Francouvertes 2018: Par amour
Les Francouvertes 2018 se terminent le 7 mai. Ligne d’arrivée qui se fait miroitante pour les trois finalistes de cette édition: LaF, CRABE et Lou-Adriane Cassidy.
Avec des répertoires aux antipodes, ces artistes ont tous en commun cette franchise avec laquelle ils plongent dans un milieu qui peut sembler saturé. Ce qui nous a menés à parler avec eux du rapport au public, des étiquettes, de leur posture face aux incertitudes.
L’expérience des Francouvertes forge le caractère, révèlent les artistes à eux-mêmes et pour certains, les confortent dans leur vision, le rêve d’enfant dont le pari parait à chaque fois beaucoup trop risqué. Comme à la roulette russe. «C’est une belle poussée dans le cul de voir que ce matériel fonctionne devant des gens qui ne sont pas nécessairement notre foule habituelle, confie Thomas, membre du sextuor LaF. C’est vraiment beau.»
Et ce public, il est important en terme de nombre et de variété, et peut-être même parfois, plus dur qu’un jury. Les formations finalistes s’entendent pour dire que leur rapport au public influe sur leur prestation. Une relation tout de même enrichissante. Lors des préliminaires et les demi-finales, le Lion d’Or était configuré de telle manière que le public était assis. Cela peut être déstabilisant pour LaF, ce groupe de rap qui refuse que ce genre musical le définisse. Ou pour CRABE, qui allie son registre punk à une expérimentation scénique subversive. «Entre les chansons, les gens sont silencieux, ils sont attentifs au boute», s’exclame Martin, l’une des moitiés de CRABE.
«Il y a vraiment un rapport différent à la foule, une espèce de contrôle mental à avoir pour se dire qu’ils sont là, renchérit Thomas. Dans ta tête, tout le monde danse. Souvent, on s’accroche à ça dans nos spectacles. C’est ça qui va te donner le carburant et te pousser à aller plus loin, à garder la même intensité.» La chose est différente pour la jeune artiste Lou-Adriane Cassidy, maîtresse à bord de son projet musical, malgré ses nombreuses collaborations. Elle recherche cette écoute-là, cohérente avec sa démarche, son univers intime, même si «c’est tough de livrer ses chansons seule parfois», dit-elle.
SURMONTER LES DÉFINITIONS
On n’échappe pas aux désignations, et les finalistes le savent. «On fait tous partie d’étiquettes en tant qu’artistes, mais aussi en tant qu’êtres humains», croit Thomas. Ce qui est propre à LaF, c’est qu’ils jouent avec les registres autant qu’avec l’instrumental. «Il ne faut pas que ça stagne, j’ose croire que c’est la mission de n’importe quel artiste», affirme Justin (LaF).
Toutefois, les Francouvertes sont un concours-vitrine qui tend à l’ouverture envers tous les genres musicaux, où il est facile de se faire une place, malgré tout. Malgré les craintes d’un groupe comme CRABE. «Ce n’est vraiment pas notre milieu habituel, déclare Martin. On avait besoin d’une tape dans le dos pour y aller, ne pas avoir peur et se dire que ça allait bien aller.» C’est la preuve d’une certaine souplesse, la preuve aussi que des groupes de champ gauche trouvent leur place selon lui.
Certaines normes ont pourtant la vie dure et Lou-Adriane en témoigne comme une sorte de controverse. La jeune femme possède un répertoire en tant qu’interprète, mais aussi comme auteure. Le premier statut est bien moins vu selon elle. «Il y a des artistes qui ont écrit des chansons pour moi et c’est quelque chose que j’assume pleinement, explique-t-elle. Mon projet repose sur la collaboration, mais j’ai vraiment senti que ça avait créé un malaise chez beaucoup de monde.» Elle défend sa démarche comme une forme de création à part entière et tout à fait légitime.
«Il y a vraiment un bloc de l’histoire du Québec où on assume pleinement qu’auteur-compositeur-interprète is the shit, avance Thomas. Il n’y rien d’autre qui passe depuis une vingtaine d’années. C’est devenu le standard alors qu’on a eu de grosses vedettes comme Robert Charlebois qui ont écrit un album par eux-mêmes et le reste par d’autres personnes, qui ont créé un vaste univers de collaborations.» On peut se demander si la tradition de tout faire par soi-même exerce une certaine pression sur les artistes.
embrasser les doutes
Envers et contre tout, ils font quand même de la musique. Par habitude, par accident et par vocation. Pour ne pas travailler au McDo dit Lou-Adriane. Pour ne pas prendre d’antidépresseurs dit Martin. C’est la poursuite un peu naïf d’un rêve dit Thomas. «C’est un projet par lequel tu finis par te définir aussi, enchaîne Justin. N’importe qui va chercher à se définir par les moyens qui s’offrent à lui. Cette porte-là s’est ouverte à nous et tant mieux, c’est super beau que ça nous soit arrivé.»
Ce qui aide également, ce sont les nouvelles rencontres qui surprennent, les artistes que l’on découvrent, mais aussi les rencontres du passé. Celles qui ont amené six amis à se réunir autour d’un amour commun. «Il y a une question de solidarité, soutient Thomas. On est six personnes qui tripent de manière différente sur la musique et ça donne aujourd’hui six personnes qui se poussent dans le cul à donner un matériel qui, à la fin de la journée, nous fait sourire.» Benjamin, l’un des trois beatmakers de LaF, conseille la persévérance. Face au doute, il faut continuer, encore et encore.
«Ce qui est difficile, c’est de se détacher et d’arrêter de se poser des questions, car on n’est peut-être pas la personne qui est censée y répondre», conclut Lou-Adriane.
Finale Francouvertes
Club Soda – 7 mai