[Ce texte paraîtra dans le prochain numéro de la revue À Bâbord, qui complète avec lui sa 11 ème année. La revue vit essentiellement de ses abonnements.]
À Charb
L’humour a-t-il sa place dans l’enseignement? Peut-on apprendre grâce à lui? A-t-il des vertus pédagogiques?
La réponse à ces questions est certainement positive et je suis convaincu que les artisans de Charlie Hebdo souhaitaient, tout autant que faire rire, donner à penser et faire réfléchir.
En cela, ils et elles s’inscrivaient dans une tradition littéraire appelée satire, très ancienne puisqu’elle remonte à l’Antiquité.
Satire et éducation
Pratiquer la satire, cela consiste à se moquer d’une personne, d’une institution, d’une pratique ou d’une croyance, en en faisant ressortir les défauts par des procédés comme l’exagération, la parodie, la diminution.
En mettant ainsi à jour, par la moquerie, ce que ces institutions, personnes, etc. ont de ridicule ou d’indéfendable, la satire nous invite à les réévaluer et, peut-on espérer, à les changer. Elle réalise de la sorte une des grandes fonctions sociales de l’humour, qui est de dévoiler nos travers en nous invitant à les corriger : par là, la satire, on le voit, accomplit bien une fonction pédagogique.
Vous l’avez deviné : en un sens, on retrouve de la satire tous les jours dans tous les grands journaux, puisque les caricatures accomplissent en images ce que la satire fait avec des mots.
Vous l’avez aussi deviné : de la satire, c’est aussi ce que font à la télévision des émissions comme The Daily Show, de Jon Stewart, aux Etats-Unis, les Guignols de l’info, en France, de même qu’Infoman ou ICI Laflaque, au Québec.
Mais comment, précisément, la satire parvient-elle à provoquer ce rire qui voudrait faire réfléchir? Comment, surtout, évite-t-elle ce terrible piège qui serait de heurter sans faire penser, de blesser sans inviter à changer — peut-être même en renforçant ce qu’on voulait affaiblir?
Ce sont là des questions bien délicates et aux réponses cruciales, surtout si on pense utiliser la satire en classe.
Les procédés et limites de la satire
Récemment, en commentant l’affaire Charlie Hebdo, le romancier américain Tim Parks suggérait que c’est sur un arrière-plan de convictions partagées que la satire doit se situer pour être efficace[1]. Il donnait en exemple une satire aussi célèbre que réussie: la Modeste proposition sur les enfants pauvres d’Irlande, de Jonathan Swift.
Nous sommes en Irlande en 1729. Une terrible et meurtrière famine fait rage, entre autres causée par les politiques menées par les Anglais.
Dans son livre, Swift décrit d’abord cette situation froidement, avec des données objectives, comme on le ferait dans un rapport officiel.
Puis, soudainement, sur le même ton, il lance : «Un Américain très avisé que j’ai connu à Londres m’a assuré qu’un jeune enfant en bonne santé et bien nourri constitue à l’âge d’un an un mets délicieux, nutritif et sain, qu’il soit cuit en daube, au pot, rôti à la broche ou au four, et j’ai tout lieu de croire qu’il s’accommode aussi bien en fricassée ou en ragoût.»
Voilà réglé, suggère Swift, le problème de la famine, en même temps qu’est trouvée une ingénieuse manière de relancer l’économie irlandaise. Tout le monde s’en réjouira, poursuit-il, y compris ces enfants qui considéreront «comme un grand bonheur d’avoir été vendus pour être mangés à l’âge d’un an et d’avoir évité par là toute une série d’infortunes par lesquelles ils sont passés et l’oppression des propriétaires ».
Cette satire est efficace, suggère Parks, parce qu’elle a pour arrière plan des convictions communes, partagées même par les Anglais à qui Swift s’adresse: on ne mange pas les enfants, pas même les petits Irlandais.
Et puisque c’est le cas, on ne les tue pas non plus par des politiques qui provoquent des famines : celles-ci doivent donc être repensées.
L’humour en classe
Cette analyse me semble juste et elle a pour l’utilisation de la satire et de l’humour — en général et en classe en particulier — des conséquences aussi importantes que faciles à tirer.
