Tegan and Sara: «Ça va mieux!»
À quelques jours du retour d’un nouveau concert très attendu de Tegan and Sara à Montréal, Sara Quin aborde les retombées de leur plus récent album Heartthrob en plus de jaser mort et Lego. Pourquoi? Pourquoi pas.
Première question pour briser la glace: au fil des années, le groupe a traversé différentes tangentes musicales, allant du folk dit «indie» à la pop électro. Comment ce matériel est-il transposé sur scène pour cette nouvelle tournée? Est-ce que vous vous limitez à Heartthrob? Adaptez-vous vos «succès souvenirs» afin de mieux les faire cadrer dans la signature musicale de votre plus récent disque?
On tente vraiment de maintenir une certaine cohésion, une certaine cohérence dans ce nouveau spectacle construit autour de Heartthrob. On mise donc sur les pièces de cet album, mais on revisite aussi du vieux matériel — plus «organique», disons — à la sauce «électro pop». Comme c’est plus une question de «maquillage» que de… «défiguration», l’exercice semble plutôt plaire aux fans d’antan.
En considérant les pièces à adapter pour cette tournée, on a réalisé que plusieurs pièces de nos trois albums précédents s’accordent déjà plutôt bien avec Heartthrob, en fait. J’espère qu’on jouera de la musique encore longtemps et qu’au fil des années, nos inspirations et inclinaisons changeront et amèneront leur lot de refonte au matériel de Heartthrob.
Justement, revenons à la création de Heartthrob qui a profité d’un bel accueil autant du côté du public que de la critique. Est-ce que sa direction définitivement plus pop a été une source de soucis lors de la création du disque? Est-ce que, par exemple, vous vous êtes demandé si vos fans purs et durs allaient vous «accompagner» là-dedans?
On parle beaucoup de longévité et de durabilité, Tegan et moi. Vous savez, on fait des albums depuis beaucoup plus longtemps que l’on aurait imaginé au départ. Auparavant, je croyais qu’un groupe avait une durée de vie de dix ans avant de commencer à s’enliser avec des albums moindres! La pensée de le faire autrement ne nous a même pas croisé l’esprit.
En fait, je crois qu’on sentait inconsciemment qu’on se devait de le faire, qu’en refusant de se réinventer de la sorte et en sortant quelque chose de prévisible ou d’attendu, on risquait davantage. D’où notre «récompense»: on a gagné plusieurs nouveaux fans et l’attention de médias de masse avec cet album tout en maintenant notre lien avec les fans des premières années.
En parlant de pop, plus tôt cette année, vous avez produit la chanson très pince-sans-rire Everything Is Awesome pour The Lego Movie. Alors que la chanson était utilisée dans le film comme un exemple de chanson pop incroyablement populaire, mais complètement vide de sens, celle-ci est devenue un véritable tube! Bref, je me demandais ce que vous pensiez de la musique pop. Est-ce un genre musical jugé de trop haut, disons?
Tout dépend de la notion de musique pop. Comme on a grandi dans les années 1980, la musique pop pour nous est tout simplement populaire. Elle n’est pas liée à un genre particulier. Aujourd’hui, je crois que ça relève davantage de ce qui se retrouve sur les palmarès de ventes ou des radios. Le sens est donc large. Pour moi, c’est autant le duo à succès de Jay Z et Beyoncé que la nouvelle chanson de U2 ou encore le nouveau disque de Robyn que j’adore qui n’est pas un album «pop» pour la masse, mais qui a tout de même une facture sonore très dance.
Tenez, un exemple, j’ai écouté quelques extraits du gala Billboard et — sûrement comme vous — il y avait beaucoup de moments qui m’ont fait rouler des yeux, mais il y avait aussi de bons moments qui m’ont épaté comme la prestation de Lorde, par exemple. Ça aussi, c’est maintenant pop. Je crois donc que la pop est quelque chose qui s’insère dans la culture populaire, qui devient un phénomène plutôt qu’un genre musical qu’on doit mettre au rancart pour être dans le vent.
