Modérateurs absents? : Le recherchiste masqué frappe fort!
Société

Modérateurs absents? : Le recherchiste masqué frappe fort!

En voyant les abus langagiers de commentateurs sur les réseaux sociaux, le recherchiste masqué a réagi!

Quelle est la responsabilité des medias concernant les commentaires sur Facebook, Twitter, ou leurs propres plateformes?

Les médias sur les réseaux sociaux emploient des modérateurs, des gens qui essaient d’animer leur communauté de fidèles en les interpellant régulièrement et en limitant (théoriquement) les commentaires haineux ou désobligeants. Mais que se passe-t-il quand les gens se sentent suffisamment interpellés par ces médias pour y manifester leur haine, leur racisme et leur intolérance de manière ouverte et explicite?

Mathieu Charlebois, aka Le recherchiste masqué, a posé la question sur son propre mur Facebook avant d’en faire un article plus complet sur son tumblr: selon ce journaliste indépendant, les médias ont la responsabilité morale (sinon légale) de modérer (voire censurer) la haine émise par leurs auditeurs. Évidemment, on parle des conséquences médiatiques du dévoilement de la Charte des valeurs québécoises, et notre recherchiste masqué (qui ne pourra donc pas travailler dans le service public) a illustré assez facilement des abus langagiers plutôt indéfendables dans la section de commentaires de certains médias. En voici un bref aperçu.

Ce n’est pas nouveau. Par exemple, dans une récente affaire de viol collectif en Inde, les quatre hommes reconnus coupables de viol ont été condamnés à mort. Le HuffPost Québec et le Globe and Mail ont tous les deux demandé l’avis à leurs lecteurs: était-ce la chose à faire? On s’imagine la nuance extrême qui a suivi dans les pages des commentaires.

Ceci dit, il s’agit ici d’une petite victoire ponctuelle pour la modération et le bon goût. L’article a fait boule de neige dans la communauté de modérateurs. Projet J, un « observatoire du journalisme », a consacré un article aux questionnements de Mathieu Charlebois, suite à quoi le Huffington Post Québec a répondu: en gros, à cause du grand nombre d’abonnés (et de la fin de semaine) il est parfois difficile de modérer adéquatement les commentaires des internautes, aussi haineux soient-ils. Ils ont ensuite supprimé la plupart sinon la totalité des commentaires ouvertement racistes. Mathieu Charlebois conclut qu’une fois qu’ils sont pointés du doigt, ils agissent, et qu’il faut donc faire preuve d’éternelle vigilance. Pourquoi est-ce que j’ai la fin épique de The Dark Knight en tête?

Étant un éternel pessimiste, j’avancerai une théorie malveillante basée sur une certaine connaissance du milieu qui n’est pas nécessairement une expertise: la seule raison pour laquelle de nombreux médias permettent des commentaires est une question de visibilité. Chaque « like » et chaque commentaire sont en quelques sortes des « partages ». Quand tu cliques « like » sur une publication, celle-ci peut apparaître sur le « timeline » de tes amis, même s’ils ne sont pas abonnés à la page Facebook en question. Supprimer un commentaire, c’est limiter l’étendue et la visibilité de ton article sur Facebook, donc du clic vers le lien, donc de la rentabilité de la publicité que l’annonceur paie pour avoir sur la page en question.

Bref, éliminer des commentaires (haineux comme adorables), c’est un petit sacrifice monétaire. Si personne ne te pointe du doigt, si aucun autre média ne le fait, pourquoi devrais-tu? Eh bien, le recherchiste masqué a pointé du doigt, et on veut prendre la main entière collée à ce doigt accusateur et la serrer fermement. Beau travail.

NDR: J’avais initialement inclu le Journal de Montréal comme média réagissant à l’article de Mathieu Charlebois, mais l’initiative du Journal de Montréal précédait la critique du recherchiste masqué. Mes excuses.

La suite de cet article est une série d’élucubrations personnelles qui s’inspirent des événements concrets relatés ci-dessus. Si vous êtes venus pour de l’information, à partir d’ici, vous pouvez changer d’onglet (ou partager sans lire la suite).

Buffy vs. Le web

Dans l’épisode « Earshot » (saison 3, épisode 18) de Buffy the Vampire Slayer, Buffy arrive soudainement à lire dans les pensées des adolescents autour d’elle. Des filles qui se trouvent trop grosses, des angoisses amoureuses, des insatisfactions d’employés: rien n’est filtré, toutes les pensées de ses proches rentrent dans la tête de Buffy, qui en devient presque folle. Elle quitte la cafeteria, en réalité bien silencieuse, parce qu’elle ne peut plus supporter le bruit. Sans le savoir, la scénariste Jane Espenson avait imaginé le web 2.0.

De la facilité de l’impertinence

J’ai beaucoup d’amis qui travaillent, de près ou de loin, dans les médias. Et comme nous sommes une meute de loups prêts à exclure le premier bouc émissaire qui émettrait une idée inacceptable pour profiter de l’espace qu’il occupait, nous avons tendance à bien nous comporter sur les réseaux sociaux: il s’agit d’une extension indéniable de notre gagne-pain, donc il faut faire gaffe. Or, ce n’est pas le cas de tous: certains individus peuvent travailler dans des endroits qui s’en contre-foutent de leurs opinions politiques ou sociaux, et se donnent donc à cœur joie au racisme et aux insultes personnelles. J’estime que vous êtes suffisamment intelligents pour comprendre que je n’insinue pas que tous les journalistes sont des racistes cachés et que tous les prolétaires sont des racistes ouverts.

Ce que je veux dire, c’est que je crois que ce sont principalement eux (les commentateurs « anonymes ») qui ont contribué à envenimer le débat sur la charte: si on regarde les articles et les chroniques d’opinions, le débat s’est fait dans le respect chez la plupart de nos journalistes et chroniqueurs (avec exceptions inévitables). Mais on dirait que maintenant, le commentaire fait partie de l’expérience de l’article ou de la vidéo. Autrefois, c’était un produit unique, étanche, qui pouvait inspirer des réactions. Ces réactions étaient généralement polies par des groupes d’opposition et lobbies qui filtraient les éléments les plus radicaux de leur formation. Cette réaction mesurée, tardive et appliquée a disparu: il s’agit de l’expression individuelle et immédiate envers le contenu donné, et je crois que nous l’avons psychologiquement associée avec le contenu d’origine.

Et puis, pour finir sur une note vague et générale: Drôle d’époque, hein?