Richard III et Les fées ont soif s’illustrent aux Prix de la critique de l’AQCT à Montréal et Québec
L’Association québécoise des critiques de théâtre (AQCT) présente aujourd’hui les lauréats de ses Prix de la critique pour la saison 2014-2015 à Montréal et Québec, au sein desquels s’illustrent les productions Richard III et Les fées ont soif, mais aussi un prix spécial pour Tout Artaud?!, de Christian Lapointe.
Le prix du meilleur spectacle montréalais pour la saison 2014-2015 est remis à Richard III, dans une mise en scène de Brigitte Haentjens, une production Sibyllines. Ce spectacle présenté au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) a impressioné les membres de l’AQCT ‘ »par sa manière équilibrée et cohérente de révéler les dimensions humaines et sociales du texte, naviguant avec adresse entre la psychologie torturée du personnage et ses cruelles stratégies politiques. La mise en scène habile et agile de Brigitte Haentjens, qui a confirmé par là sa grande maîtrise du plateau et son talent pour diriger d’imposantes distributions, a su révéler les nombreuses couches de sens du texte tout en inventant un captivant théâtre d’action, porté par de sublimes acteurs dans une scénographie épurée et efficace, laquelle permettait une mise en lumière des rapports de force entre les personnages. »
Du côté de Québec, c’est le spectacle Les fées ont soif, dans une mise en scène d’Alexandre Fecteau, qui se mérite le grand honneur du prix du Meilleur spectacle. Cette pièce produite par La Bordée a surpris par son actualité. « Revisiter ce texte important de notre dramaturgie, écrivent les membres de l’AQCT, tout en réussissant à l’ancrer au présent, a permis de susciter le débat et la réflexion dans l’arène publique et la sphère théâtrale. Soulignons aussi que la pièce était portée par un trio de comédiennes hors pair. »
L’AQCT a aussi tenu à souligner, parmi ses 14 nominations, le caractère exceptionnel de l’aventure Tout Artaud?!, de Christian Lapointe, un événement théâtral durant presque 3 jours, qui a marqué la dernière édition du Festival TransAmériques. « Connu comme metteur en scène, auteur, comédien et théoricien, Christian Lapointe va peut-être également marquer l’histoire du théâtre
québécois par la démesure de son projet Tout Artaud?!, qui l’a mené à passer presque trois jours et nuits sur la scène du Théâtre La Chapelle en compagnie des mots d’Artaud et de quelques accessoires qui sont vite devenus décors et symboles par la magie d’un théâtre spontané et quasi-mystique. Acte de théâtre radical, la lecture-marathon aura été tour à tour spirituelle, ludique et critique, mais elle aura surtout créé chez les spectateurs un sentiment d’urgence et de nécessité d’être au théâtre, une communion rare avec la scène, en dehors de ses cadres et formats habituels. Pour toutes ces raisons, l’événement fut exceptionnel. Une vraie leçon de théâtre, sans compromis et sans fioritures. »
Voici toutes les autres nominations, d’abord celles de Québec, puis celles de Montréal.
LAURÉATS DES PRIX DE LA CRITIQUE À QUÉBEC
Le prix du Meilleur spectacle est remis à Les fées ont soif. Les autres finalistes étaient W;T, mis en scène par Michel Nadeau et Macbeth, mis en scène par Marie-Josée Bastien.
Dans la catégorie « Meilleure mise en scène » :
CHRISTIAN LAPOINTE, pour Dans la république du bonheur, de Martin Crimp, une production Le Trident et Théâtre Blanc.
Créateur inspiré et radical, Christian Lapointe a renouvelé son regard au contact de l’écriture de Martin Crimp, trop rare sur nos scènes. La pièce était portée par une signature et une direction d’acteurs fortes, homogènes et réfléchies, et une démesure pleinement assumée.
Les autres finalistes étaient : ALEXANDRE FECTEAU, pour Les fées ont soif, de Denise Boucher, une production La Bordée; ANTOINE LAPRISE, pour Guerre et paix, de Louis-Dominique Lavigne et Antoine Laprise, d’après Tolstoï, une production Théâtre du Sous-Marin Jaune et Théâtre de Quartier.
Dans la catégorie « Meilleur texte original »:
LE LONG VOYAGE DE PIERRE-GUY B., de Pierre-Guy Blanchard, Philippe Soldevilla et Christian Essiambre, produit par le Théâtre Sortie de Secours, le théâtre l’Escaouette et le Théâtre français du Centre national des Arts;
Porté par une narrativité captivante, ce récit honnête, habile et touchant se construisait avec intelligence malgré une apparente simplicité. Le monologue de Pierre-Guy B. sur Istanbul, particulièrement marquant, suscite l’admiration.
Les autres finalistes étaient : DISPARAÎTRE ICI, de Jocelyn Pelletier et Edith Patenaude, librement inspiré de l’oeuvre de Brett Easton Ellis, produit par TectoniK_ et Les Écornifleuses ; USAGES, d’Amélie Bergeron, produit par les Brutes de décoffrage.