En voici une : utiliser la satire ou l’humour en classe est risqué et les dommages tant à la réputation de l’enseignant.e qu’à l’atmosphère de la classe peuvent être considérables si c’est raté. Ce sera le cas si votre blague n’est pas jugée drôle ou si votre satire est perçue comme humiliante pour un.e élève.
Mais lorsque qu’il est utilisé de manière judicieuse, les bénéfices de l’humour peuvent être grands. L’atmosphère de la classe peut s’en trouver améliorée, l’intérêt pour la matière et la participation peuvent augmenter, le stress diminuer, les relations entre élèves et entre enseignant.es et élèves être meilleures.
L’humour peut encore attirer ou maintenir l’attention, procurer une bienvenue pause dans une leçon ardue, faire tomber des barrières psychologiques et même faciliter l’expression d’idées qui autrement ne seraient pas avancées.
De plus, quelques recherches semblent indiquer, et cela semble plausible, que les élèves ou les étudiant.e.s ont une perception plus positive d’un.e enseignant.e qui utilise (correctement) l’humour.
Voici justement deux suggestions pour utiliser l’humour en classe.
La blague didactique et mnémotechnique
La première m’est fournie par deux Américains qui ont récemment écrit une initiation à la philosophie (logique, métaphysique, éthique, et tout le reste …) entièrement composée de … blagues[2]. Étonnant, non?
Vous voulez connaître leur secret? Le voici : ils utilisent de bonnes blagues judicieusement sélectionnées pour illustrer les concepts philosophiques. Pour initier à la philo, ce procédé s’avère redoutablement efficace, notamment pour se souvenir d’un concept.
Vous voulez un exemple?
Prenez ce concept aristotélicien de telos, qui désigne cette tendance interne vers une finalité que posséderait tout ce qui peuple l’univers. Il n’est pas facile à saisir. Mais si, après vous l’avoir exposé et vous avoir donné à lire des passages d’Aristote où il l’explique, on vous raconte cette histoire qui met en scène Madame Goldstein, alors, après avoir fait sa connaissance, il y a de fortes chances que vous n’oublierez plus ni cette brave dame ni le concept de telos.
Jugez-en.
Madame Goldstein déambulait sur la rue avec ses deux petits-fils, quand elle croisa une connaissance qui ne les avait pas vus depuis longtemps. Cette personne lui demanda quels âges pouvaient bien avoir à présent les enfants.
Madame Goldstein répondit: « Le médecin a cinq ans et l’avocat sept!».
J’ai eu recours à ce procédé en classe pour expliquer quelques concepts et il m’a semblé efficace.
Si vous avez fait de même, je serais heureux d’entendre votre blague et le concept qu’elle éclaire.
Le mot d’esprit
Une autre manière de pratiquer l’humour en classe consiste à faire des mots d’esprit.
On désigne ainsi un bon mot improvisé qui résout une difficulté de manière inattendue, ou qui clôt un débat par l’intelligence qu’il démontre, ou qui fait apparaître sur une question des avenues qu’on ne soupçonnait pas. Cela produit toujours son petit effet en classe — mais encore faut-il que le mot soit vraiment … d’esprit.
Une histoire, de professeur justement, illustrera tout ça.
En Chine, il y a très longtemps, un professeur allait de ville en ville pour prononcer devant d’autres savants une conférence sur un sujet technique et complexe. Il se déplaçait en carrosse conduit par un chauffeur à peu près de son âge. Celui-ci se révéla un bon compagnon et un homme brillant.
Au bout de quelques mois, à l’approche d’une ville, il dit au professeur :
— Je connais bien votre conférence à présent et je vous parie que je pourrais la donner à votre place.
— Peut-être bien. Mais comme tu sais, elles sont suivies de questions de l’auditoire, et là…
— Aucun problème, professeur : ce sont toujours les mêmes questions et je connais leurs réponses.
Piqué au jeu, le professeur suggéra qu’ils changent de vêtements et de rôle.
Le chauffeur fit ce soir-là une conférence magnifique et répondit sans se tromper à toutes les questions : elles avaient en effet toutes déjà été posées.
