MBAM : trois tableaux changent de mains et retrouvent leur voie
Arts visuels

MBAM : trois tableaux changent de mains et retrouvent leur voie

Le Musée des beaux-arts de Montréal est aujourd’hui au carrefour de plusieurs destins et au coeur de l’histoire de différentes familles avec le don, la restitution et l’acquisition de trois tableaux à l’historique remarquable. En effet, à l’occasion de la présidence du Canada en 2013 de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, le MBAM a souhaité souligner la mémoire des disparus lors d’une cérémonie qui s’est déroulée dans sa salle de concert Bourgie, mardi.

D’un côté, un tableau, anciennement spolié lors de l’Anschluss puis restitué dernièrement à ses descendants, est aujourd’hui offert au Musée en l’honneur de Montréal, la ville refuge de tant de tragédies grâce à la générosité de la famille Jorisch. Ce tableau fut confisqué à Amalie Redlich dans l’Autriche nazie. Il s’agit des Enfants rentrant de l’école du peintre autrichien le plus important de l’époque Biedermeier, Ferdinand Georg Waldmüller.

De l’autre, le Musée remet Le Duo par le maître de l’école caravagesque d’Utrecht, Gerrit van Honthorst, à la famille Spiro dont les aïeux Ellen et Bruno furent privés lors d’une vente forcée en Allemagne. Ce tableau retrouve aujourd’hui sa famille d’origine mais le Musée a tenu à ce que la mémoire de la famille Spiro soit conservée au MBAM. Ainsi, à la faveur d’une acquisition du Musée faite à la récente foire d’art de Maastricht et aujourd’hui dévoilée : un portrait de fantaisie du même artiste, également sur un thème musical et daté de la même année, sera dédicacé en hommage à la famille Spiro.

Don : Les Enfants rentrant de l’école par Waldmüller, un tableau spolié puis restitué à sa famille qui en fait don aujourd’hui au Musée des beaux-arts de Montréal.

Ferdinand Georg Waldmüller est le peintre majeur de l’époque Biedermeier en Autriche. Waldmüller excelle dans les genres du portrait, du paysage et de la scène de genre où il combine avec originalité un traitement minutieux du sujet, un grand soin dans la composition avec une rigueur réaliste et une volonté innovatrice de capter la lumière naturelle en extérieur. À partir de 1830, Waldmüller passe ses étés dans la région montagneuse de Berchtesgaden, entre l’Autriche et l’Allemagne.

Ce tableau exquis, en parfaite condition et dans son cadre d’époque, provient d’une célèbre famille viennoise. Il a appartenu à l’industriel Viktor Zuckerkandl, important mécène de la Sécession et collectionneur de Gustav Klimt. À son décès, il revient à sa soeur Amalie Redlich. Avec l’Anschluss en 1938, ses biens sont séquestrés, Amalie étant déportée avec sa fille Mathilde dans le guetto de Lodz où elles disparaissent en 1941. Caché en Belgique pendant la guerre, le petit-fils d’Amalie, Georges Jorisch, survit pour s’installer à Montréal en 1957. En tant qu’héritier, il réussit à récupérer dans les années 2010-2012 certains biens spoliés, dont ce précieux tableau de ses souvenirs d’enfance. Récemment décédé, sa femme et ses descendants offrent cette oeuvre au MBAM conformément à la volonté de Georges Jorisch, pour remercier l’hospitalité de la ville de Montréal au lendemain de la guerre.

Restitution : Un tableau spolié, Le duo par Honthorst, quitte le MBAM pour retrouver sa famille d’origine.

Acheté de bonne foi en 1969 dans une galerie d’art, le MBAM remet aujourd’hui Le duo par Gerrit van Honthorst aux descendants Spiro après une recherche approfondie effectuée par le service des archives du MBAM suite à la réception de nouveaux éléments provenant des représentants de la famille.

Suivant la recommandation du groupe de travail dirigé par Michal Hornstein, président du comité d’acquisition d’art ancien du MBAM, le conseil d’administration présidé par Brian M. Levitt a décidé de retourner ce tableau. L’institution a obtenu le permis d’exportation indispensable au transport vers la maison de ventes aux enchères Christie’s Inc., où il sera vendu au bénéfice des descendants de la famille Spiro. Le MBAM transfère ainsi à la famille Spiro les droits, titres et intérêts reliés à l’oeuvre et recevra en contrepartie un dédommagement pour sa bonne foi. Au nom de sa famille, Gerald Matthes, petit-fils de Bruno Spiro, a tenu à exprimer sa reconnaissance envers le Musée pour sa collaboration.

Nathalie Bondil explique : « Si le Musée ne peut que regretter la perte d’un splendide tableau d’un maître de l’école caravagesque, il tient à ce que justice soit faite. Comme par une miraculeuse coïncidence, quand récemment nous avons découvert à la foire de Maastricht un joyeux portrait de fantaisie du même artiste, daté de la même année et sur le même thème, nous décidions aussitôt de l’acquérir, en partie grâce au fond de ce dédommagement, afin de commémorer à jamais le souvenir de la famille Spiro sur nos cimaises.»

