Un ouragan nommé Billie
Musique

Un ouragan nommé Billie

La billiemania a frappé le Québec mercredi soir lorsque la sensation américaine de 17 ans Billie Eilish a foulé les planches de la Place Bell dans le cadre de sa tournée When We All Fall Asleep.

Née en 2001, Billie Eilish est devenue plus tôt cette année la première artiste ayant vu le jour après le tournant du millénaire à se hisser au sommet du classement Billboard 200, grâce à son premier album when we fall asleep, where do we go?. Pas de doute, elle intrigue, fascine et attire les curieux. Voilà pourquoi ils étaient nombreux à vouloir assister à l’avènement de cette nouvelle star de la pop.

À peine entré dans l’enceinte de l’amphithéâtre, on constate l’ampleur du phénomène: des adolescentes font la queue pour se procurer de la marchandise à l’effigie de l’artiste. Elles sont légion dans cette Place Bell bondée. La file est longue, imposante. On semble peu se soucier de la performance honorable du rappeur floridien Denzel Curry en première partie qui, pour une rare fois depuis son éclosion en 2015, se retrouve dans l’ombre d’une autre artiste.

La fébrilité est palpable. On entonne les Billie! Billie! Billie!, les cris se chevauchent, les voix se cassent en criant «We love you Billie!»Quelques fausses alertes plus tard, les lumières se ferment enfin. Tonnerre d’applaudissements et de cris stridents. Ça y est : l’ouragan Billie frappe de plein fouet la Rive-Nord de Montréal. Elle se présente sur scène vêtue d’un long t-shirt noir qui arbore une ruisselante voiture sport, fidèle à son image de jeune femme indépendante qui ne se soumet à aucun code vestimentaire. On pourrait croire qu’elle a pigé dans la garde-robe de son ami Denzel avant de prendre d’assaut la scène.

Photo: Patrick Beaudry / evenko

On reconnaît immédiatement les basses envoûtantes de bad guy, que le public entonne à l’unisson. Elle enchaîne immédiatement avec my strange addiction, la foule ayant à peine le temps de reprendre son souffle. Dès qu’elle cesse de chanter, les cris se font entendre, et elle a droit à une ovation monstre.«Tonight is about to be beautiful», lance-t-elle avec un grand sourire. Le public est conquis.

Que ce soit grâce à la pop engagée de you should see me in a crown ou la ballade romantique idontwannabeyouanymore, tiré de son EP dont smile at me paru en 2017, elle nous fait voyager dans divers univers de resplendissante façon. On perd un peu de rythme sur watch, &burn et COPYCAT, également tirés de son premier maxi, sans que ce soit catastrophique. Le segment suivant, composé de wish you were gay, xanny et all the good girls go to hell, insuffle une bonne dose d’adrénaline aux quelque 8000 fidèles présents. Plus calmes, ilomilo, bellyache et listen before i go ont également moins de panache, mais détrompez-vous: pas une fois la jeune chanteuse ne perd l’attention de son auditoire.

Voyage dans la billiesphère

On reconnaît rapidement la griffe de l’artiste dans la scénographie et les projections du spectacle. Arachnides, insectes, zombies, squelettes, statues grecques, mains se tortillant dans tous les sens et personnages de dessins animés s’enchaînent en filigrane tout au long de la soirée. C’est visuellement très réussi, sans être trop extravagant. Lumières incandescentes et couleurs néon viennent également ajouter un punch certain à ses performances. La signature visuelle est décidément maîtrisée et permet un enchaînement fluide des différents segments. Seul pépin technique qui n’en est pas vraiment un: l’acoustique de la Place Bell, quoique moins problématique que celle du Centre Bell, ne permettait pas de toujours saisir les subtilités dans la voix d’Eilish, elle qui chuchote et balbutie volontairement quelques paroles. On a donc opté pour une formule qui a fait ses preuves: une bass dans le tapis et des interprétations collées aux enregistrements originaux. Dommage, mais pas décevant.

Photo : Patrick Beaudry / evenko
Une histoire de famille

Accompagnée sur scène par son frère acteur et musicien Finneas O’Connell (qui produit la plupart de ses chansons et qu’on a vu dans Glee, notamment), on a droit à un moment de pure tendresse lors de l’interprétation acoustique d’i love you, moment phare du spectacle. Avec des airs de Lana Del Rey et de Lorde, à qui on la compare souvent, elle fait étalage de sa voix mélodieuse avec une justesse étonnante. La fratrie flotte ainsi dans les hauteurs de la Place Bell, installés confortablement dans un lit sur câbles, clin d’œil évident à la pochette de son dernier album. Elle termine ce rendez-vous en sol québécois en force avec un segment de cinq de ses plus grands succès, bitches broken hearts, i love you, ocean eyes, when the party’s over et bury a friend.

Elle se permet d’ailleurs une touchante parenthèse avant l’interprétation de when the party’s over, où elle incite ses fidèles à assumer leurs sentiments, qu’ils soient bénéfiques ou ravageurs: «If you guys are in pain mentally or physically, it breaks my heart in half. For this next one, all I ask is, live in the moment. Wether it’s a good feeling or a bad one. Let’s do it, let’s be in this moment together. I love you. That’s all.» (Si vous souffrez mentalement ou physiquement, cela me brise le cœur. Pour cette prochaine chanson, tout ce que je demande, c’est de vivre l’instant présent. Que ce soit un bon ou un mauvais sentiment. Faisons-le, soyons dans ce moment ensemble. Je vous aime. C’est tout.)

Une fois ces mots prononcés, [youtube href= »https://www.youtube.com/watch?v=pbMwTqkKSps »]le clip[/youtube] fort réussi de la chanson est projeté en arrière-plan, alors que tous rangent leur cellulaire pour «vivre le moment présent», tel qu’ordonné par leur jeune gourou. Bien qu’ils se comptent par milliers, chacun de ses fans se sent unique l’espace d’un moment. Elle entretient une proximité inégalée avec un public grandissant, et c’est ce qui explique en partie son succès.

Bref, difficile de ne pas tomber sous le charme de cette artiste bourrée de talent, surtout qu’elle ne déçoit pas une seule seconde en concert. Elle impressionne par son attitude désinvolte, son style revendicateur et son énergie dévastatrice. Il faut croire qu’elle sait ravir les cœurs, la petite Billie. Peu importe leur allégeance.

Photo: Patrick Beaudry / evenko