Mais, vers la fin de la soirée, une question inédite, difficile, fut posée. Le professeur, qui du fond de la salle observait la scène déguisé en chauffeur, entendit alors son chauffeur répondre, en le pointant du doigt :
— Mes amis, vous avez été un auditoire formidable, m’avez écouté avec attention et posé de très difficiles questions. Mais la soirée est avancée et nous sommes tous fatigués. C’est sans doute ce qui explique que vous me posiez là une question facile, si facile en fait que même mon chauffeur saura y répondre …
L’ironie socratique
Impossible de parler d’humour et d’éducation sans évoquer le premier — et possiblement le plus grand — professeur de philosophie: Socrate.
Il avait recours à une arme très particulière, qui est aussi une forme d’humour : l’ironie. Notez bien que l’ironie n’a pas vraiment sa place en classe, du moins pas pour s’exercer sur des élèves; mais ce n’est justement pas ainsi que Socrate l’utilisait.
Cette ironie socratique consistait à feindre l’ignorance devant l’ignorant bouffi d’orgueil qui croit savoir et à le questionner en disant vouloir apprendre de lui. Le résultat de l’exercice, mené devant témoins, est qu’en bout de piste le prétendu savant perd peu à peu de sa prestance et est finalement contraint d’admettre sa propre ignorance.
On ne recommande pas de pratiquer cela en classe. Mais devant un Important doublé d’un Prétentieux, la valeur pédagogique de cette manière de faire peut être grande, sinon pour l’Important lui-même, du moins pour ceux et celles qui observent la joute verbale et qui concluront, comme l’enfant pointant du doigt le défilé des Importants, que cette royale personne est bel et bien nue.
Et que c’est vraiment pas beau à voir…
Normand Baillargeon
[1] Tim Parks, «The limits of satire», NYRB, 16 janvier 2015.
[2] Thomas Cathcart et Daniel Klein, Platon et son ornithorynque entrent dans un bar. La philosophie expliquée par les blagues (sans blague ?), Seuil, Paris, 2008.
J’ai utilisé l’humour dans mon enseignement a tous les jours. Lorsque j’ai annoncé que je prenais ma retraite, mes élèves ont voulu me faire signer un contrat disant que je ne prenais pas ma retraite et que je devais rester en classe avec les élèves et que je m’engageais a continuer a les faire rire jusqu’a la fin de leur temps avec moi. La majorité de mes élèves au travers des années m’ont dit que grace a l’humour que j’apportais en classe, plusieurs ont retrouveé gout a aller a l’école. Malheureusement, en vieillissant, plusieurs (je dirais meme la majorité) des enseignants et des adultes perdent le sens de l’humour et le sens de l’émerveillement. Les jeunes s’identifient tellement a nous… quelques anciens m’ont meme dit , des années plus tard que ma facon de les approcher a changé leur perception sur plusieurs points. Alors oui, l’humour est essentiel dans l’enseignement.
Comment les économistes chassent les ours? Ils ne les chassent pas, mais ils croient que si les ours sont assez bien payés, ils se chasseront eux-mêmes.
Il me revient en tête cette histoire: Combien fait-il de développeurs Microsoft pour changer un ampoule brulé?
Aucun, l’ampoule brulé devient un standard Microsoft!
Pour moi l’humour, en tant qu’éducatrice, est un des procédés éducatifs des plus efficaces en petite enfance et qui peut transformer une situation des plus déplaisantes en un fou rire hors du commun. Mais j’estime malgré tout qu’elle exige une bonne connaissance et beaucoup de respect au sens large des individus avec lesquels on l’emploie. Et beaucoup d’amour ¨sincère¨ aussi. J’ai bien aimé la lecture de ce texte.
Très bon texte, de fait il faudrait absolument quelques journées pédagogiques pour en discuter entre collèges.
Encore un bel exemple qui montre que l’enseignement est un art. Et non pas une « technique » comme le voudrait les gouvernements et les gestionnaires (ils rêvent depuis des lustres de former des profs interchangeables).
À mon humble avis, l’enseignement est loin d’être un art. Bien sûr, pratiqué au plus haut niveau de maitrise, avec virtuosité, il peut l’être. Mais le considérer en tant que tel m’apparait bien plus dangereux qu’autre chose (ça ouvre la porte à des pratiques douteuses). C’est également, et bien malgré vous, un peu fataliste. Où pourrions-nous bien trouver les 100 000 virtuoses nécessaires pour éduquer notre jeunesse?
