«Ça découle d’un pacte que j’ai fait avec Jim Corcoran lors d’un soir de brosse, explique Louis-Jean Cormier. Je devais composer des chansons archi pop pour lesquelles Jim écrirait des paroles en anglais. Notre but était de vendre les tounes à d’autres pour se faire le motton.»
Après avoir composé quatre ou cinq pièces, Cormier rappelle Corcoran pour lui dire d’oublier ça. «Je trouvais les chansons trop bonnes. Je préférais les garder pour mon album solo», raconte le chanteur de Karkwa, dans l’antre du studio Lab Mastering, lors d’une session d’écoute privée de Le treizième étage, sa première incursion solo. «Je ne sais pas pourquoi, ça sonne mieux dans un système de son à 200 000$», lance-t-il avec le sourire d’un gars qui vient d’envoyer la galette au pressage.
L’album dure près de 50 minutes et s’ouvre avec La Cassette, une pièce qui dévoile rapidement la nature de l’offrande. Louis-Jean Cormier aurait pu profiter de l’escapade pour s’affranchir du son Karkwa, lancer un disque folk minimaliste ou électro cérébral, mais il a préféré un registre qu’il maitrise: une pop francophone intelligente aux accents rock indé. Or, même si la pomme n’est pas tombée bien loin de l’arbre, les titres suivants (Bull’s Eye, Transistors, J’haïs les happy ends) révèlent un disque aussi foisonnant que ceux de son groupe, mais davantage axé sur les guitares. Sans l’apport du claviériste virtuose Frank Lafontaine, les six cordes de Cormier respirent et prennent les devants.
En découle des teintes plus americana que brit-pop. Le compositeur citera Neil Young et Tom Petty, une tangente confirmée par la ballade acoustique Les chansons folles. S’ajoute aussi l’américanité d’Arcade Fire entendue sur l’album à travers quelques lignes de piano martelées et des sons de guitares électriques saturées.
Tout le monde en même temps et Le coeur en téflon nous font ensuite réaliser la grande force de Le treizième étage: les chansons de Louis-Jean Cormier n’ont pas de laisse. Libres de tout carcan stylistique ou formatage, elles osent et courent à leur guise sur un terrain de jeu agrandi par la polyvalence du guitariste. Son accessibilité, le disque la doit au talent mélodique du musicien et non pas à sa production léchée. «Faut pas prendre l’auditeur pour un con», lance Cormier qui souhaitait encore éviter le pré-mâché. «Je voulais prendre des tounes très pop et, en studio, les trainer dans la graisse de rôti.»
Non représentatif de l’album, le premier extrait L’ascenceur marque une deuxième moitié plus calme que la précédente. La balade acoustique compte sur l’apport vocal d’Adèle Trottier-Rivard (fille de Michel Rivard et Marie-Christine Trottier) qui participe à l’album en plus de jouer un rôle important lors des concerts de Cormier.
Puis arrive Un monstre, une lettre bouleversante d’un père à son enfant malade. «Il y a un monstre qui crie au creux de ton ventre / Qui fait tout pour te prendre des tranches de ta vie / Il mange les sourires / Il boit les larmes de joie / Faut pas qu’il te voit et qu’il recrache le pire / Je veux qu’on fasse le tour de la planète à vélo / Je veux encore te prendre sur mes épaules dans les shows», y chante Louis-Jean Cormier. On y perçoit la sensibilité de Daniel Beaumont (auteur pour Tricot Machine) qui a participé à l’écriture des textes.
C’est le seul moment où j’interromprai la lecture du disque, détournant mes yeux de père des haut-parleurs pour prévenir le compositeur: «Si tu me dis que t’as un enfant gravement malade, j’éclate en sanglot drette là.»
«Non», me rassure-t-il «Je ne parle pas d’un enfant en particulier. Mais t’as le droit de pleurer, ma blonde n’est pas capable de l’écouter non plus…»
L’album se conclut avec Un refrain trop long, L’air et La seule question, trois morceaux atmosphériques aux textes personnels et émotifs, comme si à l’inverse de la musique qui ralentit la cadence au fil de l’album, les thèmes devenaient de plus en plus poignants. Un effet voulu.
Le treizième étage sera lancé le 18 septembre prochain. En attendant, vous pouvez écouter L’ascenseur ici et voir Louis-Jean Cormier casser ses nouvelles pièces en concert ce soir au FME à Rouyn-Noranda et le 6 septembre à la salle Salle André-Mathieu de Laval. Sa tournée officielle débutera le 1er novembre à Lavaltrie pour s’arrêter à Montréal (Club Soda) le 21 novembre et à Québec le 14 décembre (Grand Théâtre de Québec).