Pendant quatre jours, du 14 au 17 juillet
dernier, le petit village de Dour, au sud de la Belgique à la limite de la
frontière française, voyait sa population multipliée par près de 10. En effet,
depuis 1988, de manière exponentielle, le Dour Music Festival accueille des
milliers d'amateurs de musique de tous genres. Cette année, 161 000
festivaliers se sont donnés rendez-vous dans les champs de Dour. Ajoutez à cela
les quelques 1360 journalistes, professionnels de l'industrie ou artistes
accrédités ansi que tous les bénévoles et employés du festival et Dour devient
pendant quatre jours la ville a plus densément peuplée de Belgique!
Aller à Dour, c'est plus qu'un trip de
musique, c'est une expérience, un phénomène social. On ne vient pas à Dour pour
se la couler douce. Ce festival est intense. 7 scènes dont six sous chapiteaux,
300 heures de musique, 229 concerts et DJ sets en quatre jours, de 13h à 5h. Et
dans les campings tout autour, c'est le party non stop avec des soundsystems
techno qui crachent leurs ultra bpm 24h/24. Si vous n'avez pas planté votre
tente à l'autre bout du camping, donc environ à 50-60 minutes de marche du
site, vous ne dormez tout simplement pas du long week-end. Ou alors, comme me
disait un campeur, il faut s'arranger pour être tellement saoul et crevé en se
couchant qu'on s'endort malgré le bruit… et la pluie.
Parce qu'il a plu cette année à Dour, et
pas qu'un peu. Des trombes d'eau qui ont transformé le site en un énorme champ
de boue dans laquelle tous devaient patauger, tentant d'éviter les chutes et
les énormes flaques. En fait, il n'y a eu qu'une seule journée sans pluie et
alors les champs de terre piétinés par des milliers de pieds dégageaient un
nuage de poussière et s'infiltre partout. Mais malgré les énormes bourasques,
la pluie, le froid (le mercure est tombé si bas le premier jour du festival que
ce fut le 14 juillet le plus froid jamais enregistré en Belgique!) et la
poussière, curieusement je n'ai vu personne tirer la gueule à Dour. Ici, les
gens viennent pour la musique certes, mais surtout pour s'éclater comme des
fous, et je pèse mes mots. Jamais vu autant de gens sur le party. Il règne une
drôle d'euphorie générale sur le site, alimentée par les décibels, l'alcool et
autres substances mais aussi par cette mer de monde. C'est trash mais c'est
vraiment galvanisant.
Donc à Dour, je me suis transformé en
robot en carton et papier aluminium, DJ dans une vieille roulotte de camping
maquillée en soundsystem (www.entrabendo.org/ragaravanne.html) au milieu d'un
tout petit bois dont l'entrée était limitée afin de permettre aux festivaliers
de vraiment chiller en plein centre du site et bien entendu j'ai vu un nombre
incalculable de concerts.
Le Québec était bien représenté avec les Misteur Valaire qui
se sont retrouvés sur la grande scène extérieure le premier jour du festival,
Duchess Says et leur chanteuse Annie-Claude qui a encore une fois capté
l'attention de tout le monde avec son audace et autres excentricités, Socalled,
Tiga et Leif Vollebekk. Souhaitons qu'ils auront su attirer l'attention des
quelques pros de l'industrie qui se trouvaient au festival…
Liste d'épicerie
Entre les gros noms et valeurs sûres, il
y a avait aussi pas mal de découvertes à faire à Dour. Mais grosso modo tous
les styles de musique avaient leurs représentants à Dour. Métal, punk, hardcore
et compagnie avec Agnostic Front, Madball, Gallows, les fascinants vétérans
japonais Boris (en photo) qui ont donné un show puissant, les toujours pesants Kyuss Lives
qui ont fait trembler le sol en blastant leur stoner rock bétonné, Russian Circles, The Ghost
Inside, Anthrax, Skindred, Life Of Agony, Pennywise, Terror, Le Bal Des
Enragés, etc..
L'indie-rock /pop/folk ou brit-pop avait
ses têtes d'affiche avec Pulp, Suede, Foals, I'm From Barcelona, The Do, Fool's
Gold qui ont offert un show très intense, Architecture In Helsinki, Mogwai, Les
Savy Fav, The Drums, Metronomy, CocoRosie, Junior Boys et des dizaines
d'autres.
Pour les trucs plus électro il y avait
l'embarras du choix puisqu'on retrouvait cette année Boys Noize, Kode9, Laurent
Garnier, Vitalic, Darko, Joy Orbison, Flying Lotus, Erol Alkan, Bassnectar,
Hercules & Love Affair, Klaxons, Rusko, Steve Aoki, Ellen Allien, Booka Shade,
Kap Bambino ou encore les excentriques liégeois de Partyharders -auteur du tube
The Pope of Dope pour lequel ils ont réecemment reçu un disque d'or- qui ont
joué devant une foule monstre à 4h du matin et qu'on verra sous peu au MEG à
Montréal.
Côté hip-hop abstract ou non, mentionnons
les incontournables Cypress Hill, House Of Pain, Soprano, Akhenaton et Faf
Larage, Spank Rock, Cut Chemist, Public Enemy, Ice Cube, 13&God et j'en
passe.
Les fans de rare groove, dub-reggae et
world-beat ou world 2.0 n'étaient pas en reste, ils furent même gâtés puisque
se sont bousculés au cours des quatres jours de Dour Systema Solar, Bomba
Estereo, Blood Shanti, Manasseh, Conscious Sounds, On U Sound, King Midas
Sound, The Selecter, Johnny Clarke, Horace Andy, Orchestre Poly-Rythmo de
Cotonou, Budos Band, Charles Bradley et le Menahem Street Band, Groundation,
Alborosie, The Herbaliser, Mahala Raï Banda, Shantel et le Bucovina Orkestar,
Kaly Live Dub, High Tone, Busy Signal, Israel Vibration, Tokyo Ska Paradise Orchestra,
The Locos, Tarrus Riley, Anthony B, etc… Et tout ça n'est qu'une petite liste
d'épicerie.
