Musique

21 observations sur l’Autre Gala de l’ADISQ

1- L'ovation réservée à Oliver Jones, gagnant dans la catégorie Album jazz interprétation, a été l'un des quelques moments chaleureux du gala. L'un des rares artistes à faire l'unanimité hier soir.

2- Meilleur Album country : Pat Groulx et ses bas blancs. Quelle honte… Avec tout ce qui se passe sur la scène country actuellement, autant du côté des festivals en régions que dans les bars du Plateau / Mile End, remettre ce prix à Pat Groulx est horrible. Rappelons que les quatre disques en lice étaient les seuls inscrits dans la catégorie.

3- Je suis toujours content de voir les percussionnistes de Karkwa accompagner Radio Radio sur scène. Le genre de collaboration saine pour la scène considérant son mélange des genres.

4- Quand Alain Lefèvre remporte le Félix de l'Album instrumental de l'année, c'est comme si Céline Dion écrasait toute compétition dans la catégorie Interprétation dans une autre langue que le français. Difficile d'accoter un monument.

5-Meilleur album alternatif: Karkwa était pas mal incontournable. Dommage pour Le Husky qui avait le deuxième meilleur disque en compétition. Il faut aussi savoir que seulement 8 albums ont été inscrits dans la catégorie cette année. Est-ce qu'Orange Orange ou Boni Suba se serait rendu jusqu'au gala autrement?

6- Remerciements pertinents de Marc Hervieux pour l'Album classique vocal. «De nombreux chanteurs et chanteuses d'opéra d'ici décrochent de gros rôles à l'étranger. Nous devrions être aussi fiers que lorsqu'un athlète de chez-nous remporte une médaille olympique.» Il a bien raison.

7- Album Hip-hop de l'année. La victoire de Manu Militari sur Radio Radio soulève avec raison son lot de questions. Militari est le meilleur rappeur de la scène «plus street». Il a généralement de bons textes, un bon flow (même si monotone), et il possède surtout une aura dont peu de rappeurs locaux peuvent se vanter. Trop de MCs s'émulent les uns les autres, Manu Militari ne ressemble à personne.

Après plusieurs choix douteux, dont celui de remettre le Félix Hip-hop à Loco Locass pour Invivo plutôt qu'à Sans Pressions en 2004, les artistes de la rue ont mené un combat fracassant afin qu'un jury spécialisé détermine le gagnant de cette catégorie. Ils ont obtenu gain de cause. Ainsi plusieurs acteurs de la scène «street» ont choisi Manu Militari au détriment de Radio Radio qui a nettement fait plus de vague dans le milieu pop avec Belmundo Regal. Or, Manu vend sensiblement le même nombre de disques que Radio Radio sans profiter de la même attention médiatique. Qui mérite le prix? C'est discutable. Je penche pour Radio Radio.

8- Les remerciements de Manu Militari ont été à son image: sans compromis. Il s'est lancé dans un monologue contre l'exploitation des artistes par les producteurs. Une vision très manichéenne, purement «street».

9- En remportant le Félix pour le clip Le Printemps des amants de Mara Tremblay, la boîte Parce Que Films a mis la main sur le prix du Meilleur vidéo pour une troisième année de suite. On appelle ça une domination. Cette industrie en est plein essor créatif, chapeau! En arrêt de travail pour épuisement professionnel sérieux, Mara semblait en forme.

10- Artiste s'étant le plus illustré hors Québec. Si la victoire de Cœur de Pirate était prévisible, ses remerciements l'étaient moins. Comme Kanye West lors des MTV Awards, Béatrice Martin s'est permis de contester la légitimité d'un gagnant, soit Manu Militari pour l'Album hip-hop. «Radio Radio a fait le meilleur disque hip-hop de l'année.»

Cœur de Pirate est habituée de dire tout ce qu'elle pense sur Twitter, mais le faire live au gala demande pas mal plus de cran. On est loin des blogueurs qui se cachent sous l'anonymat pour se moquer d'elle ou de ces artistes qui ont peur de se mouiller. Juste pour ça, elle mérite le respect.

11- Album anglophone de l'année. La victoire de Bobby Bazini était aussi inévitable, même si je préfère We Are Wolves. Sauf que cette catégorie démontre à quel point l'ADISQ est déconnectée d'une scène anglophone montréalaise devenue incontournable. Think About Life, Clues, Besnard Lakes, Land of Talk… On ajouterait Arcade Fire si The Suburb avait été lancé quelques mois plus tôt.