De nôtre côté, ce qu’on voulait faire, c’était quelque chose qui rejoindrait un public plus grand, et donc les radios, etc., mais avec intelligence, esprit et lucidité et je crois que c’est ces traits qui ont fait en sorte que l’accueil a été aussi favorable, autant lorsque nous étions plus indie folk organique que pop électro musclée.
Mine de rien, votre groupe est également devenu une référence culturelle au fil des années. D’un côté, on a NOFX qui vous mentionne dans Creeping Out Sara. Puis, de l’autre, on a les White Stripes qui reprennent Walking With A Ghost. Quel effet est-ce que ces clins d’œil ont sur vous?
Ça a un effet double, en fait.
C’est vraiment un honneur lorsque d’autres musiciens reprennent nos pièces, surtout lorsque c’est des artistes que l’on respecte, tout comme faire de la tournée avec eux. Tout ça nous fait penser que — comme vous le dites — «toutes ces années de dur labeur sont récompensées», mais, de l’autre, ça nous rappelle notre propre mortalité!
On se demande parfois quel sera notre legs; si ce qu’on créé laissera une trace. «Lorsque nous ne serons plus là, est-ce qu’on va se souvenir de nous?» Ce genre de choses! Avant cet album, j’avais toujours des doutes, car je n’étais pas certaine qu’on avait tant de temps devant nous.
Avec ce disque, j’ai l’impression que nous nous sommes introduites à une nouvelle génération de mélomanes. On voit maintenant des jeunes à nos concerts qui sont nés alors qu’on commençait à faire de la musique! Quand je vois ces ados de 13, 14 ans à nos spectacles, je me dis «OK, si on continue de faire de la musique intéressante et honnête, ça nous donne au moins cinq, voire dix, années supplémentaires dans cette industrie!»
Pendant qu’on y est, est-ce que cette industrie — qui vous accueille maintenant à bras ouverts — est toujours un «boys club»? Bien que des artistes comme Beyoncé, Lorde, Grimes et Tegan and Sara qui s’y distinguent, il y a un commentaire sexiste — comme celui que Tyler The Creator vous a lancé il y a un bail — qui sera rapporté par les médias, mais auquel peu de congénères vont répondre…
Comme le monde du sport et d’autres industries, le show-business n’est qu’un reflet de sa société. Un certain sexisme institutionnalisé demeure, tout comme une certaine homophobie, un certain racisme et j’en passe.
Ça va mieux, par contre. Tellement que je n’appellerais plus ça un «boys club», mais je crois que les musiciennes — tout comme les autres artistes femmes — sont incroyablement critiquées pour les messages qu’elles véhiculent, leur corps, etc. Une nouvelle génération d’artistes féminines se distingue en musique et fait tomber des barrières, mais fait néanmoins face à des critiques qui, souvent, ne seraient même pas adressées à leurs collègues masculins.
Mais, ça va mieux! Je préfère me concentrer sur les changements positifs observés depuis que j’œuvre là-dedans professionnellement.
L’Internet a beaucoup aidé en permettant aux gens de dénoncer certaines situations sans dépendre des médias ou d’attachés de presse, etc. Ça a permis aux gens d’être plus francs, mais aussi plus ouverts.
Bien que certaines inégalités demeurent, je ne veux même pas envisager la situation pendant les années 1980! Ce n’est toujours pas parfait — rien ne l’est —, mais je suis certaine que c’est plus respectueux et amical!
Dernière question! Elle est à prendre au sens large. Comme vous faites de la musique ensemble depuis près de 20 ans, je me demandais si c’était possible de se lancer dans un genre de bilan de votre collaboration à ce jour…
Wow! Eh ben… je n’y ai pas encore pensé et j’en aurais pour un moment à répondre. Je dirai seulement que j’ai la chance de faire de la musique avec ma sœur qui est une personne — et une artiste — que j’admire beaucoup. J’ai donc la chance d’avoir mon propre groupe de musique, mais aussi de jouer dans mon groupe de musique préféré!
En concert le samedi 24 mai au Métropolis en compagnie de Motel Raphael et The Courtneys. Billets en vente via evenko.