Notre beau week-end à Osheaga 2018
Retour en mots et en images sur les trois jours de la 13e édition du festival, qui se tenait au Parc Jean-Drapeau la fin de semaine dernière.
VENDREDI (par Valérie Thérien)
Je me souviendrai du 3 août 2018 toute ma vie. Non seulement j’ai eu la chance de m’entretenir une vingtaine de minutes avec une grande idole, Annie Clark (St. Vincent) – article à venir cette semaine, mais par un hasard qui m’est toujours incompréhensible, j’ai pu voir son show directement du stage. C’était un moment plutôt inusité et incroyable, mais cela dit, je ne pourrai pas faire ici une critique honnête de la prestation puisque le son n’était pas vraiment diffusé dans ma direction. Je peux vous dire, toutefois, que l’énergie était folle et que l’artiste épatait avec son excellent jeu de guitare. Guitares, plutôt, puisque St. Vincent a sa propre série d’instruments Ernie Ball faits sur-mesure. On en a vu littéralement de toutes les couleurs! Une guitare orange, jaune, une autre noire…
Des projections vidéo colorées et artsy derrière le groupe faisaient écho aux vidéoclips récents de l’artiste, des images qui marquent l’imaginaire, tout en provocation. Après quelques dates en solo suite à la sortie de son cinquième album Masseducation, St. Vincent renouait avec les trois musiciens qui l’accompagnaient sur scène ces dernières années, dont la bassiste Toko Yasusa. Celle-ci jouait à visage découvert tandis que les deux autres musiciens étaient plus anonymes sous des costumes beiges et des perruques blondes. J’ai trouvé ça intéressant que l’artiste soit d’égal à égal avec ses musiciens, c’est-à-dire que tout le monde était côte à côte avec le même espace de travail.
Parenthèse: quand on s’est parlés deux heures avant son spectacle, je lui ai demandé comment elle gérait les grandes chaleurs quand elle était en concert. «Oh, tu sais, je viens du Texas! Cette chaleur, c’est rien!», disait-elle avant de mentionner plus sérieusement qu’elle transpire, évidemment, mais que ça fait partie du plaisir de performer.
Un peu plus tard, on renouait avec les Yeah Yeah Yeahs neuf ans après leur spectacle à Osheaga en tête d’affiche. On sentait que la foule était divisée entre les trentenaires nostalgiques et enthousiastes – que ma gang et moi représentions fièrement – et les vingtenaires qui étaient plutôt là en attente de la tête d’affiche Travis Scott, en concert un peu plus tard. Karen O était tellement radiante et belle dans son habit plein de patchs. Le batteur Brian Chase était aussi dans un sacré bon mood vendredi soir, tout souriant et en symbiose avec Karen O, qui, en fin de concert s’est frayé un chemin parmi les spectateurs. Le spectacle n’était pas aussi énergique et mémorable que celui d’il y a neuf ans, mais quel bonheur de chanter en choeur Maps et autres grands succès.
Autre parenthèse: quelle excellente journée de femmes qui rockent à Osheaga! Il y avait aussi Jenny Lewis plus tôt dans la journée. Et Karen O a apparement dédié la pièce Maps à St. Vincent et Jenny Lewis lors de sa perfo.
Petit passage à la scène de la Vallée pour voir Lykke Li en début de soirée, habillée d’un magnifique manteau noir ample et d’un costume en latex. Elle était bien en forme en tout cas, à danser sur ses nouvelles chansons résolument plus R&B et hip-hop. Le rappeur Aminé n’était pas là pour faire son verse sur la super Two Nights, mais la Suédoise d’origine a bien assuré tout de même.
La première journée s’est terminée avec le génie James Blake, en formule trio. Malgré de petits problèmes techniques, le Britannique a gardé son calme – ne l’est-il toujours pas, en fait? – et nous a offert une heure de son parfait mariage de R&B, dubstep et soul. En plus de nous avoir gâté avec ses reprises des grandes chanteuses canadiennes Feist (Limit To Your Love) et Joni Mitchell (A Case of You), il a aussi envoyé une inédite qui semblait être sur le désir de toujours vouloir en faire plus, mais de se buter à un mur. Touchant.
