Cinéma

Lettre ouverte de Réalisatrices équitables

Lucette Lupien, porte-parole du mouvement Réalisatrices équitables, signe une lettre ouverte adressée à la Ministre Christine St-Pierre concernant la dernière ronde de décision de la SODEC, qui a récemment retenu neuf projets de longs métrages, aucun desquels ne sera réalisé par une
femme.

La voici dans son intégralité:

Madame Christine St-Pierre
Ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine
225, Grande Allée Est
Bloc A, 1er étage
Québec

Objet :

DERNIERS RÉSULTATS À LA SODEC : RÉALISATEURS 9 / RÉALISATRICES ZÉRO !

Madame la Ministre,

Quelle n’est pas notre stupéfaction d’apprendre, à la lecture d’un communiqué daté de ce vendredi 20 février, que dans sa première ronde de décisions 2009-2010, la SODEC a retenu 9 projets de longs métrages, dont AUCUN ne sera réalisé par une femme!

La SODEC déclare de plus : « Cette première cuvée 2009-2010, témoigne une fois de plus de la vitalité et du talent des cinéastes et des scénaristes québécois. Priorisant le cinéma d’auteur tout en passant par la comédie grand public au film jeunesse, du film fantastique au drame intimiste, la diversité des genres est au rendez-vous ». Pour les femmes — qui constituent la majorité de la population au Québec —, la diversité des genres n’est pas vraiment au rendez-vous quand aucune réalisatrice n’est financée!

L’an dernier lors de la première ronde de décision 2008-2009, c’est 3 projets sur 9 qui furent accordés à des réalisatrices. Comme à la deuxième ronde (juin), il y a encore moins de projets retenus par la SODEC, on se dirige tout droit vers une catastrophe. Que se passe-t-il? Après l’accueil attentif que vous nous accordiez en mai dernier ainsi que la bonne réception dont nous avons fait l’objet à la SODEC de la part de madame Champoux, nous espérions que les choses allaient pouvoir enfin s’améliorer.

De plus, étant donné que de plus en plus d’intervenants du milieu se disent sensibles au problème de la sous-représentation des femmes — l’égalité des hommes et des femmes étant la première valeur de la population québécoise —, nous pensions que la SODEC ferait tout en son pouvoir pour atténuer ces écarts indécents.

Les réalisatrices sont des créatrices qui, rappelons-le, à travers leurs oeuvres audiovisuelles en cinéma, télévision, internet et publicité, agissent comme des multiplicatrices quand il s’agit de transmettre des valeurs au public. Alors que vous lanciez dimanche le guide Mon enfant devant l’écran, un outil innovateur et éducatif pour guider les adultes face aux images en mouvement qui bombardent le quotidien des enfants, savez-vous, madame la Ministre, qu’il n’y a à peu près aucune émission pour
enfants qui soit réalisée par une femme! Croyez-vous vraiment que les réalisatrices connaissent moins les enfants que les hommes et qu’elles soient moins en mesure de mettre en scène un univers promouvant des valeurs positives?

Pour justifier la situation actuelle, on dit souvent dans les institutions comme la SODEC que les maisons de production déposent peu de projets de femmes; mais qui pourrait les en blâmer si sur 9 projets retenus par la SODEC aucun n’est réalisé par une femme? Il est urgent d’instaurer des mesures incitatives et correctives afin de modifier cet état de fait et de faire en sorte qu’en cinéma et en télévision — comme ailleurs dans la société — une vraie égalité des chances existe pour les réalisatrices.

Si, comme le dit le Premier Ministre, monsieur Jean Charest, à propos de la présence égale des femmes au Conseil des ministres : « La parité c’est une bonne idée! », nous croyons que c’est aussi une bonne idée pour les réalisatrices.

Nous vous demandons, madame la Ministre, de bien vouloir prendre des dispositions immédiates, énergiques et proactives pour que cesse cette discrimination systémique. Les femmes qui représentent 48 % des cohortes étudiantes en cinéma et 68 % en télévision sont en droit de s’attendre à ce que l’État et ses institutions leur fassent une place juste et équitable dans le milieu audiovisuel et dans notre société.

Il est temps également pour le public d’avoir accès à une vraie diversité des genres dans les émissions et les films offerts dans les médias et qui sont, soulignons-le, presque entièrement financés par l’État.

Veuillez agréer, madame la Ministre, l’expression de nos sentiments respectueux.

Lucette Lupien