Dans la catégorie « Hors Québec » :
A GAME OF YOU, de Sophie de Somere, une production BAC – Battersea Arts Centre et Richard Jordan Productions Ltd. (Royaume-Uni), avec le soutien de Vooruit (Belgique) et The National Theatre Studio (Royaume-Uni), présentée au Carrefour international de théâtre de Québec.
Cette expérience théâtrale atypique et très bien structurée permettait au spectateur de faire un tour, voire un double tour sur lui-même. Le jeu flexible et plein d’empathie des comédiens est également à souligner.
Les autres finalistes étaient : TAUBERBACH, d’Alain Platel, une production Ballets C de la B (Belgique) et Münchner Kammerspiele (Allemagne), présentée au Carrefour international de théâtre de Québec; OH, LES BEAUX JOURS, de Samuel Beckett, dans une mise en scène de Marc Paquien, production Compagnie des TAUBERBACH, d’Alain Platel, une production Ballets C de la B (Belgique) et Münchner Kammerspiele (Allemagne), présentée au Carrefour international de théâtre de Québec;
Dans la catégorie « Interprétation féminine » :
LISE CASTONGUAY, pour l’ensemble de ses rôles de la saison 2014-2015 à Québec, dans Les fées ont soif, Photosensibles, Dans la république du bonheur et Mes enfants n’ont pas peur du noir.
Lise Castonguay, actrice d’expérience à la présence forte, nous a marqués non pas dans une, mais pour chacune des quatre productions auxquelles elle a pris part lors de la saison 2014- 2015. Elle parvient à susciter de grandes émotions avec peu d’artifices, grâce à un jeu fin qui s’enveloppe de couleurs étonnantes selon les rôles qui lui sont confiés.
Les autres finalistes étaient : LORRAINE CÔTÉ, pour son rôle dans W;T, de Margaret Edson, traduit par Maryse Warda, dans une mise en scène de Michel Nadeau, une production La Bordée et NOÉMIE O’FARRELL, pour son rôle dans Photosensibles, textes d’auteurs variés, dans une mise en scène de Maxime Robin, une production La Vierge Folle.
Dans la catégorie « Interprétation masculine » :
JEAN-RENÉ MOISAN, pour son rôle dans La chatte sur un toit brûlant, de Tennesse Williams, traduit par René Dionne, dans une mise en scène de Maxime Robin, une production La Bordée.
Jean-René Moisan, qui se voyait confier un imposant premier rôle, a su jouer les tiraillements intérieurs du personnage de Brick avec une habileté et une solidité indéniables. Son face-à face avec Patric Saucier (Big Daddy) fait partie des grands moments de théâtre de la saison dernière.
Les autres finalistes étaient : CHRISTIAN ESSIAMBRE, pour son rôle dans Le long voyage de Pierre-Guy B., de Pierre-Guy Blanchard, Philippe Soldevilla et Christian Essiambre, produit par le Théâtre Sortie de Secours, le théâtre l’Escaouette et leThéâtre français du Centre national des Arts et ROLAND LEPAGE, pour son rôle dans Dans la république du bonheur, de Martin Crimp, traduit par Philippe Djian, dans une adaptation et mise en scène de Christian Lapointe, une production Théâtre Blanc et Le Trident.
LAURÉATS DES PRIX DE LA CRITIQUE À MONTRÉAL
Le prix du Meilleur spectacle est remis à Richard III. Les autres finalistes étaient Un tramway nommé désir, dans une mise en scène de Serge Denoncourt, et Lumières, Lumières, Lumières, dans une mise en scène de Denis Marleau.
Dans la catégorie « Meilleure mise en scène » :
SERGE DENONCOURT, pour Un tramway nommé désir, d’après Tennesse Williams, traduit par Paul Lefebvre, une production Espace GO.
De ce texte américain, Serge Denoncourt a su éclairer une dimension charnelle et décomplexée que peu d’autres metteurs en scène ont osé mettre de l’avant avant lui. Sa vision très sensuelle de l’œuvre empruntait brillamment aux codes du cinéma et révélait les personnages de Tennesse Williams dans leur brûlure vive, au seuil de la violence et du désir, dans une direction d’acteurs remarquable. Son choix de faire apparaître concrètement l’auteur sur scène, immergé dans sa création et pris de désir pour ses personnages, nous est apparu très fécond.
Les autres finalistes étaient : BRIGITTE HAENTJENS, pour Richard III, de William Shakespeare, traduit par Jean-Marc Dalpé, une production Sibyllines et ANGELA KONRAD, pour Auditions ou me, myself and I, d’après Shakespeare, une production La Fabrik.
Dans la catégorie « Meilleur texte original » :
ENNEMI PUBLIC, d’Olivier Choinière, publié chez Leméac et produit par L’Activité et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
À cause de sa construction dialogique précise et vertigineuse, qui enchevêtre et empile les discussions familiales dans une savante polyphonie et une parfaite illusion de naturalisme, ce texte nous est apparu brillant. Portant un regard perçant sur la société québécoise, Olivier Choinière met en lumière la pensée manichéenne et réductrice dans lesquels s’empêtrent le discours ambiant et l’opinion publique, peignant aussi un portrait saisissant des tiraillements de la cellule familiale.
