Gil Courtemanche est mort
Le journaliste et romancier Gil Courtemanche est décédé cette nuit des suites d’un cancer.
En plus d’avoir eu une remarquable carrière de journaliste – aurant à la radio que dans la presse écrite -, Gil Courtemanche a publié plusieurs romans ces dernières années, dont Un dimanche à la piscine à Kigali qui a été par la suite adapté au cinéma. et Je ne veux pas mourir seul.
Toute l’équipe du Voir offre ses sincères condoléances à la famille de ce grand homme de lettres.
Un homme bâti d’un seul bloc passionné par son métier de journaliste autant comme écrivain,honnête,franc,droit,je crois
que le Québec a perdu un grand homme.
J’avais beaucoup apprécié ce récit de Gil Courtemanche…
Je suis vraiment désolée d’apprendre son décès…
Courtemanche, Gil._ « Je ne veux pas mourir seul »
(éd. Boréal)
autofiction
Gil Courtemanche a fait de son récit une déclaration d’amour qui resterait vaine si elle n’avait pas été éditée, puisque la femme à qui elle s’adresse l’a quitté.
Il ne lui tenait jamais la main, il cuisinait des mets fins pour elle.
Il ne lui disait jamais à quel point elle était importante pour lui, mais il guettait ses pas dans l’escalier à la fin de la journée.
Il semble que cette femme (qui fut, pour lui, LA femme, toutes les femmes), il l’ait aimée à sa façon.
Et que ce n’était pas suffisant.
Classique…
(Mais pas encore assez.)
Ses médecins lui ont annoncé qu’il était atteint d’un cancer et qu’il n’en avait plus pour longtemps. Pourtant, le départ de Violaine semble avoir balayé tout le reste : la maladie, les succès littéraires, la carrière, la famille…
Confession d’un dépendant affectif? Courtemanche écrit :
« Admettre qu’on meurt quand une femme nous quitte n’est pas se diminuer, se rendre petit, se dénigrer. Ce n’est pas le fait d’un homme faible et sans échine, sans existence individuelle. C’est le constat que fait un homme âgé qui découvre le véritable amour et qui le perd. Le bilan qu’il tire d’avoir enfin rencontré la première et perdu la dernière femme.
Ce n’est pas parce qu’une femme nous grandit qu’on est petit. Et ce n’est pas humilité que de l’admettre. Sans elle, je ne suis pas rien. Je conserve mon intelligence, mes idées, mes principes, ma capacité d’aimer. Mais ces qualités, ces caractéristiques de moi deviennent virtuelles, comme faisant partie d’un jeu de rôles où il faudrait engranger les qualités de Gil pour survivre et triompher des monstres. Problème : ces forces ont besoin de l’existence de Violaine pour s’exprimer. Sans elle je ne suis pas moi, je suis un autre que je ne connais pas bien. Et je ne sais pas si cet autre a vraiment envie de vivre. »
Je me demande si les écrivains sont conscients de la chance qu’ils ont : ils peuvent faire d’un échec existentiel un succès littéraire…
Est-ce une chance, en fait? Peut-être pas… peut-être que cela ne change rien à leurs déboires, ne leur donne pas l’impression de s’être racheté ou d’avoir grandi…
Mais faut-il grandir à tout prix?
Écrire doit-il absolument constituer un geste rédempteur?
Ce que j’ai particulièrement apprécié de ce récit, c’est son absence totale d’analyse psychologique et moralisatrice. Il s’agit d’un homme qui se tient debout, pas mal chancelant (pourrait-il en être autrement?), devant sa mort et sa solitude. Froidement. Sans aucun espoir.
« Sans elle, je ne suis pas moi »?
Gil Courtemanche est sans doute le dépendant affectif le plus lucide et le plus fataliste que j’aie lu… ou bien il a compris le vrai sens de la vulnérabilité et l’a pleinement assumé… ce qui me semble être la plus belle réalisation qu’un homme puisse faire…
Pour ma part, je n’en suis pas là.
Bien sûr que sans lui, je suis moi!
« J’ai peur. J’ai besoin de toi. Tu n’aimes pas qu’on ait besoin de toi. Tu aimerais que nous soyons tous aussi solides que toi tu l’es en apparence. Le besoin n’est pas la dépendance, ma chérie, c’est la reconnaissance de la force et de la richesse de l’autre. Ce n’est pas non plus un jugement négatif sur soi, un aveu de faiblesse, c’est l’acceptation du fait qu’exister seul et sans besoin d’un autre est une forme de pauvreté ou d’orgueil mal placé. »
J’aimerais bien répondre à Gil Courtemanche qu’il se trompe entièrement… qu’on peut se tenir seul devant sa mort –et dans sa vie.
Mais je n’ai pas son talent littéraire pour le faire.
Ni son âge.
Ni son expérience de la vie.
Ni son cancer.
Je crois que je vais me taire.
Il n’y a pas d’éloge plus délétère que celui que l’on va déposer sur la tombe d’un personnage public. J’ai bien écrit » personnage », car je ne connaissais pas l’homme. Mais le journaliste, d’abord questionnaur à Radio-Canada et ensuite chroniqueur au quotidien parisien « Le Devoir », le journaliste, dis-je, je l’ai toujours trouvé insupportable. Insupportable d’une prétention rentrée dans sa façon de poser des questions, toujours sur ses gardes, au bout de son siège, l’air torve, comme s’il se fichait d’entendre la réponse du questionné.
Sans doute parce que son idée sur les événements, les gens, et la vie par extention, tout cela me semblait définitivement règlé pour lui, tassé à jamais dans une pensée truffée de ruminations négatives.
Et j’ai pu vérifier la véracité de mes intuitions à son sujet quand il était à Radio-Canada en le lisant par la suite pendant plusieurs années dans le journal.
Un penseur « rugueux », qu’on nous dit, je veux bien, mais en quoi exactement? Un gauchiste borgne comme il en pleut ici et en Europe, un homme qui détenait dans sa personne le double pouvoir de journaliste et d’écrivain. Et incapable d’assumer modestement ses deux rôles dans un pays plus que jamais incertain. Il ne pensait pas comme tout le monde, qu’on nous serine encore…Et alors? Es-t-on plus vrai parce qu’on pense pour soi même seulement, quand on fait dans le journalisme?. Tel que je l’ai vu à la tv, et ensuite dans ses chroniques, Courtemanche m’a toujours semblé affligé d’un mal terrible: l’incapacité d’aimer quoique ce soit ou qui que ce soit dans son métier ,hors de lui-même. Cela dégoulinait encore plus fort dans son travail de chroniqueur surtout, jamais heureux, même s’il lui arrivait parfois, par distraction, d’avoir l’air heureux(ou hébêté) d’avoir posé une bonne question.
Ce que j’en dis ici, c’est uniquement à titre de consommateur de nouvelles, car toute mort d’homme est une tragédie. On meurt seul, quoiqu’on fasse, quoiqu’on pense et je ne suis pas sûr que Courtemanche aurait dû s’en ouvrir à nous dans un livre. Mais je ne connaissais pas l’homme, et je m’interdis d’aller voir de ce côté-là des choses…