Non, je préfère concevoir l’enseignant comme le mécano. Ou encore, la classe comme une vieille Ford.
Pour l’indigène qui ne s’y connait guère, le fait que ma vieille Ford puisse rouler, avancer, développer une puissance plus grande que celle de n’importe quel cheval peut paraitre magique. Artistique, en un sens.
Pourtant, pour l’œil et l’oreille de l’habitué, ma vieille Ford n’est qu’un amalgame de principes mécaniques et chimiques bien orchestrés. Le ronronnement du moteur n’a plus rien de mystique. Chaque pièce joue son rôle.
Il en va de même pour la classe du pédagogue.
Année après année, les profs qui obtiennent les meilleurs résultats sont ceux qui connaissent le mieux la mécanique du métier. Une séance d’enseignement explicite donnera généralement un meilleur résultat qu’une séance de brain gym… Et ça n’a que très peu de choses à voir avec l’art, à moins d’être un fan de la soupe Campbell.
J. Désaulniers, encore faudrait-il préciser quels sont ces « meilleurs résultats », ce qui nous renvoie, comme toujours, à la question des finalités de l’éducation. On ne peut pas toujours parler de cela, mais on n’en parle jamais assez. Parce que la détermination des bonnes pratiques est toujours suspendue à cela.
Il a des profs qui obtiennent d’excellents résultats, s’agissant d’appeler sur leur personne et sur leurs convictions l’admiration de leur fan club, en prenant bien soin de cultiver chez leurs élèves l’impression qu’ils ont accédé, souvent à peu de frais, à une science qui les distingue du commun. Ces profs-là sont comme des Guy Nantel de l’éducation. La finalité du spectacle, c’est de plaire. L’humour, en l’occurrence et quelles que soient les qualités qu’on lui reconnaît à juste titre, constitue l’essentiel de son fond de commerce. Quelle est la finalité de l’éducation?
@J. Désaulniers
Un art ne signifie pas qu’on fasse n’importe quoi. Un peintre doit connaître les principes de base de son art; un romancier doit savoir écrire, conjuguer, exprimer sa pensée.; un chanteur doit apprendre à chanter; etc.
Il faut quitter l’idée primaire que les « artistes » ne travaillent qu’à l’intuition et n’ont aucune technique. Le génie, disait Edison, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration. Les deux éléments sont nécessaires.
La pédagogie est un art en ce sens qu’un enseignant a son « style » et doit développer son intuition de sa classe et de comment il peut mieux faire passer son enseignement.
Et qu’on ne saurait, qu’on en rêve les gestionnaires de ce monde, découper l’enseignement en tâches et sous-tâches pour pour remplacer un prof par un autre d’un jour à l’autre sans que le cours (et les élèves ) en souffre.
De même, l’atmosphère dans un groupe n’est pas la même que dans un autre. Et certains groupes apprennent mieux avec une méthode qu’avec une autre. Pensez pourvoir tracer un cours au moindre détail, comme si un cours est « comme une vieille Ford », sans en tenir compte, c’est courir droit à l’échec.
@Richard Maltais Desjardins
La question qui vous sert d’ouverture me laisse perplexe. Bien sûr, vous marquez un point : elle mérite d’être posée. Seulement, pour esquisser une réponse satisfaisante, un esprit bien plus robuste que le mien semble nécessaire.
Ceci étant dit, j’enseignais hier, et j’enseignerai demain. Ainsi, pour fonctionner dans mon travail, je dois opter pour une réponse insatisfaisante pour le philosophe, mais nécessaire pour le praticien. Disons qu’il s’agit d’un compromis raisonnable.
Quand je parle de résultats, je parle donc d’instruction, grosso‑modo au sens où l’entendait Condorcet. L’instruction qui reposerait sur la raison, qui relèverait du domaine public, et dont le but serait de préparer les individus à accomplir les fonctions communes de la vie quotidienne, c’est-à-dire, selon moi, savoir lire, écrire, compter et les autres capacités du même acabit.