Top performances
Beaucoup de groupes m'ont impressionné
mais il y a en a quelques-uns qui m'ont bien remué. Je pense à Anika (notre photo) sous le
chapiteau La Petite Maison Dans La Prairie le vendredi en milieu d'après-midi.
La chanteuse allemande vêtue d'une robe noire moulante affichait un air
sinistre qui contrastait avec la seule journée plus ou moins ensoleillée du
festival. Il y a un peu de Nico chez cette ex journaliste politique. Attitude
glaciale et une musique tout aussi froide. Rythme mécanique, guitare tranchante
comme une lame et un fond de dub industriel pour le groove. Son tout récent et
premier album éponyme produit par Geoff Barrows de Portishead contient justement
tous le éléments chers au célèbre groupe de Bristol. Sur scène on ne voit
qu'elle, mystérieuse femme fantômatique au magnétisme incomparable. Un des
meilleurs moments de la journée.
Je pense aussi à Charles Bradley. Obscure
vétéran du funk/r'n'b et de la soul au passé misérable, Bradley a sorti son
premier album en 2002 à l'âge de 54 ans, sur Daptone évidemment… De l'école
des de James Brown et Otis Redding, ce chanteur new yorkais est appuyé par les
11 musiciens du Menahan Street Band, dont la majorité des membres joue aussi
avec The Budos Band programmé un peu plus tôt au cours de la journée à Dour,
celui qu'on surnomme le Screaming Eagle of Soul à donné un show comme on les
faisait durant les belles années, c'est à dire avec ferveur et passion et ce
malgré une cheville cassé ou foulée vers la fin du spectacle!
Pulp… Je ne suis pas fan du groupe,
mais impossible de rester de glace devant ce groupe mené par l'incandescent et
charismatique chanteur Jarvis Cocker. La formation brit-pop a donné vendredi
dernier sur la grande scène extérieure un concert absolument magnifique.
D'abord le visuel, grandiose et ingénieux, avec en plus lasers, fumée et
compagnie. Puis le groupe, armada brit pop des trois guitares électriques,
batterie, basse, claviers… au service de l'incomparable Jarvis Cocker. Un
performer exceptionnel, complètement à l'aise et en contrôle, tout en voix et
en humour, s'accaparant la scène pour la dominer du début à la fin.
Blood Shanti était le premier spectacle
d'une longue soirée dédié au dub-reggae et ses sous genres sous la tente Magic
Soundsystem vendredi. Blood Shanti, c'est le reggae-dub à l'anglaise, la basse
hyper puissante et les rythmes pesants. Sans fioritures, juste un sub groove
hardstepper terrible. Du reggae urbain comme on en entend que très peu à
Montréal et qu'on ne voit hélas jamais sur scène. Vint ensuite Manasseh,
véritable groupe étoile de la scène dub-reggae britannique. L'animateur de
radio et producteur/remixeur était accompagné de Earl Sixteen (Dreadzone, Leftfield…),
Charjan du soudsystem londonien Unity Sounds et de Danny Red. Puis ce fut le
tour du Conscious Sounds tout en basses fréquences avec Dougie Conscious,
Sandeeno, Afrikan Simba, Wayne Mc Arthur et Christine Miller, tous connus au
sein de la communauté dub/reggae britannique (Bush Chemists, Jah Warrior, Aba
Shanti, Iration Steppas…). La table était mise pour les 30 ans du On U Sound
System! Pionniers du néo-dub, le On U est un collectif dirigé par Adrian
Sherwood, un producteur/remixeur de génie dont le talent a coloré les musiques
de Lee Scratch Perry, Mark Stewart, Mikey Dread, African Head Charge, Depeche
Mode, NIN et on en passe… Du bonbon pour les amateurs de sub grooves!
Le concert que j'attendais le plus était
celui de Shantel (en photo) et du Bucovina Orkestar. Le musicien, DJ allemand est connu pour sa passion des
musiques d'Europe de l'Est et ses remixes pour le Boban Markovic Orkestar,
Taraf De Haidouks, Kocani Orkestar et plusieurs autres. Inutile de vous dire
que ce mélange de cuivres, accordéon et choeurs balkaniques, turcs, serbes,
roumains couplé à la guitare électrique et une rythmique plus "rock",
plus dynamique quoi, ont fait exploser le chapiteau Dance Hall rempli à
craquer! Personne n'a su résister à cette musique hyper festive et entraînante
et en moins de deux toute la salle dansait, sautait, tapait des mains, certains
se laissant même aller à des séances de body-surfing! Une heure qui est passée
bien trop vite!
Cette 23e édition du Dour Music Festival
s'est terminée de façon impériale avec Bonaparte (en photo)! Le très théâtral collectif
berlinois mené par le guitariste et chanteur suisse Tobias Jundt ne fait pas
dans la dentelle. Sorte de croisement scénique entre les Bérus, le Jim Rose
Circus et les Dresden Dolls, la
bande donne dans le cirque socio-burlesque, balançant un pop-rock à saveur punk
et électro, entouré d'une troupe de comédiens/danseurs/performeurs trash et
souvent à moitié nus. Une belle finale à un événement pas comme les autres.
Dour, c'est plus qu'un simple festival, c'est une expérience! La prochaine
édition aura lieu du 12 au 15 juillet 2012.
Là on attaque les Francofolies de Spa, ce
sera un peu plus sage!