SAMEDI (par Olivier Boisvert-Magnen)
Après s’être dument protégés du déluge, on commence cette deuxième journée tout en douceur avec le Philadelphien Son Little qui, comme par magie, provoque l’arrivée du beau temps. Sans être réellement inventif, son mélange tonique de R&B, de soul et de reggae se fond plutôt bien au décor ensoleillé qui se profile, donnant à la poignée de festivaliers présents au parterre l’occasion parfaite de s’étirer les muscles et de se balancer les hanches. Sympathique entrée en matière.
Remplaçant au pied levé le trio De La Soul, aux prises avec des problèmes de retard à l’aéroport, le rappeur Rymz propose une tout autre ambiance à la Scène verte. Accompagné par son DJ Shash’U et son guitariste Phil MG, le Maskoutain d’origine, qui avoue ne pas vraiment avoir dormi de la nuit, broie ses idées noires habituelles avec son flow posé, quelque peu en manque de vigueur en raison des heures de sommeil qui ont été plus courtes que prévu. Mais, au fur et à mesure que la foule lui transmet son énergie, le MC se réveille et rend justice à son oeuvre, notamment lors de l’interprétation de deux de ses principaux succès, Ma zone et Foutoir.
Changement de cap tout aussi saisissant avec la bête de scène Chronixx, qui enflamme la Scène de la montagne. De plus en plus dense, la foule vit alors un moment énergisant. Chef de file du reggae revival, un retour aux sources organiques du genre après trois décennies de rythmes dancehall synthétiques, le Jamaïcain de 25 ans sait comment galvaniser un auditoire, à l’instar de ses musiciens au talent indiscutable.
Les tons ensoleillés sont également de la partie avec Alvvays, qui prend d’assaut la Scène verte en fin d’après-midi. Encensé par la critique, le groupe torontois signe un indie pop aux accents dream et surf qui, malgré son originalité et son efficacité sur disque, manque un peu de tonus sur scène. Bref, le genre de spectacle qu’il est préférable d’écouter bien assis dans le gazon.
Le ressourcement terminé, on court à l’autre bout du site, à la Scène de la vallée, pour voir Kali Uchis, sensation R&B colombienne qui fait un tabac partout en Amérique du Nord depuis la sortie de son premier album solo Isolation au printemps dernier. Accompagnée par trois musiciens, la chanteuse s’exécute avec finesse sur le plan vocal et envoute la foule avec ses mouvements de danse lascifs. L’un des moments forts de cette deuxième journée.
Le début de la soirée s’amorce en lion avec A-Trak, DJ emblématique de la métropole qui joue devant une foule monstre à la Scène de l’île. Tout près, la Scène des arbres vibre au rythme de Loud, figure rap québécoise en voie de devenir tout aussi emblématique. Comme d’habitude, la foule est conquise d’avance et entonne sans relâche les paroles de Nouveaux riches, 56K et Toutes les femmes savent danser. Irréprochable dans ses transitions, qui contribuent à maximiser l’efficacité du spectacle, le DJ et producteur Ajust multiplie parfois un peu trop les ad-libs au micro, ce qui vient briser l’ambiance intimiste orchestrée par son camarade.
Après la prestation un peu trop sirupeuse du chanteur R&B Khalid, on assiste au clou de la journée : la performance d’Anderson .Paak et de son groupe The Free Nationals. Protégé de Dr. Dre, le rappeur et chanteur de 32 ans affiche un sourire radieux et conséquemment contagieux lorsqu’il met les pieds sur la Scène de la montagne. Aussi talentueux au micro qu’à la batterie, Paak est d’une générosité sans pareille et donne un nouvel habillage encore plus mordant à ses chansons, qui oscillent entre hip-hop, R&B et soul avec une chaleur organique, quasi thérapeutique. Décidément, le musicien californien est l’un des joueurs les plus complets de sa génération.
Retour sur la Scène verte pour l’irrévérencieux Tyler, The Creator, rappeur qui a su se renouveler avec audace d’album en album. Alternant entre son flow incisif et posé, le Californien manie le micro avec souplesse, mais ne témoigne pas de la même vigueur rassembleuse qu’en 2015, lors de son dernier passage à Osheaga. Quelques hits manquent à l’appel.
