Phil Collins à la Fondation Phi : Abattre les murs par la musique
Non, le chanteur pop et ancien membre de Genesis ne s’est pas lancé dans une prolifique carrière en arts visuels.
Le Phil Collins dont il est question ici est né en 1970 en Angleterre et vit maintenant en Allemagne. L’artiste s’intéresse aux zones de friction entre la culture populaire, la politique et l’art à travers la vidéo, l’installation et la photographie. Dans sa pratique, il va à la rencontre de populations marginalisées pour les montrer sous un éclairage nouveau. Ainsi, son corpus intègre des échanges avec des skinheads malaisiens, des réfugiés albanais du Kosovo et des Palestiniens participant à des concours de danse du ventre. Voilà pour la mise en contexte.
Pour la présente exposition à la Fondation Phi, qui se poursuit jusqu’au 15 mars, les quatre œuvres présentées mettent l’accent sur l’importance de la musique dans la pratique teintée d’empathie de Collins.
Se réapproprier Morrissey
Avec the world won’t listen (2004-2007), projet ambitieux mêlant karaoké, The Smiths et critique sociale, Phil Collins a demandé à un groupe colombien d’interpréter toutes les pistes musicales de l’album compilation The World Won’t Listen du groupe culte The Smiths, paru en 1987. Armé de ces mélodies, l’artiste a convoqué des fans colombiens, turcs et indonésiens afin de chanter les pièces du groupe anglais dans des séances de karaoké individuelles et filmées, pour en faire une installation vidéo. Alors que l’ancien chanteur des Smiths Morrissey portait récemment dans les médias un message anti-immigration, cette joyeuse mosaïque visuelle interprétant en chœur ses chansons s’avère d’autant plus touchante.
Antifas et papillons
Autre incarnation de la manière dont la musique transcende les cultures et l’espace, the meaning of style (2011) met en vedette un groupe d’antifascistes malaisiens arborant tous les codes de l’esthétique vestimentaire skinhead. Dans une courte vidéo à la facture voluptueuse et éthérée, on suit la bande qui se promène entre un cinéma indien tamoul et un temple bouddhiste chinois, en passant par une cour intérieure où les papillons sont légion. Avec comme seule bande-son la musique du Gallois Gruff Rhys et du groupe Y Niwl, le visionnement nous laisse doucement déstabilisés.
Intimité et extimité
L’œuvre suivante porte le très poétique titre my heart’s in my hand, and my hand is pierced, and my hand’s in the bag, and the bag is shut, and my heart is caught (2013). L’installation résulte d’un long processus où Collins a collaboré avec un centre d’hébergement pour sans-abris, une frange de la population qu’il a bien connue en travaillant pour l’équivalent de la revue L’Itinéraire en Angleterre. Il avait installé dans le centre situé à Cologne, en Allemagne, une cabine téléphonique mise à la disposition des usagers gratuitement, en échange de la permission d’enregistrer les conversations et de les anonymiser. Quelques-unes de ces conversations ont été sélectionnées puis envoyées à des musiciens, qui en ont fait le matériau de compositions originales.
Dans une section de la Fondation Phi, on retrouve six cabines vitrées dont l’ambiance feutrée et la lumière tamisée invitent au recueillement. Une fois à l’intérieur, on peut choisir parmi des vinyles, où chacun d’entre eux comprend un extrait de conversation sur une face et la composition musicale sur l’autre. Les cabines étant vitrées et éclairées, il est possible d’espionner ses voisins tout en vivant ce moment intime, jouant sur la dichotomie entre le moment présent et la représentation, un dilemme que posent les réseaux sociaux à chaque instant.
Abattre les murs
La dernière installation, Bring Down The Walls (2019), se veut une réflexion sur la judiciarisation, particulièrement l’incarcération à outrance, ainsi que le pouvoir rassembleur de la musique house. Il s’agit d’une version installative d’un projet s’étant déployé à New York en 2018 dans une caserne de pompiers. De jour, de nombreuses activités et discussions sur l’origine du système carcéral, l’abolition des prisons et les défis de la réinsertion avaient lieu, alors que la nuit tombant, l’endroit se transformait en boîte de nuit où la musique house était à l’honneur, métaphore de l’expression et de la libération individuelle et collective.
Pendant l’exposition de Collins, Bring Down The Walls reprend ce principe en proposant une fois par mois sur les lieux de l’installation une série de conférences et d’activités de jour, et une piste de danse animée par des collectifs musicaux qui ont à cœur l’engagement social de soir.
Il reste deux de ces événements: le 8 février et le dernier le 7 mars, quelques jours avant la fin de l’exposition.
Parallèlement à Phil Collins, la Fondation Phi accueille jusqu’au 15 mars le duo Eva & Franco Mattes et leur exposition What Has Been Seen, où il est question des angles morts du web. À travers des installations vidéos, des chats empaillés et une tour de fours micro-ondes, les visiteurs sont amenés à réfléchir à la matérialité des données, à la modération de contenu et aux émotions vives que peuvent susciter le contenu glané sur internet.
Phil Collins
et
Eva & Franco Mattes, What Has Been Seen
jusqu’au 15 mars 2020
Fondation Phi pour l’art contemporain