Les autres finalistes étaient : POUR RÉUSSIR UN POULET, de Fabien Cloutier, publié chez L’Instant Même et Dramaturges Éditeurs et produit par le Théâtre de la Manufacture et J’ACCUSE, d’Annick Lefebvre, publié chez Dramaturges Editeurs et produit par le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Dans la catégorie « Jeunes publics » :
LES GRAND-MÈRES MORTES, de David Paquet et Karine Sauvé, dans une mise en scène de Karine Sauvé, une production Mammifères.
Délaissant la narrativité linéaire pour emprunter une forme éclatée et performative, l’œuvre de Karine Sauvé et David Paquet se déployait dans une multiplicité d’émotions et de significations, ne sous-estimant jamais l’intelligence des jeunes spectateurs et abordant avec finesse les délicats sujets de la mort et du deuil.
Les autres finalistes étaient : LES CORBEAUX NE SE PEIGNENT PAS (LOS CUERVOS NO SE PEINAN), de Maribel Carrasco, dans une mise en scène de Boris Schoemann, une production Alas y Raíces (CONACULTA), Los Endebles et Secretaría de Cultura de San Luis Potosí (Mexique); ROSÉPINE, de Daniel Danis, dans une mise en scène de Marthe Adam, une production des Amis de Chiffon.
Dans la catégorie « Hors Québec » :
TARTUFFE, d’après Molière, dans une mise en scène de Michael Thalheimer, une production Schaubühne (Allemagne) présentée au Festival TransAmériques.
Cette relecture courageuse osait faire de Tartuffe un authentique fanatique religieux plutôt qu’un faux dévot : de quoi parler éloquemment d’un Occident très actuel, plus souvent qu’autrement dérouté par le retour du religieux. Avec ses acteurs prodigieux et dans une scénographie très signifiante, ce spectacle embrassait aussi une variété de traditions de jeu, jusqu’à l’extrême burlesque, sans sombrer dans la caricature, naviguant aux frontières du comique et du tragique avec maestria. Une production remarquable.
Les autres finalistes étaient : QUAND JE PENSE QU’ON VA VIEILLIR ENSEMBLE, une création collective des Chiens de Navarre, dans une mise en scène de Christophe Meurisse, production Les Chiens de Navarre et Le Grand Gardon Blanc (France) présentée à l’Usine C LA VECCHIA VACCA, texte et mise en scène de Salvatore Calcagno, une production Salvatore Calcagno / Garçon Garçon (Belgique), présentée au Théâtre La Chapelle.
Dans la catégorie « Interprétation féminine » :
DOMINIQUE QUESNEL, pour son rôle dans Auditions ou me, myself and I, d’après Shakespeare, adapté et mis en scène par Angela Konrad, une production La Fabrik.
Menant depuis des années une carrière admirable mais discrète, Dominique Quesnel trouve dans ses récentes collaborations avec la metteure en scène Angela Konrad des rôles à sa mesure et un territoire propice à révéler son talent. Dans le rôle d’une metteure en scène aussi tyrannique que fragile, elle usait d’autorité et de narcissisme tout en parvenant à faire apparaître les failles et les craquements d’un personnage complexe.
Les autres finalistes étaient : CÉLINE BONNIER, pour son rôle dans Un tramway nommé désir, d’après Tennesse Williams, traduit par Paul Lefebvre, dans une mise en scène de Serge Denoncourt, une production Espace GO ; EVELYNE ROMPRÉ, pour son rôle dans Lumières, lumières, lumières, d’Evelyne de la Chenelière, d’après Virginia Woolf, dans une mise en scène de Denis Marleau, une production Espace GO.
Dans la catégorie « Interprétation masculine » :
SÉBASTIEN RICARD, pour son rôle dans Richard III, de William Shakespeare, traduit par JeanMarc Dalpé, dans une mise en scène de Brigitte Haentjens, une production Sibyllines.
Sébastien Ricard n’en est pas à son premier rôle remarquable sur nos scènes mais son incarnation de Richard III nous a montré un acteur parvenu à un grand degré de maturité et de contrôle. Dans le rôle mythique et vertigineux du duc de Gloucester, il était à la fois terrifiant et séduisant, articulant le basculement du personnage vers la folie dans un mouvement très subtil. Son jeu physique, maîtrisé et constant, force l’admiration, de même que son travail vocal, porté par une rythmique savamment construite qui honore la musicalité de l’écriture shakespearienne.
Les autres finalistes étaient : ERIC ROBIDOUX, pour son rôle dans Un tramway nommé désir, d’après Tennesse Williams, traduit par Paul Lefebvre, dans une mise en scène de Serge Denoncourt, une production Espace GO et BENOÎT MCGINNIS, pour son rôle dans Being at home with Claude, de René-Daniel Dubois, dans une mise en scène de Frédéric Blanchette, une production Théâtre du Nouveau Monde.
Les Prix de la critique sont remis annuellement depuis 1985 par le biais d’un vote des membres de l’Association québécoise des critiques de théâtre suivi d’une discussion. L’AQCT compte une trentaine de membres œuvrant dans une dizaine de médias à Montréal et à Québec.