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Maïakovski, le futurisme russe et Octobre.

À l’approche du mois d’octobre, quoi de mieux que de relire et de repenser l’apport socio-culturel des futuristes russes. Cette année, nous célébrons le centième anniversaire du manifeste futuriste russe La gifle au goût public. En ce sens, je me disais que le mois d’octobre, en référence à la Révolution d’octobre, serait idéal pour ressasser les écrits et pensées des vieux démons du régime bolchévique, les très avant-gardistes futuristes russes. Par le simple fruit du hasard, il s’adonne que je terminerai aussi en octobre mon mémoire de maîtrise, en sociologie, qui porte, justement, sur Maïakovski. Plus précisément, l’idée générale de mon mémoire est d’analyser ce que la poésie de Maïakovski nous apprend sur, ceci est une hypothèse interprétative, le rôle de la masse russe au sein du projet révolutionnaire.

 

Le premier extrait que je présente ici provient du chapitre quatre de l’œuvre 150 000 000, écrit entre 1919 et 1920. J’aurais bien aimé recopier l’œuvre, mais pour des raisons que vous connaissez, je ne peux offrir que des extraits. Ajoutez à cela que l’œuvre comporte 1700 vers, soit environ 50 pages à transcrire. Un extrait vous donnera, je l’espère, le goût d’aller lire davantage sur le(s) poète(s). Plus nous serons de fous à ajouter des commentaires, plus nous aurons du plaisir à enrichir ce dialogue ouvert. Mais avant, voici une petite entrée en matière.

 

La très grande épopée pathético-héroïque 150 000 000 est considérée comme l’une des œuvres les plus importantes, voire colossale, créée par Maïakovski succédant à la Révolution de 1917. Ne serait-ce que par son étendue, ou par le temps que Vladimir aura consacré à la création de ce poème épique, plus de deux années, ou en fonction des troubles d’édition, de distribution, de redevance économique que le poète ait connu, 150 000 000 reste une œuvre capitale du répertoire maïakovskien. Une œuvre qui aura fait couler énormément d’encre de la part des admirateurs de celle-ci, et plus encore, de ceux qui se seront farouchement opposés à cette création. Qu’ils soient amis, collègues futuristes, bolchéviques, menchéviques ou mêmes bourgeois, tous auront réagi à la publication tardive de 150 000 000. Lénine en personne sera grandement offusqué par la publication aux Éditions de l’État, du poème : « N’est-ce pas une honte de voter en faveur des 150 000 000 de Maïakovski en 5000 exemplaires ? Sottise, absurdité, extravagance et prétention que tout cela. À mon avis, il n’y a qu’un sur dix de ces écrits qui vaille la peine d’être publié, et guère plus qu’en 1500 exemplaires pour les bibliothèques et les toqués [1]».

 

L’engouement suscité par cette œuvre, cet amour-haine que certains peuvent ressentir en faisant la lecture de 150 000 000, n’est pas symptomatique d’une époque révolue, au contraire. Depuis sa parution, le poème n’a cessé d’attiser de nombreux débats sur la question, notamment, de l’accessibilité à l’art, de la démocratisation de l’art, mais aussi, de la politisation de l’art. Encore aujourd’hui, plusieurs analystes du corpus de Maïakovski ne s’entendent pas sur la valeur de cette œuvre. Certains évoqueront l’idée que 150 000 000 est le fruit d’une certaine pression établie dans le domaine culturel par le régime bolchévique en place à ce moment, qu’elle doit être mise au rancard en fonction de son esprit propagandiste. Pour ma part, je crois plutôt que 150 000 000 est une juxtaposition de techniques typiquement avant-gardistes, associée aux couleurs du futurisme russe employé par Maïakovski, avec une intégration du folklore russe. Tout cela, dans le but d’agiter ces 150 000 000 d’Ivan, cette masse russe.

 

Voici un extrait du poème traduit par Claude Frioux, vous trouverez la référence complète à la fin du poème.

 

Maintenant

            assez de chapitres rieurs.

Dans votre esprit

                       Vous dessinez clairement

                                                          l’Amérique.

Nous passons

            aux événements principaux,

à l’essentiel incroyable

                       et gigantesque.

 

Ce jour

était

un jour

résistant au feu.

Sous la marée de chaleur, les terres étaient muettes.

Les herses ébréchées des vents

essayaient sans succès de rendre l’air friable.

À Chicago

il faisait chaud sans mesure

dans les 100 degrés,

80 sûrement.

Tous étaient à la plage.

Ceux qui le pouvaient faisaient un petit tour.

Mais la plupart restaient allongés.

La sueur

fleurait bon

sur leurs corps bien soignés.

Ils soufflaient en marchant,

ils soufflaient allongés.

Les demoiselles promenaient leurs pékinois au bout de petites

chaînes.

Et le pékinois,

à force d’être gavé,

ressemblait à un veau.

Un petit papillon épuisé de chaleur

était entré dans la narine

d’une dame

qui sommeillait au milieu d’une idylle.

Quelques-uns avaient des conversations animées

disaient « ah ! »

disaient « oh ! »

Un duvet voletait autour des arbres,

des arbres à mimosa.

Il poudrait de rose

les soies et les mousselines blanches,

de blanc celles qui étaient roses.

C’est ainsi

que longtemps

tous s’étaient occupés

à d’agréables passe-temps.

Mais,

une heure auparavant,

quelque chose avait commencé

à changer.

À peine perceptible,

tout au plus avec la pointe de l’âme,

un souffle avait passé.

Dans la mer sans qu’il y ait de vent,

des remous s’élargissent.

Qu’est-ce que c’est ?

Pourquoi cela ?

 

[SAUT]

 

« Ce n’est pas la fumée des canons,

mais le bleu de l’Océan.

Il n’y a ni cuirassé

ni flottes

ni escadres.

Rien de tel.

C’est Ivan [2]


[1] Lénine, cité dans Régine Robin, Le réalisme socialiste : Une esthétique impossible, Paris, Payot, 1986, p. 188.

[2] Vladimir Maïakovski, « 150 000 000 », dans Claude Frioux, Poèmes 2, 1918-1921, Paris, Messidor, 1985, p. 311.