Judith Malina, légende du théâtre new yorkais, s’éteint à 88 ans
Elle a fondé, en 1947, avec son mari Julian Beck, la légendaire troupe du Living, devenue célèbre pour son théâtre politique, expérimental et anarchiste dans les années 1970, d’abord à New York puis dans toute l’Europe. Judith Malina s’est éteinte lundi des suites d’un cancer du poumon.
Toujours en activité, le Living est surtout connu pour sa période glorieuse des années 1950 et surtout des années 1960, dans une Amérique en pleine exacerbation hippie, où ses spectacles communautaristes, subversifs et hyper-politiques avaient la cote. La troupe a renouvelé la pratique théâtrale à bien des égards par son désir de défoncer les cadres, d’envahir les rues et d’intégrer le spectateur à sa pratique. Elle fascine depuis plus de 50 ans. En 2009, le Festival de théâtre anarchiste de Montréal avait d’ailleurs eu la bonne idée d’inviter le Living nouvelle génération à présenter un collage de créations anciennes et récentes: Judith Malina était sur place pour accompagner les jeunes comédiens de sa troupe dont les préoccupations sont aujourd’hui surtout écologistes.
Fille d’un rabbin juif allemand orthodoxe, Judith Malina étudie le théâtre en Allemagne avec nul autre qu’Erwin Piscator, contemporain de Brecht et auteur d’un essai marquant, Le théâtre politique. C’est de lui qu’elle acquiert la conviction que le théâtre doit être un outil concret de changement politique et culturel. Elle rencontre Julian Beck, jeune peintre new yorkais, en 1943. Ensemble, ils s’intéressent d’abord au théâtre de Brecht et de Pirandello, mais le contexte politique des années 1960 aux États-Unis et la mobilisation contre la guerre du Vietnam les font bifurquer vers des créations collectives très politisées, alliées à une esthétique corporelle inspirée des théories d’Antonin Artaud, laquelle glisse de plus en plus vers des formes apparentées à la performance. Ils ont aussi particulièrement développé des formes de théâtre interactives, ancrées dans un dialogue soutenu et fertile avec les spectateurs. Un théâtre qui assume son penchant révolutionnaire et anarchiste, s’érigeant contre toutes formes de pouvoir, dans une perspective non-violente. La troupe cherchait aussi à rompre avec l’élite culturelle afin de pratiquer un théâtre révolutionnaire s’adresssant à tous, dans des lieux non théâtraux. Le Living, c’était aussi évidemment un mode de vie: libre, libertaire et communautaire, en phase avec l’époque.
À New york, leurs spectacles qui se transformaient souvent en manifestations impliquant acteurs et spectateurs ont été à quelques reprises interrompus par les autorités, menant la troupe à se tourner vers l’Europe à la fin des années 1960. On les accusait aussi souvent d' »indécence ».
Paradise Now, l’une de leurs pièces-culte, a été interdite par les autorités au festival d’Avigon en 1968. La nudité du spectacle pouvait déconcerter par moments, ainsi que la cacophonie de la pièce, mais c’est surtout l’occupation de l’espace public qui a gêné le maire de la petite ville provençale, quand le spectacle a débordé jusque dans la rue avec ses spectateurs en liesse. L’atmosphère de Mai 68 était encore dans l’air, deux mois à peine après les historiques manifestations, il va sans dire.
Après la mort de Julian Beck en 1985, Judith Malina a continué à diriger le Living, dont l’influence s’est affadie, mais on l’a aussi vue tenir quelques rôles au cinéma et à la télé, notamment dans Radio days, de Woody Allen, mais aussi dans la télésérie The Sopranos.