19e édition des RIDM: les deux solitudes, le trafic humain au Mexique et la créativité de David Lynch
Réflexions socio-politiques, portraits bouleversants, road-movie existentiel, voilà quelques trames de films que proposeront cette année les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) à l’occasion de leur 19e édition, dont on a dévoilé la programmation ce matin.
Tel qu’annoncé, c’est Fuocoammare, par-delà Lampedusa de Gianfranco Rosi qui agira à titre de film d’ouverture. Ours d’or à la Berlinale, le documentaire propose un regard singulier sur les réfugiés de l’île de Lampedusa en Italie. En clôture, les RIDM présenteront Un journaliste au front de Santiago Bertolino à propos d’un pigiste spécialisé dans la couverture de zones de conflit.
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Voici les détails des films présentés dans le cadre des RIDM 2016, tels que diffusés par communiqué de presse.
COMPÉTITION OFFICIELLE
11 prix seront décernés aux films gagnants des quatre sections compétitives.
Compétition internationale longs métrages
Les 11 films de la compétition internationale longs métrages, présentée par Bell Média, sont des propositions fortes et diversifiées qui témoignent de la créativité, de la diversité et de la pertinence du cinéma du réel.
Le documentaire a toujours su proposer des réflexions socio-politiques puissantes à partir de récits intimes. Dans Another Year (Shengze Zhu), les soupers d’une famille ouvrière permettent de réfléchir sur les défis auxquels fait face une grande partie de la population chinoise ; le bouleversant Manuel de libération (Alexander Kuznetsov) accompagne le combat que mènent deux jeunes femmes russes internées à vie dans un hôpital psychiatrique ; les récits des deux personnages de l’odyssée poétique Tempestad (Tatiana Huezo) révèlent la tragédie du trafic humain au Mexique ; dans Mixed Feelings (Guy Davidi), un petit appartement de Tel-Aviv reconverti en salle de classe pour jeu d’acteur devient le lieu improbable d’une psychothérapie collective sur le conflit israélo-palestinien. Une démarche plus essayiste est également à l’honneur avec The Great Wall (Tadhg O’Sullivan) et Havarie (Philip Scheffner), deux films qui expérimentent à leur façon avec la forme documentaire pour évoquer la tragédie la crise migratoire actuelle.
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Souvent aux prises avec les grands bouleversements du monde, le cinéma documentaire est également un révélateur sans égal de la beauté et de la profondeur de la nature humaine, comme nous le rappellent les protagonistes touchants, troublants, parfois désopilants et toujours inoubliables de Calabria (Pierre-François Sauter), un road-movie doucement existentiel, Il Solengo (Alessio Rigo De Righi et Matteo Zoppis), une enquête ludique dans l’Italie rurale et Kate Plays Christine, un faux making-of qui met à nu le travail d’acteur. Le refus du cinéaste Robert Greene dans ce dernier film de faire une distinction entre documentaire et fiction afin de percer le mystère de son actrice est à l’image de l’approche libre également déployée dans Brothers of the Night (Patric Chiha), une plongée entre Fassbinder et Kenneth Anger dans les nuits interlopes viennoises et The Human Surge (Eduardo Williams), une déambulation tournée sur trois continents. Deux films essentiels sur de jeunes marginaux de la société mondialisée.
Compétition nationale longs métrages
Aussi ambitieux et diversifiés que ceux de leurs confrères internationaux, les 10 films de la compétition nationale longs métrages parcourent le monde et explorent toutes les approches documentaires.
Prison in Twelve Landscapes est un essai brillant et original de Brett Story sur l’impact dévastateur du système carcéral américain ; Angry Inuk est le cri du cœur important et indispensable d’Alethea Arnaquq-Baril pour faire entendre le point de vue des Inuit sur la chasse aux phoques ; Gulîstan, terre de roses est le premier film impressionnant de maîtrise et de sensibilité de Zaynê Akyol tourné au sein d’une section de guerrières du PKK. Ajoutons à cela le portrait de deux jeunes Inuit tristement poétique dans Chez les géants d’Aude Leroux-Lévesque et Sébastien Rist ; l’histoire de famille insaisissable et surréaliste de Michael Shannon Michael Shannon John de Chelsea McMullan ; le tournage de film sous l’influence de Gide et Kafka proposé par Andrea Bussmann et Nicolás Pereda dans Tales of Two Who Dreamt ; de même que les chroniques profondément humanistes telles The Stairs par Hugh Gibson et La résurrection d’Hassan de Carlo Guillermo Proto. Assurément, le documentaire québécois et canadien ne manque pas de relève ! Ceci dit, les grands noms du documentaire n’ont pas dit leur dernier mot, comme le prouvent John Walker avec Quebec My Country Mon Pays, un film personnel qui tente de comprendre les racines de la division entre francophones et anglophones dans le Québec actuel, et Sylvain L’Espérance, de retour aux RIDM avec Combat au bout de la nuit, son film le plus ambitieux et une œuvre fleuve engagée et hétéroclite sur les bouleversements récents de la Grèce.