12- Vêtu de bas noirs, d'une camisole et d'une paire de boxer, Damien Robitaille est venu chanter sur scène On est né nu. Ce type est un bouffon né, une version moderne de Claude Blanchard.

13- Performance honnête de Bernard Adamus. D'ailleurs, s'il avait été en lice pour l'album Country plutôt que Folk contemporain aux côtés de Luc De Larochellière, Gilles Vigneault, Damien Robitaille et Fred Pellerin, notre Bernard Adamus aurait rehaussé la qualité des finalistes et sans doute battu Pat Groulx.

14- Si Rémi-Pierre Paquet avait lu les tweets de Steve Marcoux, Alain Brunet ou Pop Montréal au cours de la soirée, le gala aurait été plus épicé.

15- Je n'aurais pas voulu être Béatrice et revenir sur scène pour présenter deux trophées après son statement sur Radio Radio. Qu'elle ait raison ou tord, son geste était spontané. Ce genre d'impulsion draine énormément d'énergie et génère son lot d'émotions. Il faut l'assumer jusqu'au bout. Si le geste est reçu froidement en plus, ça fatigue le moral, qu'on s'appelle Cœur de Pirate ou non. Son stress s'est malheureusement traduit par un faible niveau d'entrain au moment de dévoiler les gagnants (Nicolas Pellerin et Jean-Pierre Ferland). Après sa surprenante sortie, voilà qui était loin de la rendre sympathique. Surtout que son rôle dans une mise en scène douteuse avec Rémi-Pierre Paquin lui donnait une image antipathique.

16- À partir du milieu du gala, on a consacré beaucoup trop d'attention à Cœur de Pirate. La moitié des blagues de Rémi-Pierre Paquin faisaient référence à la chanteuse. À un moment, ça fait.

17- Parlant de Rémi-Pierre, bien meilleur comédien qu'animateur ou humoriste, il s'est amélioré depuis quelques prestations «malaisantes» lors de galas GAMIQ. Il est assez inégal, en fait. Parfois, on rit de bon cœur, tantôt par politesse, et d'autres fois pas du tout.  Parmi les bonnes lignes: «Dans le fond, la catégorie Album musique du monde récompense des disques lancés par des personnes, par du monde… Mais si Chewbacca sort un album de polka, est-il admissible à la catégorie musique du monde?»

18- Jean-Pierre Ferland est venu chercher son prix pour l'Album populaire de l'année. Son disque, Bijoux de famille, est passé devant Les sentinelles dorment d'Andréa Lindsay, qualifié de Meilleur album francophone au dernier gala Juno. Les gens du Juno semblent avoir compris quelque chose qui échappe au jury de l'ADISQ.

19- Meilleur Album jazz création. Jordan Officer représentait un choix facile, limite populiste, même si le guitariste a ses mérites. Chez Voir, notre chroniqueur jazz, le crédible Stanley Péan, a donné 4.5 étoiles au disque de Christine Jensen aussi dans la course, mais plus obscure aux yeux du grand public.

20- Le prix Interprétation dans une autre langue remis à Beast est une autre preuve que le gala est complètement déphasé. On passe encore une fois à côté de nombreux goupes qui ont autant le vent en poupe que Beast, dont l'album date de 2008. Think About Life, Plants & Animals, Besnard Lakes, Land of Talk, Chromeo. Pas certain pour Arcade Fire qui n'a pas été très actif pendant la période couverte par ce gala.

21- Musique Plus a connu un problème de diffusion vers la fin du gala. Pendant une grosse minute, on a présenté un écran fixe avec en fond sonore l'animateur de foule, Luc Fauchon, qui expliquait au public le déroulement de la soirée, un peu avant 19h30. On y apprenait que le gala était diffusé sur M+ avec un délai de 30 minutes, ce qui permettait à la foule de vivre la cérémonie sans interruption publicitaire. Ce retard a causé de drôle de situation sur Twitter. Voulant réserver la surprise aux téléspectateurs, plusieurs usagers commentaient l'événement en demeurant vague sur le nom des gagnants. D'autres vendaient le punch, ce qui est tout à fait normal. C'est la grande utilité de Twitter: faire circuler l'information, briser des embargos, lire des scoops.