Premier retour sur EM15: Bipolarité heureuse
Il y a toujours eu deux principales sortes de «mutekeux»: ceux qui viennent au festival pour réfléchir, expérimenter, découvrir, et ceux qui débarquent la nuit pour fêter au son de DJ qu’ils connaissent bien. C’est peut-être encore plus vrai avec EM15, qui fusionne les événements Mutek et Elektra. Cette alliance naturelle et bienvenue permet une meilleure diversité et une grande richesse de la programmation. Mais elle semble également avoir pour conséquence de polariser davantage les spectateurs. L’ajout de nouvelles salles traditionnellement vouées aux arts visuels, à l’Impérial et au Musée d’art contemporain, y est probablement aussi pour quelque chose.
Au cours de ces premiers jours de l’édition 2014, les propositions expérimentales, introverties et contemplatives étaient donc légion. Parfois un peu trop hermétiques pour le festivalier moyen. Pour reprendre les propos d’un touriste mexicain, venu à Montréal pour EM15, qui m’a interpellée au MAC: «What the fuck is wrong with you Montrealers? You people never dance?» Attends de voir les shows du Métropolis et tu m’en reparleras, mon ami. En effet, jusqu’à maintenant, le festival a créé deux clans, à l’image des deux principales soirées qui s’y déroulent en parallèle: les « Nocturnes » (au MAC) versus les « Métropolis », une nouvelle série inaugurée jeudi. Mais il reste encore plusieurs soirs pour changer la donne.
Le show de boucane
Au chapitre des expériences sensorielles hors de l’ordinaire, Tim Hecker, véritable habitué de Mutek, était de retour avec sa dernière performance conceptuelle «Fog Works», présentée deux fois mardi soir dans la salle Beverley-Webster-Rolph du MAC (celle où se déroule toute l’année la série des Nocturnes du musée). À mon arrivée, la fumée envahissait déjà l’entrée du musée. Il suffisait de la suivre pour parvenir au sous-sol du bâtiment, dans le nouveau QG emboucané de Hecker. Cette année, le musicien a pris le pari de noyer ses spectateurs dans un brouillard épais.
Dans la petite pièce peuplée de gens debout, assis ou couchés, il était en effet presque impossible de distinguer son voisin dans le flou. Immersif, intense et toujours aussi haut en décibels (bonjour les basses qui traversent le corps), ce show unique isolait chaque personne pour la confronter à la musique. Une expérience fascinante pour les uns, et insupportable pour les autres, selon les quelques commentaires recueillis à la sortie. Si certains n’ont pas vu le temps passer, d’autres ont eu du mal à tenir plus de 15 minutes dans le cocon enfumé.
Virtuosité visuelle
Le lendemain, la plus grande scène du MAC offrait d’intéressantes propositions visuelles – car EM15 n’est pas qu’une affaire de son. Le spectacle Physical des Québécois Matthew Biederman et 4X (Alain Thibault) était, entre autres, un régal pour les yeux. Sur une trame assez linéaire fondée sur un martèlement (assez hypnotique merci), parfois entrecoupée d’explorations avec la voix, des images circulaires spectaculaires étaient actionnées en direct. Et pas juste pour faire beau ou étrange, comme c’est quelquefois le cas des perfos de VJ, mais en totale symbiose avec la musique. Un show introspectif où son et image étaient indissociables; l’un n’aurait pu exister sans l’autre.
C’était aussi vrai pour Dinos Chapman, un musicien et artiste visuel de Grande-Bretagne qui, à lui seul, a livré ensuite un Luftbobler très contrasté et d’une maîtrise irréprochable. Encore là, pas très festif, mais beaucoup de matière à se mettre sous la dent: des projections psychédéliques (parfois ludiques, parfois horrifiantes, mais toujours fascinantes) sur trois écrans, rehaussées par une techno plus terre à terre, mais traversée de murmures et de pointes mélodiques évanescentes. Difficile de ne pas se laisser hanter.
Les «vrais» débuts
Pour ce qui est d’hier soir, soit on plongeait dans l’expérience sonore proposée au MAC, soit on s’abandonnait à Richie Hawtin sur la piste de danse du Métropolis, bondé pour l’occasion, pendant près de 2h30. L’intellect ou le corps, pas de compromis possible. Après une lumineuse performance de Holly Herndon, artiste multidisciplinaire américaine dont le travail ludique se fondait sur l’expérimentation vocale et l’univers visuel de l’artiste japonais Akihiko Taniguchi, c’était au tour de Rashad Becker de monter sur scène au MAC. Sombre, aride et cérébral, le monde de l’ingénieur de son berlinois s’est toutefois avéré difficile à pénétrer pour la plupart des festivaliers, sur place pour voir Ben Frost.
La salle vidée par Becker s’est rapidement remplie de fans avides de découvrir le concert Aurora de l’énigmatique compositeur d’origine australienne, qui présentait à EM15 un show monumental et rythmé, appuyé par des percussionnistes sur scène. Si on s’attendait à un résultat plus créatif sur le plan visuel (une salle obscure avec des faisceaux blancs, OK), il n’en était pas moins impressionnant, organique, tribal, à la frontière des genres. Un coup de cœur en ce début de festival.
EM15 se poursuit dans plusieurs salles du Quartier des spectacles de Montréal jusqu’au 1er juin 2014.