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Compétition internationale courts et moyens métrages
C’est souvent dans le court et le moyen métrage que l’on trouve les propositions les plus libres et aventureuses. Les 14 films internationaux sélectionnés cette année ne feront pas faux bond à cette tradition. De retour un an après sa rétrospective, Thom Andersen nous propose un nouveau voyage personnel à travers l’histoire du cinéma dans A Train Arrives at the Station. Le film anthropologique est réinventé dans He Who Eats Children, une étrange enquête/performance de Ben Russell dans un village du Surinam, The Masked Monkeys (Anja Dornieden et Juan David González Monroy), une analyse troublante et ultra-sensorielle du phénomène des singes savants indonésiens et Uzu (Gaspard Kuentz), une plongée immersive dans un rituel mystique japonais aussi fascinant que terrifiant. De leur côté, Kwassa Kwassa (Tuan Andrew Nguyen et Superflex), Remains from the Desert (Sebastian Mez) et Bunkers (Anne-Claire Adet) proposent trois regards inoubliables sur la réalité des réfugiés ; A Model Family in a Model Home (Zoe Beloff) utilise une forme hybride et ludique pour repenser un vieux projet de Bertolt Brecht à l’heure de la crise immobilière américaine ; The Great Theater (Słtawomir Batyra) est un opéra audio-visuel à couper le souffle dans les coulisses du grand théâtre de Varsovie ; Isabella Mora (Isabel Pagliai) observe avec une bonne dose de distance le quotidien de jeunes filles déshéritées du Nord de la France ; Long Story Short (Natalie Bookchin) utilise avec brio l’écran divisé (split screen) pour fustiger l’indifférence envers les exclus de l’Amérique ; Speaking is Difficult (AJ Schnack) use d’un concept aussi simple que percutant pour dénoncer la violence omniprésente aux États-Unis ; Non contractuel (Paul Heintz) nous emporte dans un univers absurde qui mime le travail en entreprise. Et que dire d’Indefinite Pitch (James N. Kienitz Wilkins), un ovni dense et inclassable qui fonctionne sur des associations d’idées fulgurantes autour du mot pitch.
Compétition nationale courts et moyens métrages
Pour la première fois aux RIDM, une compétition dédiée aux courts et moyens métrages québécois et canadiens vient reconnaître et encourager le dynamisme de la relève et de cette forme trop peu diffusée. Et les projets n’ont pas déçu. 24.24.24. est un ballet du temps et du mouvement filmé en face du marché Maisonneuve ; Andrew Keegan déménage est une balade contemplative qui observe sous un nouvel angle l’absurdité des décisions d’urbanisme ; Animals Under Anaesthesia : Speculations on the Dreamlife of Beasts est aussi inclassable, jouissif et étrange que son titre le suggère ; The Botanist et Gatekeeper nous emportent au Tadjikistan et au Japon pour faire les portraits sensibles d’hommes vieillissant aux ressources insoupçonnées ; Dialogue(s) déconstruit avec amusement l’essence du dialogue masculin ; Hier à Nyassan porte un regard attentif au rythme et aux gestes quotidiens d’un village du Burkina Faso ; enfin, Vol de nuit propose une réflexion poétique et politique sur l’intervention policière à l’UQAM lors des manifestations de 2012. Des propositions maîtrisées et audacieuses par des vétérans des RIDM (Young Chang, Catherine Hébert, Brian M. Cassidy et Melanie Shatzky) et des nouveaux venus au talent indéniable (Philippe David Gagné, Daniel Dietzel, Justine Harbonnier, Maxime Lacoste-Lebuis, Maude Plante-Husaruk et Clara L’Heureux-Garcia).
