Yann Tiersen : la musique des paysages
Musique

Yann Tiersen : la musique des paysages

Le multi-instrumentiste et compositeur Yann Tiersen dévoile aujourd’hui Eusa, son premier album de piano en solo. Entrevue avec un artiste abouti.

La Bretagne habite Yann Tiersen tout autant que lui-même l’habite. Insulaire d’Eusa, dans un petit archipel breton, le musicien a pris la décision l’an dernier de rendre hommage à sa contrée. Choisissant dix lieux marquants situés sur son île, il a composé pour chacun un morceau de musique pour piano. C’est ainsi qu’est née la version initiale d’Eusa, un livre de partitions pour piano accompagné d’un disque d’enregistrements sonores capturés sur le vif aux différents lieux ayant inspiré Tiersen (communément appelés des field recordings). C’est ces morceaux que l’on retrouve aujourd’hui sur Eusa, son tout premier album de piano en solo.

Selon lui, ce projet n’est pas qu’un simple trip : «De nos jours, il y a un rapport à la Terre qui se perd. On perd un peu les pédales. Moi je vis sur une île, plus ça va et plus je découvre des choses, je vois dans l’infiniment petit, et au final c’est aussi grand que le monde, en fait. Le but c’était aussi de créer un genre de carte musicale. Une carte, c’est à la fois la forme exacte d’un lieu et tout sauf sa représentation exacte. C’est froid. Du coup, c’était ça l’idée : prendre dix lieux et leur donner une représentation auditive, musicale. Juxtaposer un morceau et un lieu.»

Multi-instrumentiste de talent, Tiersen a tout de même pris la décision d’aller vers une instrumentation extrêmement épurée, seul devant un piano. Il ne faut pas y voir toutefois une réelle volontée de retourner au piano. Effectivement, c’est selon lui seulement un concours de circonstance qui l’a mené à faire ce choix, et c’est également une question de simplicité.

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Le projet de base n’a jamais été d’en faire un album. Je voulais laisser les gens s’approprier les morceaux. J’ai ensuite fait une tournée pour jouer les pièces en public, pour laquelle j’ai dû retravailler les field recordings. Je les ai modifiés, les transformants en drones dans la tonalité des chansons, de sorte à former un genre de déambulation à travers ces dix lieux. Du coup, l’idée d’un album s’est un peu imposée d’elle-même.

Le processus menant à l’élaboration de ces compositions est par ailleurs intéressant. Ce ne sont pas les lieux eux-mêmes qui ont fait naître les idées musicales, au final : «La musique m’est venue un peu au hasard. Cette connexion, pour moi, elle se fait après en fait. La règle que je m’étais donné, à la base, c’était de composer en faisant jouer les field recordings en boucle dans des écouteurs, mais même cette règle, je ne l’ai pas respectée! Le but, ce n’est pas tant de créer une pièce qui tire son existence du lieu, mais plutôt de créer un lien entre un endroit et un morceau. Cette relation entre les deux, elle se tisse après coup.»

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Pour le concert, Tiersen a retravaillé les field recordings, les bidouillant et y superposant des drones créés avec des synthétiseurs modulaires, pour en faire finalement une piste d’environ cinquante minutes, qui se retrouve également comme trame de fond pour l’album. Lentement, au fil de chaque morceau, ce fond mute d’un endroit à l’autre. En concert, il improvisait entre les pièces, pendant que la trame arrivait lentement à la prochaine destination. Ce côté improvisationnel se retrouve d’ailleurs sur l’album sous la forme de huit morceaux de transition complètement improvisés.

L’histoire derrière ceux-ci est particulièrement intéressante : «Quand je suis entré à Abbey Road, pour enregistrer l’album, je n’étais pas trop sûr de comment j’allais reproduire ces moments transitionnels. Finalement, ce que j’ai fait, c’est que j’ai pris la longue trame de 50 minutes, et j’ai fait une longue improvisation de 50 minutes par-dessus. Je l’ai ensuite découpée en huit morceaux qui s’intercallent entre les pièces de l’album. Je les ai intitulées Hent, ce qui veut dire « chemin » en breton.»

« Ça a d’ailleurs été un heureux hasard, tout ça. Je devais initialement enregistrer dans le studio C, mais les pianos qui s’y trouvaient n’étaient pas assez bons pour un album de piano solo. Le meilleur piano se trouvant dans le studio A, les gens d’Abbey Road ont été assez gentils pour m’offrir d’y aller pour enregistrer, à la place. Pour l’improvisation, on a éteint toutes les lumières, ne gardant qu’une petit lampe éclairant les touches. La pièce a véritablement influencé ma direction musicale. C’est hyper grand, et il y a plein de craquements de bois, pleins de bruits, c’est un peu comme des fantômes, quoi. D’ailleurs, dans le tout début de l’album y’a un espèce d’énorme son, un rumble dans le grave, qui est vachement beau. J’ai pensé au départ que ça venait des field recordings, mais non. Et ce n’est jamais revenu. J’ai tenu à le garder! »

Eusa, ce n’est d’ailleurs pas la fin des aventures de Tiersen avec ce concept. Il travaille actuellement à un autre album qui sera issu de compositions liées à des lieux : « Cet album, cette suite de heureux hasards, c’est très important, car ça me met sur le chemin du prochain. C’est une base, mais ça me permet d’affiner la méthode pour le prochain. Et ça ne sera pas du tout du piano solo. »