De toute évidence, le clown à la Nantel que vous décrivez avec tant de verve ne prépare personne à accomplir les fonctions communes de la vie quotidienne. Il est donc fortement déraisonnable de le considérer comme un enseignant et de prétendre qu’il obtient de bons résultats. Mais peut-être qu’il s’agit d’un artiste…
@P. Lagacé
Ma métaphore vient de me filer entre les doigts ! Loin de moi l’idée d’entrer dans un dialogue de sourd avec vous et de tenter de définir ce qu’est l’art. Nous en aurions pour longtemps et ne finirions probablement jamais par être tout à fait d’accord. D’ailleurs, ce n’était pas le but de ma remarque.
Là, cependant, était l’utilité de ma référence à Andy Warhol : l’un peut techniquement maîtriser la reproduction d’image de cannes de soupe Campbell avec virtuosité, cela ne fera pas de lui un artiste. Pour faire simple, l’artiste, selon moi, tente à sa façon de renouveler la vision que nous avons des choses. En un sens, à redécouvrir l’univers, à en redéfinir les normes. Personnellement, ce n’est pas un but que je trouve souhaitable en éducation (instruction!).
Ensuite, je ne nie pas qu’enseigner nécessite un certain jugement, un «style», comme vous le dites. Et évidemment, celui-ci sera teinté par la personnalité de l’individu enseignant. Mais on ne peut nier (les résultats du protocole d’Engelmann (direct instruction) le montrent) qu’une certaine mécanique dans le processus d’enseignement donne globalement des meilleurs résultats (voir @Desjardins, ci-haut) que d’autres méthodes.
(Voir http://psych.athabascau.ca/html/387/OpenModules/Engelmann/evidence.shtml , pour une référence sommaire.) On retrouve d’ailleurs, plus ou moins, des observations semblables dans les ouvrages Visible Learning de John Hattie et l’Enseignement Explicite de Steve Bissonnette.
Bref, ce que j’appelle mécanique de l’enseignement, ce n’est que ça : ces méthodes et stratégies qui ont été mesurées, plusieurs milliers de fois, comme étant plus efficaces que les autres. Bien sûr, il faut aussi user de jugement. Après tout, même le pire des mécaniciens n’utiliserait pas son marteau pour resserrer une vis à tête plate !
@P. Lagacé
Désolé du doublon, mais ça vient de me frapper. Ce qui me chicotte avec cette histoire d’art, c’est que c’est un concept nébuleux. D’un point de vue pratique, il est bien plus probable qu’on améliore le système d’éducation québécois en essayant d’instruire les enseignants sur ce qui est démontré (montré pour les sceptiques) par la recherche qu’en se pâmant devant les pédagogues au sommet de leur art (sic!) pour essayer clopin-clopant de les imiter.
Il y a tellement de confusion conceptuelle en éducation, qu’on n’a vraiment pas besoin d’y introduire le concept d’art… surtout de nos jours. Même si au fond, même si ça m’a pris 5000 mots pour le réaliser, je comprends ce que vous vouliez dire :p
@J. Désaulniers, à lire vos commentaires tout en nuances, je ne vous suspecterais certainement pas de vous accommoder de compromis déraisonnables. Le programme de l’instruction, tel que vous le déclinez, en même temps qu’il délimite un cadre opérationnel auquel il serait déjà bien qu’on s’y tienne un peu mieux, pourrait en plus servir de canevas pour problématiser la question que je posais en termes très généraux.
Au plaisir de vous croiser à nouveau par ici ou ailleurs!
Je crois que le principal challenge d’un enseignant est de garder ses étudiants en éveillent et l’humour donne de bon résultat.
De plus, même une vieille Ford peut-être drôle! Henri Ford ne disait-il pas que l’on pouvait acheter une Ford T de la couleur que l’on veut…. en autant qu’elle soit noir!
« En mettant ainsi à jour, par la moquerie, ce que ces institutions, personnes, etc. ont de ridicule ou d’indéfendable »
présuppose que l’auteur de la satire sait de façon sûre qu’elles sont indéfendables et lui accorde de ne pas avoir à en rendre raison.