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PANORAMA
Présentations spéciales
Comme chaque année, les grands noms et les titres les plus prestigieux de l’année festivalière font l’objet de Présentations spéciales. Nikolaus Geyrhalter, Claire Simon, Sergei Loznitsa, Wang Bing, Avi Mograbi et Alanis Obomsawin sont ainsi de retour aux RIDM avec Homo Sapiens, Le concours, Austerlitz, Ta’ang, Entre les frontières et We Can’t Make the Same Mistake Twice, six œuvres différentes à tous les niveaux qui nous emportent aux quatre coins d’un monde abandonné par l’homme, dans les couloirs du concours de la FÉMIS, la célèbre école de cinéma française, au milieu de touristes visitant des camps de concentration, dans l’entre-deux-mondes du quotidien d’un peuple réfugié entre la Chine et la Birmanie, dans un atelier de théâtre au sein d’un centre de rétention israélien, et au cœur d’une saga judiciaire entourant les soins prodigués aux enfants autochtones.
La création artistique est également à l’honneur avec David Lynch: The Art Life (Rick Barnes, Olivia Neergaard-Holm et John Nguyen), où le cinéaste culte nous dévoile sans tabou les origines de sa vie créative ; Cinema Novo (Eryk Rocha), un hommage réjouissant aux films brésiliens géniaux des années 1950-60 ; et Mr. Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin (Tomer Heymann), un incontournable pour tous les amateurs de danse contemporaine. Plus près de nous, porté par un dialogue entre Gilles Vigneault et Fred Pellerin, Le goût d’un pays (Francis Legault) observe l’identité québécoise sous l’angle de la culture de l’érable. Et pour compléter ces présentations spéciales, deux films aussi intelligents que jouissifs : le documentaire animé NUTS! (Penny Lane), croisement improbable et réussi entre South Park et Citizen Kane, et Swagger (Olivier Babinet), petit bijou d’humanité et de créativité tourné auprès de jeunes écoliers d’une banlieue parisienne.
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Portraits
Portraits présente des destins individuels aussi touchants que universels. De retour aux RIDM, Kimi Takesue réalise avec 95 AND 6 TO GO son film le plus personnel à propos de son grand-père d’origine japonaise bourru et éminemment sympathique ; grand gagnant de la dernière édition de Hot Docs, Brothers (Aslaug Holm) suit deux jeunes Norvégiens pendant plus de 8 ans dans une démarche à fleur de peau qui en fait le Boyhood documentaire ; The Great Fortune (Kirsten Burger, Mikko Gaestel et Johannes Müller) nous invite à découvrir la vie luxueuse et étrange d’un milliardaire malicieux, bon vivant, agaçant, trisomique et très conscient de la caméra ; Madame B, histoire d’une Nord-Coréenne (Jero Yun) raconte le parcours mouvementé et bouleversant d’une femme partie de Corée du Nord, vendue à une famille chinoise et réunie trop tard avec sa famille dans une Corée du Sud qui n’est pas l’eldorado espéré. Enfin, Peter and the Farm (Tony Stone) nous fait découvrir un fermier atypique, complexe et attachant.
États du monde
Des démarches profondément politiques sont au cœur d’États du monde. Dans la tradition des grands documentaires de témoignages, le grand cinéaste Mahamat-Saleh Haroun recueille dans Hissein Habré, une tragédie tchadienne les propos de victimes du régime du tristement célèbre dictateur tchadien ; l’inventif INAATE/SE/ [it shines a certain way. to a certain place/it flies. falls./] des frères ojibwés Adam et Zack Khalil réinvente le récit historique afin de bousculer la conception occidentale de l’Histoire ; Nicolas Wadimoff questionne brillamment les convictions et l’engagement révolutionnaire de son ancien professeur dans Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté ; John Gianvito réalise un travail de critique historique majeur sur l’histoire récente des Philippines avec Wake (Subic) ; et Starless Dreams de Mehrdad Oskouei filme les espoirs et la mélancolie de jeunes adolescentes dans un centre iranien de rééducation.
