BloguesLe cheval de Troie

Paul Desmarais : Un homme et son péché

 

Hier soir, un des grands de la finance nous a quittés. Admiré autant par les citoyens d’Hochelaga, ceux de la république du Plateau, que ceux de Westmount, Paul Desmarais est parti faire un long voyage d’affaires. Celui qui, dans les années 1970, figurait sur la liste des chums du FLQ, est aujourd’hui reconnu comme étant un « grand bâtisseur ». Il était brillant, ingénieux, humaniste, poète, visionnaire, sensible, doté d’une intelligence supérieure, un grand mécène et j’en passe. Vous ne me croyez pas? Et oui, ce sont bel et bien des expressions qui ont été utilisées autant par Pauline Marois, Robert Charlebois, Yannick Nézet-Séguin, plusieurs journalistes et autres hurluberlus bien de chez nous. Aux nouvelles, il est déjà question de plusieurs émissions spéciales sur cet homme aux mille facettes. Or, dans le même sens que Les Zapartistes le mentionnent, je me demande foncièrement pourquoi on accole un statut d’une si grande importance médiatique à cet homme, alors que cela n’a pas été le cas lorsque Michel Brault est mort. L’un filme des marsouins, l’autre empoche des milliards comme dirait les sans-génies de radio X, les Richard Martineau et les Stéphane Gendron de ce monde. Dans notre raisonnement très poussé, digne des questionnements aristotéliciens, c’est certain que Desmarais a beaucoup plus d’importance qu’un artiste qui s’est donné corps et âme pour révolutionner sa société ainsi que son domaine artistique.

 

L’argent et le pouvoir, ça brille au soleil. Et bien « viande à chien » comme dirait Séraphin ! Carrosse, l’un a complètement chamboulé le septième art et l’autre a fait fortune en consolidant l’institutionnalisation, dans les années 1968 lorsqu’il met la main sur PCC et jusqu’à aujourd’hui, d’un système monétaire basé en grande partie que sur la spéculation foncière. Sur de l’argent virtuel, des actions. Vous l’aurez compris, PCC ce n’est pas le Parti Communiste Chinois, mais bien Power Corporation du Canada. Depuis ce temps, Desmarais a grandement déployé ses tentacules, s’immisçant partout où il y avait une piasse à faire. Bon, rien de nouveau ici, c’est la bonne vieille logique de l’hyper-capitalisme. Alors, un« grand bâtisseur » de quoi ? De son propre capital ? Certes, la fortune de la famille Desmarais était évaluée en 2011 à 4,28 milliards, quelque peu en arrière de celle de la famille Saputo. Ah, un « grand mécène » alors ! Bien sûr, dans le domaine des arts, il a financé des institutions grandement dans le besoin. Financement du Musée des Beaux-Arts de Montréal, l’Orchestre Métropolitain, l’OSM, l’Opéra de Montréal, le Metropolitan Opera de New York, ainsi de suite. Toutes des places où les pauvres font la ligne pour acheter des billets. Desmarais, comme la très grande majorité des mécènes milliardaires, orientent naturellement leur financement en fonction de leurs goûts. Nécessairement, ce type de mécène finance toujours des hôpitaux ici et là. Ça paraît bien. On va créer une unité coronarienne dans tel hôpital et hop une subvention à tel campus pour la recherche en santé. Allez, on continue. Le domaine Sagard c’est noble ça ? Ça apporte quoi à la société québécoise qu’un type s’achète, pour la modique somme d’environ 60 000$, un domaine forestier de 76,3 km2 (21 000 acres) ? Un seigneur et ses serfs. Pourquoi nous faudrait-il donc célébrer la mort d’un homme appartenant à l’élite économique qui tout au long de sa vie n’a fait que coopérer directement avec les autres puissants hommes d’affaires du globe ? Quand l’économique supplante le politique, rien ne va plus.

 

En terminant, je dois admettre que je suis toujours sidéré lorsque Robert Charlebois ouvre la bouche. Pour ce « gratteux » de guitare qui a déjà porté une certaine poésie populaire, qui a fait des spectacles avec Félix Leclerc et Gilles Vigneault, qui a brandi le drapeau du Québec, il est bien dommage de l’entendre dire des énormités de la sorte :  « Il me sortait. On allait à Broadway, on allait écouter de la musique… Vraiment, il m’a donné des cadeaux bien au-delà de l’argent », a-t-il dit, en soulignant que Paul Desmarais était un « génie absolu » et un « poète », « très au-dessus de l’argent et de la finance [1]». Bon, c’est vrai que…après avoir vendu sa compagnie de bière Unibroue à une compagnie canadienne, après avoir déclaré qu’il n’était plus trop certain d’être pour l’indépendance du Québec, après avoir augmenté ses fréquentations au domaine Sagard, on ne doit pas s’attendre à grand-chose avec Charlebois. Un peu comme les vieux ML (marxistes-léninistes) des années 1970 qui sont devenus PDG de compagnies influentes sur le marché. Bref, ce qui est triste aujourd’hui ce n’est pas la nouvelle de l’heure, ni directement son traitement médiatique, mais plutôt cette perte de repères sociaux qui frappe l’Occident et qui à terme, engendrera une fracture du lien social.


[1] Consulté le 9 octobre en ligne sur le site : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/10/09/006-desmarais-artistes-affaires.shtml?isAutoPlay=1