Rappeur au sein du groupe indépendantiste Loco Locass, Biz s'est prononcé sur le choix idéologique qu'a fait la CBC en coupant au montage la présence des Québécois lors du gala d'intronisation au Panthéon des Auteurs et des Compositeurs Canadiens. Le texte se trouve sur le site officiel des Loco Locass.
22 avril 2008
Le Québec coupé au montage
Je vous fais honte
Vous ne m'aurez pas vous devrez m'abattre
Avec ma tête de tocson, de nœud de bois, de souche
Ma tête de semailles nouvelles (…)
Je me désinvestis de vous, je vous échappe
-Gaston Miron
Le Canada aime bien s'enorgueillir de la richesse culturelle québécoise. À Ottawa, on ne compte plus le nombre de cérémonies bilingues et soporifiques soulignant la vigueur du Québec dans l'érection de l'identité canadienne.
La plus récente de ces excitantes manifestations était le gala d'intronisation au panthéon des auteurs et des compositeurs canadiens, diffusé avec enthousiasme par la CBC. Cette année, on avait notamment choisi de rendre hommage à Claude Dubois. Or, sous prétexte de préserver ses cotes d'écoute, la version télévisée de l'événement a été nettoyée de toute trace de présence québécoise. Plutôt que de célébrer son ramage, on a coupé Dubois. Cette discrimination a même été érigée en système, puisque depuis trois ans, les organisateurs de l'événement demandent aux présentateurs francophones de ne pas se tenir physiquement trop près de leurs confrères anglophones, afin de faciliter le travail du monteur qui les fera disparaître.
Au fait, expurgé de sa lie québécoise, ce palpitant gala a intéressé combien de Canadiens ? Probablement l'équivalent de l'ïle-du-Prince-Édouard. À ce stade, qu'est-ce que ça aurait changé de perdre les spectateurs incapables de voir Raymond Lévesque rendre hommage à Dubois ? Le mandat de la CBC n'est-il pas justement de lancer des passerelles entre les deux solitudes ? Et puis, si la société d'État se préoccupe vraiment de cotes d'écoute, elle devrait honorer la très canadienne Pamela Anderson, une valeur sûre pour gonfler l'audimat.
Cet incident est une parfaite analogie de la relation Canada-Québec. Dans les discours, le Québec nourrit la diversité et la vitalité du Canada. Mais quand vient le temps de révéler au grand jour la différence québécoise, on la gomme, sous prétexte que le ROC ne s'y reconnaît pas. Dans le grand film du Canada, ce n'est pas la première fois que le Québec se fait couper au montage. Pensons seulement au rapatriement de la constitution.
Ce qui désole dans ce triste épisode, ce n'est pas tant le geste des coloniaux que la réaction des colonisés. Avec raison, Dubois s'est offusqué de sa discrimination, qu'il a même associée au racisme. Il a été appuyé par des politiciens québécois de toutes allégeances, qui ont dénoncé son traitement devant le comité des langues officielles. Je m'étonne qu'on s'étonne, mais jusque-là, ça va.
Mais le plus beau de l'histoire, c'est l'article de l'infatigable Alain Dubuc, paru le 20 avril dans La Presse. Ce type est fascinant. Toujours à chroniquer du bord du plus fort, ce super héraut canadien ne manque jamais une occasion de défendre son maître contre la petitesse et l'ingratitude québécoises. D'abord, il réfute l'accusation de racisme et de francophobie. C'est bien connu, le Canada est très gentil et ne peut pas être raciste envers les Québécois. Indélicat ou maladroit, tout au plus. Mais transposons un peu. Imaginons qu'aux Etats-Unis, la télé d'État zappe systématiquement les Noirs d'un gala, sous prétexte que les Blancs ne les connaissent pas… Si ça c'est clairement raciste, qu'on m'explique pourquoi l'affaire du panthéon ne l'est pas.
Dubuc poursuit en sermonnant les Québécois : et nous, qu'est-ce qu'on fait pour diffuser la fabuleuse culture canadienne à l'Adisq et aux Jutra ? Mais comment Dubuc peut-il confondre le tout et la partie avec autant de mauvaise foi ? Le panthéon salue les artistes canadiens. L'Adisq et les Jutra honorent les créateurs québécois. La question n'est pas de déterminer qui diffuse le plus la culture de l'autre mais de savoir si la partie Québécoise est incluse dans le tout Canadien. Pas selon la CBC. Pas selon moi non plus. Le problème ce n'est pas que le Canada nous coupe au montage; c'est qu'il nous honore comme faisant partie de la famille avant de nous rayer de la photo souvenir.
Je ne sais plus qui a dit qu'il n'est de pires chaînes que celles dont on ne sent plus le poids. Combien d'affronts de ce genre faudra-t-il avant de comprendre que le Canada n'a jamais compris le Québec (dans les deux sens du terme) ? En ce qui me concerne, il est plus que temps que temps que les Québécois cessent d'être figurants dans le film des autres. Nous avons une bonne histoire, c'est à nous de réaliser le long métrage du Québec.
Biz
À la prochaine fois…