans.

En bout de piste, je plaide donc pour qu’on mette, en ces heures où on la menace, le plus grand soin à préserver le principe de la liberté d’expression pour lequel tant de gens ont lutté et en certains cas sont morts. Mais je plaide aussi pour qu’on cultive la vertu de ne pas s’offenser de tout et de n’importe quoi ainsi que le sens du respect d’autrui.