Enfin, De La Soul s’amène sur la Scène des arbres vers 22:30, au grand plaisir de son bassin de fans fidèles. Pendant 30 minutes, les New-Yorkais ont redonné au rap old school ses lettres de noblesse. Une fin de soirée géniale.
DIMANCHE (par Stéphanie Chicoine)
Le soleil plombait sur mon teint blanchâtre et mon coco sans chapeau, mais la musique, elle, était cool à souhait.
Alex Lahey a proposé une performance sympathique (elle a même fait un petit clin d’œil à notre Céline nationale qui était à Melbourne en ce moment!), sans toutefois me renverser. Il serait intéressant de voir son spectacle dans un cadre plus intimiste. KALLITECHNIS, artiste programmée à la suite de l’annulation de dernière minute de Two Feet, fut une très belle découverte. Elle me rappelait ces femmes que j’aimais tant dans les années 90, les Badu, Zhané, Sade avec leurs voix envoutantes. La rappeuse de Chicago Noname était fresh comme un savoureux sorbet, avec son hip-hop teinté de jazz et de R&B, et sa bonne humeur contagieuse.
Ensuite, verre de gin-tonic à la maison, direction Scène de la montagne pour admirer l’incroyable Tash Sultana, qui possède clairement des pouvoirs magiques avec ses riffs de guitare magnétisants et son charisme hallucinant. Pas le temps d’écouter l’entièreté de son set, je dois faire mon cardio pour voir les dernières pièces de The Brooks. Qu’il était agréable de se laisser transporter par leur offrande funk et soul, entourée de fans, de petites familles et de curieux.
Le collectif Jungle m’a pris par les tripes, avec ses chansons accrocheuses bonnes pour l’âme et son spectacle réglé au quart de tour. J’ai déjà hâte au retour du groupe en sol montréalais. C’est le cœur gros que j’ai quitté les lieux pour voir ce que Dua Lipa avait dans le ventre. En oubliant les danseuses à la Bouge de là et les musiciens sur le cruise control, Dua Lipa a livré l’un de mes spectacles pop préférés des dernières années. On la sent confiante, en plein contrôle de ses moyens et forte, malgré son jeune âge. Et la foule était en feu, particulièrement durant les succès IDGAF, One Kiss et New Rules.
Qu’il est bon de renouer avec ses classiques, et Franz Ferdinand compte parmi les retrouvailles marquantes du festival. La bande d’Alex Kapranos était en pleine forme, enchainant hits après hit à la Take Me Out, This Fire, Michael, The Dark of the Matinee, Do You Want To et Ulysses.
Même chose pour Florence & The Machine qui, en clôture de festival, a captivé les festivaliers avec la même formule qu’en 2015 : une voix puissante, un mélange savant de succès et de nouvelles chansons, et des danses ensorcelantes.
Je vais être bien franche avec vous. Je ne comprends pas du tout le phénomène Post Malone. En revanche, une artiste méritait bien plus que la poignée de fans qui sautaient devant la Scène des arbres : Rapsody. Accompagnée du DJ et producteur 9th Wonder, la rappeuse Marianna Evans a enchainé son catalogue musical avec aplomb. Son flow est impressionnant, pas surprenant que Kendrick et Jay-Z l’aiment autant.
Influencée par mes amis et collègues, je me suis pointée à la Scène verte pour Brockhampton. Le groupe américain représente le potpourri parfait des influences musicales qui ont bercé mes trente-cinq années sur cette planète. Un soupçon de pop et de garçons mignons à la Backstreet Boys/New Kids/New Edition/One Direction, une pincée de hip-hop de garçons rebelles à la Beastie Boys et, pour finir, on assaisonne avec les courants musicaux actuels du hip-hop. Vêtus de la même façon, les six chanteurs/rappeurs ont cassé la baraque. Le parterre était bondé.
Ma prédiction d’Osheaga pour 2019 ou 2020? Brockhampton sur une scène principale.