Quand les fans passent derrière la caméra
Cinéma

Quand les fans passent derrière la caméra

Le 13 janvier dernier, un moyen métrage de 52 minutes sur l’univers d’Harry Potter a été publié sur YouTube. Attendu depuis des mois par les fans de la saga, le film Voldemort: Origins of the Heir (Voldemort: Les origines de l’héritier) a déjà été vu plus de 12 millions de fois, alors que la bande-annonce totalise environ 5 millions de vues (et 36 millions sur Facebook!). Des chiffres dignes d’une sortie au grand écran. 

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Bien sûr, visionner une vidéo YouTube ne coûte rien, mais le succès est tout de même impressionnant, d’autant plus qu’il ne s’agit pas de l’oeuvre de professionnels du cinéma, mais bien de fans, qui ne reçoivent aucun financement des studios hollywoodiens et qui parfois ont même du mal à obtenir leur accord. On appelle cela des «fan-films».

Le concept est loin d’être nouveau. Dès les années 1960 et 1970, de nombreux fan-films sont tournés, notamment par les amateurs de Star Trek. Puis vient la mode des films Star Wars et Indiana Jones! Les aventures du célèbre archéologue dans Les aventuriers de l’Arche perdue ont d’ailleurs été reproduites plan par plan par trois jeunes fans. Le tournage commence en 1982, alors qu’ils n’ont que 12 ans, et se poursuit sur les sept étés suivants! En 2014, les trois amis décident de mener une campagne de financement pour pouvoir reproduire la seule scène qui leur manquait: l’explosion d’un avion. En 2015, le film est finalement diffusé sur internet et est alors considéré comme le plus grand fan-film de l’histoire (c’est toujours le cas aujourd’hui!). En 2016, un documentaire sur la conception de ce fan-film arrive sur Netflix: Raiders!: The Story Of The Greatest Fan Film Ever Made.

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Si certains fan-films s’amusent à parodier l’univers original, comme Troops (1997), grand classique du genre qui reprend le concept de l’émission américaine Cops en l’intégrant dans l’univers Star Wars, la majorité des fan-films restent le plus fidèle possible à l’oeuvre originale.
Dans ce domaine, les fan-films de Star Wars et de Harry Potter sont légion. Ces films se concentrent souvent sur les origines d’un personnage bien connu et apprécié des fans. Pour Star Wars, nous pouvons citer parmi tant d’autres Darth Maul: Apprentice, qui imagine un moment important du célèbre apprenti Sith de Star Wars (vu dans La menace fantôme), ou encore Han Solo: A Smuggler’s Trade. Du côté d’Harry Potter, il n’y en a que pour Voldemort! Le grand méchant de la saga passionne les «potterheads» (nom des fans d’Harry Potter) puisqu’il reste toujours un personnage au passé mystérieux. Celui dont on ne doit pas prononcer le nom est ainsi le personnage principal du fan-film français Voldemort: Le maître de la mort (2016) ou encore du dernier fan-film au succès retentissant Voldemort: Les origines de l’héritier (2018).

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Tout comme de nombreux autres fan-films, ces deux productions ont dû obtenir l’accord des studios qui détiennent les droits de la saga. Pour Harry Potter, il a fallu se battre pour que Warner Bros. accepte de laisser faire les fans/réalisateurs italiens du dernier fan-film. «Warner Bros. ne nous a pas aidés, que ce soit financièrement ou autrement. Comme c’est un film réalisé sans but lucratif, nous n’en détenons pas les droits. En revanche, Warner Bros ne nous a donné son autorisation qu’à condition de respecter certaines règles, sur l’écriture, la musique, l’esprit visuel des films originaux.»

Car un dilemme se pose pour les studios concernés par les fan-films: d’un côté les productions de fans font office de publicité gratuite et permettent ainsi à un film ou à une saga de rester toujours vivante, mais elles peuvent également venir concurrencer les films originaux! En effet, depuis quelques années, la qualité des fan-films se rapproche de plus en plus de celle des films à gros budget. Dans ce cas-là, certains studios y voient une forme de violation des droits d’auteur et se sentent menacés.

Mais si Warner Bros. ne semble pas très enthousiaste sur la question des fan-films, certains studios vont jusqu’à faire supprimer en partie une oeuvre face à sa trop grande qualité. Ce fut le cas pour le fan-film Axanar (2015), inspiré de l’univers de Star Trek. Avec un budget de un million de dollars récolté par des milliers de fans à travers le sociofinancement, ce long métrage avait même l’audace d’avoir au casting un ancien acteur de la saga, Gary Graham. Une initiative qui n’était pas du tout du goût de CBS et de Paramount, surtout quand les studios ont découvert l’incroyable prélude de vingt minutes du film lors de l’événement Comiccon de San Diego en 2014.

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Les deux détenteurs des droits de Star Trek avaient alors déclaré dans un communiqué: «Les réalisations d’Axanar se veulent des productions de qualité professionnelle qui, comme l’admettent les accusés, utilisent de façon éhontée la propriété intellectuelle de Paramount et de CBS afin que cela «ressemble à un vrai film Star Trek». Ce à quoi le principal intéressé avait répondu: «Ce sont les fans de Star Trek eux-mêmes qui en pâtissent le plus. En attaquant Axanar Productions […], CBS et Paramount attaquent ceux-là mêmes qui ont, avec passion, permis à l’univers créé par Gene Roddenberry il y a si longtemps de survivre. Axanar est une lettre d’amour à Star Trek». Finalement, les studios auront réussi à couper la moitié du film avant qu’il ne soit partagé sur Internet…

Mais contrairement à Warner Bros, CBC ou Paramount, d’autres grands studios se sont tout de suite prêtés au jeu et encouragent même la production de fan-films. C’est le cas de LucasFilm avec Star Wars. Suite au fan-film Troops (1997), évoqué plus tôt dans cet article, LucasFilm a décidé d’organiser un concours de court métrage amateur chaque année. Ainsi, les fan-films sur l’univers imaginé par George Lucas se multiplient d’années en années.

Grâce aux moyens techniques de plus en plus accessibles financièrement (caméras, logiciels, costumes…), les fans ne sont plus de simples consommateurs. Ils deviennent eux aussi des créateurs et s’impliquent pleinement dans l’univers qu’ils affectionnent. Est-ce un bien ou un mal? C’est semble t-il à l’industrie du cinéma et aux grands studios d’en décider.