Le duo a appartenu à Bruno Richard Spiro, un prospère marchand d’origine juive de Hambourg. Il l’acquiert probablement en mai 1931 quand le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg le vend par l’entremise de la maison de vente berlinoise Lepke. Cinq mois plus tard, dans un document manuscrit du 7 octobre, Spiro mentionne un Honthorst mettant en scène un Musizierendes Paar (un couple faisant de la musique) exposé dans son salon de musique. Par cet écrit, il lègue à sa femme Ellen Clara Spiro, son manoir de la Heerstraße 85 à Berlin avec tous ses biens meubles. Sous le régime nazi, il est déporté et meurt en 1936. Quant à sa femme, forcée de céder tous ses biens en 1938, elle émigre en Grande-Bretagne la même année.

Acquisition : La femme au Luth par Honthorst en commémoration de la famille Spiro.

Gerrit Van Honthorst se forme dans l’atelier du peintre d’Utrecht, Abraham Bloemaert. À Rome, où il s’installe vers 1610 jusqu’en 1620, le jeune artiste hollandais subit l’influence du Caravage et rencontre les caravagesques espagnol et français, José de Ribera et Valentin de Boulogne. Il obtient des commandes du cardinal Scipion Borghèse, collectionneur réputé et protecteur du jeune Bernin. Revenu triomphalement à Utrecht, Honthorst combine les puissants contrastes d’ombres et de lumière du Caravage avec un naturalisme bon enfant. Une visite fructueuse en Angleterre en 1628 accroît sa renommée internationale : il recevra des commandes de la famille royale et, après son retour, de la famille du prince d’Orange, ainsi que de collectionneurs privés sa carrière durant. La localisation de cette peinture était inconnue jusqu’à sa récente mise en marché par un collectionneur privé français, acquise par son aïeul au milieu du XIXe siècle. Signée et datée (G. Honthorst fe. 1624), elle appartient à un groupe de portraits de genre de musiciens exécutés entre 1623 et 1628, et plus particulièrement autour de 1624.

Le spécialiste Wayne E. Frantis l’associe à un tableau conservé jadis dans la collection du prince d’Orange, cité dans un inventaire de son palais Noordeinde à La Haye en 1632. L’oeuvre suivante sur la liste représente une « nimphe » jouant de la guitare (bandoor) dans un cadre noir, également par Honthorst. Même si la description est sommaire et même si l’artiste a réalisé plusieurs sujets similaires, Frantis n’en associe pas moins la toile du MBAM à cette illustre collection. Deux autres Honthorst sur le même thème appartenaient également à cette collection, selon l’inventaire dressé en 1755 pour une autre résidence royale à Honselaarsdijk. Une « Femme jouant du luth, sur une toile dans un cadre noir » figure dans un inventaire de 1793, mais mesure 96 x 74 cm; ces dimensions sont peut-être erronées, car elles ne correspondent pas aux proportions habituelles de ce type d’images chez l’artiste (81,5 x 64,5 cm généralement, comme la peinture du Musée). Dans cet inventaire, une Femme accordant un luth faisait pendant à une Femme à la guitare. Ce qui ne signifie pas forcément que les deux oeuvres aient été conçues comme une paire (nous savons que pendant certaines périodes, les deux peintures de la collection du prince d’Orange étaient accrochées séparément), ni que notre version soit bien celle du prince d’Orange. L’histoire récente se complique cependant, puisque deux peintures, mesurant chacune 82 x 68 cm, ont été réquisitionnées par Napoléon Ier après la fuite de Guillaume V d’Orange en 1795, et qu’elles sont arrivées à Paris en 1796 : l’une est conservée au musée du Louvre (cette toile est signée et datée de 1624) et l’autre au château de Fontainebleau.

Si Wayne E. Frantis suggère que le tableau du MBAM est le pendant de celui du Louvre, Hilliard T. Goldfarb suggère plutôt une autre oeuvre, un musicien peut-être (des exemples de pendants similaires existent à l’Ermitage et à Lviv). Des recherches approfondies sont donc nécessaires pour percer le mystère de cette peinture datant des plus beaux jours de Honthorst.

D’autres oeuvres restituées par le MBAM

Rappelons que le MBAM a été le premier musée canadien à restituer une oeuvre à son propriétaire d’origine avec le concours du gouvernement du Canada. Il s’agissait du tableau de Giorgio Vasari, Les noces de Cana, rendu au Musée des beaux-arts de Budapest en 1999. Le musée hongrois avait alors tenu à exprimer sa reconnaissance à l’institution montréalaise en lui prêtant des oeuvres majeures de sa collection, qui allaient faire l’objet de l’exposition De Raphaël à Tiepolo : Chefs-d’oeuvre italiens de la collection du Musée des beaux-arts de Budapest présentée au Musée des beaux-arts de Montréal en 2002. De plus, en novembre dernier, le MBAM a remis un Toi Moko au Musée de la Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa de Wellington lors d’une cérémonie officielle en présence des instances des deux musées respectifs. Le retour en Nouvelle-Zélande de cette tête māori faisait suite à la demande des populations indigènes māori qui, depuis deux décennies, ont entrepris des démarches pour rapatrier environ 500 restes ou têtes tatoués et momifiés, dispersés dans les collections publiques du monde entier.

www.mbam.qc.ca