Un privilège que seuls l’Important et le Prétentieux réclament, à moins que tout modeste qu’il soit, ce satire soit vraiment dépassé par la bêtise ambiante… sans qu’il soit forcément aisé de distinguer les deux attitudes.
L’ironie socratique, qui n’était pas dénuée d’humour, ce n’est ni l’un ni l’autre.
J’ai une remarque à faire sur les fameuses blagues didactiques et mnémotechniques : ça ne fonctionne pas, et cela peut même faire pire que mieux.
Plus précisément, les chercheurs qui étudient la compréhension de texte et de discours ont observé un effet contre-intuitif : ajouter des détails séduisants et amusants dans un discours tend à diminuer sa compréhension et sa mémorisation. Dans la langue anglaise/américaine, on parle de seductive detail effect.
Cela proviendrait du fait que ces détails amusants tendent à focaliser l’attention sur le détail séduisant : cela nuit à l’extraction d’idées générales et à l’intégration d’idées dans un tout cohérent (schéma, modèle de situation, etc), qui sont processus particulièrement importants pour la compréhension. Cette explication est compatible avec le fait que cet effet semble surtout survenir chez les élèves qui ont une faible mémoire de travail.
Après, si les élèves ont l’impression de mieux retenir, c’est une illusion causée par ce qu’on appelle l’effet von restorf : quelque chose qui se distingue du reste tend à être mieux mémorisé. Et dans le cas de l’utilisation de l’humour dans une explication, cela se fait au détriment du reste des informations à apprendre.
Au flegmatique acteur Jeremy Iron a qui l’on lui demanda qu’est-ce que l’humour anglais, il répondit: « Je ne vois que ce que vous voulez dire! »
Je pense qu’il faut être prudent en invoquant cette idée de seductive detail. Les travaux sur la question disent bien qu’ils peuvent interférer, mais aussi que tout détail intéressant n’interfère pas. Un texte classique sur le sujet précise même: «In addition, these results should not be taken to controvert
the value of eliciting student interest during science lessons. «The results reported here do not purport that all interesting material should be avoided, for previous research has consistently shown that students learn better when the material is interesting as opposed to when it is not (Hidi & Baird, 1986; Shirey & Reynolds, 1988; Wade, 1992). Perhaps the challenge is to find a way to present science lessons in a way that is interesting, without resorting to the use of entertaining but irrelevant details.» [http://visuallearningresearch.wiki.educ.msu.edu/file/view/Harp+%26+Mayer+%281998%29.pdf]
De plus, des travaux subséquents ont aussi remis en question cette idée. «In terms of our findings, we found no effect of seductive details on recall tests in the experiments. This finding is contrary to much of the previous research that has found that providing seductive details distracts trainees from learning and results in lower scores on recall tests than those who are not exposed to seductive details. »
file:///Users/normandbaillargeon/Downloads/545945d10cf26d5090ad04c2.pdf
Pour ce qui est de l’effet von Restorf je ne partage pas votre interprétation. C’est parce qu’on a indice pour se rappeler de ce à quoi on a pensé qu’on s’en souvient. Les trucs mnémotechniques reposent sur ce principe et ils fonctionnent. http://www.aft.org/sites/default/files/ae_spring2015willingham.pdf
Pas très convaincue par ces types-là d’humour qui mettent en avant le professeur, son opinion, son esprit. Le’ sens de l’humour idéal d’un professeur serait pour moi de prendre avec beaucoup de bienveillance les traits d’esprit des élèves, de ne pas se braquer à LEURS bons mots mais au contraire à les encourager. Peut être en partie par l’exemple mais en toute modestie, sans faire de son cours, un « show »… La satire, on l’étudie en cours de français ex. roman de renard, caricatures de presse, entre mille autres sources, dans ce cas, elle est utile. Mais que le prof pratique la satire lui-même et il enfreint son rôle à mon avis. Mais bon des fois ça sort tout seul ^^
Je citerai le penseur Pontalis pour préciser ma pensée : « Je n’aime pas beaucoup la dérision ambiante, l’esprit négatif qui s’en donne à coeur joie sans risque. C’est un refus de reconnaître ce qu’on doit aux autres. J’aime bien l’humour, parce qu’il y a de la sympathie pour l’autre dans l’humour. »JB-P