Hors limites
Depuis des années, de nombreux cinéastes brouillent habilement toute distinction possible entre réalité et fantasme. Ces films inclassables et créatifs sont présentés tour à tour dans des festivals de fiction ou de documentaire. Cette nouvelle section propose une sélection des œuvres hors limites les plus originales de l’année. Deux ans après Memphis (RIDM 2014), Tim Sutton propose avec Dark Night un film hanté qui s’affirme comme le digne héritier du Elephant de Gus Van Sant ; Michal Marczak fait la chronique lyrique des nuits d’ivresse et de danse et de rencontres de la jeunesse de Varsovie dans le superbe All These Sleepless Nights ; une jeune Chinoise réinvente sa vie en Argentine dans le délicat El futuro perfecto de Nele Wohlatz ; enfin, deux jeunes acteurs se prennent au jeu de l’émotion lors d’une lecture de la correspondance entre les poètes Ingeborg Bachmann et Paul Celan dans le magnifique The Dreamed Ones de Ruth Beckermann.
Beat Dox
Cette année, la section dédiée aux documentaires musicaux présente quatre films aux styles et aux sujets totalement hétéroclites. Du portrait insolite d’un pianiste russe génial et excentrique dans Oleg y las raras artes (Andrés Duque) au phénomène absurde, kitsch et assez angoissant des groupes d’« idoles » japonaises dans Raise Your Arms and Twist (Atsushi Funahashi) en passant par le parcours houleux de deux DJ de la scène techno underground de Téhéran dans Raving Iran (Susanne Regina Meures). Sans oublier le Aim for the Roses de John Bolton, un hommage décalé, entre enquête biographique et comédie musicale, à un album de musique conceptuel dédié à un cascadeur canadien des années 1970.
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UXdoc
Pour son cinquième anniversaire, UXdoc continue de proposer une sélection d’expériences du réel interactives et virtuelles à travers six projets qui fusionnent le jeu, le cinéma et les technologies numériques de pointe. La réalité virtuelle est à l’honneur cette année avec 6×9 (Francesca Panetta et Lindsay Poulton), une expérience immersive intense développée par The Guardian à l’intérieur d’une cellule d’isolement carcéral ; Collisions (Lynette Wallworth), qui nous transporte au sein de la communauté aborigène des Martu dans le désert australien ; et S.E.N.S VR (Charles Ayats et Armand Lemarchand), premier jeu en réalité virtuelle adapté d’une bande dessinée qui nous emporte dans un labyrinthe méditatif et philosophique. L’installation Network Effect de Jonathan Harris et Greg Hochmuth, conçue à partir de milliers de clips web, nous confronte au meilleur comme au pire d’Internet. Enfin, les deux projets web Jerusalem, We Are Here (Dorit Naaman) et Projet Archipel (Guillaume Campion et Guillaume Côté) nous invitent respectivement à partir à la rencontre du cœur palestinien de la Ville sainte et des berges du Saint-Laurent autour de Montréal.
RÉTROSPECTIVES
Pierre-Yves Vandeweerd : une quête poétique de l’entre-deux-mondes
Il est l’un des cinéastes politiques les plus essentiels de notre époque et un véritable poète qui redéfinit constamment la démarche documentaire. Les RIDM célèbrent cette année l’œuvre de Pierre-Yves Vandeweerd (Territoire perdu, grand prix des RIDM 2011) en organisant sa première rétrospective nord-américaine. Cette rétrospective sera accompagnée d’une leçon de cinéma.
Le réel animé : quand le génie créatif de l’animation s’empare du documentaire
Programmé en collaboration avec les Sommets du cinéma d’animation, qui présenteront deux programmes dans le cadre de leur événement, Le réel animé propose un panorama éclaté des multiples modes d’appropriation du réel par l’animation, et vice versa. De Theodore Ushev à Jonas Odell, en passant par Marie-Josée Saint-Pierre, Chris Landreth, Pierre Hébert, Signe Baumane, Peter Lord et tant d’autres, les cinéastes de cette rétrospective nous emportent au-delà de la réalité pour mieux la regarder.
Deborah Stratman : les dessous du monde visible
Les RIDM développent également leur collaboration avec la série Visions en proposant trois programmes de films de Deborah Stratman, organisé conjointement avec la Cinémathèque québécoise. Une occasion unique de découvrir le travail d’une artiste multidisciplinaire majeure qui dévoile les dessous du monde visible.