Cinéma

Qui veut la mort du cinéma documentaire québécois?

À la veille de l'ouverture des RIDM, voici un texte intéressant sur l'état du documentaire au Québec, rédigé et diffusé par Esperamos Films:

Les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM), qui se tiendront du 10 au 21 novembre prochain, est un événement festif qui accueillera la planète documentaire à Montréal, cette ville qui en est l’un des berceaux. Connue pour son inventivité, sa pertinence et son bagout, notre tradition a, on le sait, contribué d'une manière démesurée à la cinématographie mondiale surtout lorsqu’on tient compte de la petite taille de nos ateliers, de nos institutions et de nos moyens.
 
Or aujourd’hui, malgré le foisonnement toujours impressionnant à la base (il n’y a qu’à constater la quantité de jeunes cinéastes qui proposent des œuvres aux divers festivals québécois), la profession, elle, ne va pas bien. Les pratiques documentaires de fond qui ont fait notre renommée sont en danger.
 
Époque de purges

Les politiques culturelles du gouvernement canadien étouffent tranquillement les producteurs et artisans d’ici par des purges et des coupes incessantes. Et depuis l’élection de Stephen Harper, les politiques restrictives sont teintées de couleurs idéologiques. Hugo Latulippe, membre fondateur d’Esperamos: «Non seulement les conservateurs semblent penser que les arts doivent être rentables au même titre qu’une usine de chaussures (comme tous les services publics d’ailleurs!), mais on voit bien qu’ils détestent l’idée que le cinéma documentaire d’ici soit un vecteur d’ouverture sur le monde, d’altérité, de progrès social et d’aventures intellectuelles.»
 
Dans les institutions culturelles du Québec et d’ailleurs, la parole efficace, compétitive, productive, se généralise. On envisage, à mots couverts, d’exiger des artistes un retour financier sur investissement. On nage en pleine négation des fondements de l’art. On entend beaucoup les gestionnaires, soucieux de ne pas rater le bateau technologique, se gargariser à la sauce internet pour nous dire que «le monde change et que les temps où les gens voulaient voir des longs métrages d’auteur est révolu». Vraiment?
 
Ces dernières années, dans les divers forums et événements cinématographiques, combien de fois a-t-on entendu des sexagénaires pérorer devant des salles pleines de vingtenaires et de trentenaires, que «les jeunes» ne s’intéressent plus au cinéma autrement que sur leurs petites boîtes online-streaming-while-doing-something-else-click-and-trash et qu’ils préfèrent les formats documentaires de 30 secondes commandités par une marque de chars sur le téléphone portable… Ceux-ci étant beaucoup plus adaptés à notre mode de vie moderne.  Comme si le film était d’abord et avant tout une question de support ou d’appareil! Mais de quoi parle-t-on exactement? En fait, beaucoup de discussions à propos des engins à boutons, très peu de discussions sur les enjeux intellectuels et artistiques. Ce dont il est réellement question ici, c’est de réduction de coûts, et le web, qui a bon dos, devient «une belle opportunité» pour jeter le bébé avec l’eau du bain.
 
Résistance

Or, chez Esperamos, où la moyenne d’âge est de trente ans et où nous passons pourtant nos journées entières devant un ordinateur, nous sommes convaincus qu’il y a un problème fondamental avec ce discours abscons. Nous voulons réitérer le fait que nous sommes bel et bien affamés de films avec une profondeur, une largeur d’esprit. Nous pensons que le film documentaire contribue à une manière d’être et de penser qui fait de nous des citoyens modernes.
 
Nous voulons voir des films québécois tournés en Afghanistan et en territoire Innu, des films qui permettront de nous raccommoder l’histoire, des films sur l’impact des réchauffements climatiques dans le Saint-Laurent, des films qui feront la lumière sur le pillage de l’Afrique par des multinationales canadiennes, des films sur les gens du quotidien, les gens du genre humain, des films qui traceront la voie de l’après-capitalisme… Chez Esperamos, nous voulons poursuivre le cinéma documentaire que nous jugeons nécessaire à la santé démocratique.
 
D’ailleurs, cette semaine, à l’occasion des RIDM, Esperamos rendra public deux nouveaux longs métrages documentaires; La Reine malade de Pascal Sanchez, un film de fréquentation tourné avec l’apiculteur bio Anicet Desrochers et La part d’ombre de Charles Gervais, tourné sur les chemins du Cambodge avec une jeune Néo-Québécoise partie sur la trace des Khmers rouges. Ces deux films abordent de biais des questions centrales de notre temps. Ils réitèrent concrètement notre engagement contre l’appauvrissement intellectuel des contenus culturels et racontent le monde comme on ne nous le racontera jamais sur Fox News ou sur Twitter.  
 
Basé au de cœur Montréal, le collectif Esperamos, fondé par Hugo Latulippe, développe actuellement plusieurs projets pour le cinéma, la télévision et les médias numériques avec des collaborateurs de toutes les générations, dont Anaïs Barbeau-Lavalette, Émile Proulx-Cloutier, Patricio Henriquez, Magnus Isacsson, Halima Elkhatabi, Jean-Claude Labrecque, Catherine Hébert, Wendy Champagne, Michka Saal et Pascal Sanchez. En tournage à l’extérieur du pays pour une année entière, Hugo Latulippe sera de passage à Montréal à l’occasion des premières de La Reine malade et de La part d’ombre. Finalement, le 12 novembre, le collectif invite le grand public à une soirée festive qui se tiendra à l’espace Lounge des RIDM, dès 21h, à la Cinémathèque québécoise.
 
La Reine malade : www.facebook.com/lareinemalade
La part d’ombre : www.facebook.com/part.ombre