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Julie Ruin: entrevue intégrale avec Kathleen Hanna

Kathleen Hanna refait surface avec son nouveau projet Julie Ruin, toujours aussi vitriolique mais un peu moins énervée.

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Kathleen Hanna est devenue une icône de la culture punk/grunge et feministe alors qu’elle était la chanteuse des Bikini Kill, groupe phare de la frange Riot Grrrls, mouvement qu’elle contribua à mettre sur pied et auquel on peut associer entre autres Bratmobile, L7 et The Butchies. Intransigeante, provocante et charismatique, elle était en quelque sorte aussi menaçante que pouvait l’être Ari Up des Slits et aussi socialement impliquée que Joy De Vivre (Crass) avec la voix et la véhémence d’une Poly Styrene (X-Ray Specs). Derrière ses faux airs de petite gamine mignonne se cachait souvent une jeune femme prête à mordre. Un personnage complexe et fascinant qu’un simple article ne peut décrire mais qu’on peut découvrir dans l’excellent documentaire The Punk Singer qui lui est consacré.

Subséquemment à l’expérience Bikini Kill qui s’est terminée en 1998 et qu’elle n’a franchement pas envie de répéter, Kathleen Hanna s’est lancée dans un projet solo sous le nom de Julie Ruin. Après un premier album, le projet s’est muté en Le Tigre quand est venu le temps de transposer la musique de Julie Ruin sur scène. Le trio a connu un certain succès mais depuis 2007, suite aux problèmes de santé qu’a connu Kathleen Hanna, le groupe a pratiquement cessé ses activités. La principale intéressée reconnaît toutefois qu’ils n’ont jamais dit qu’ils se séparaient et qu’elle se voit bien un jour ou l’autre remettre du tigre dans son moteur. “Le Tigre je sais pas si c’est terminé. On n’en a jamais parlé. On a juste pris une pause et elle dure depuis tout ce temps. JD est occupée avec son groupe Men, Joanna écrit beaucoup pour des revues et elle a publié un livre, elle a un salon de coiffure, elle peint, elle est assez incroyable je dois dire. Y’a rien qu’elle ne peut pas faire. Quant à moi j’ai Julie Ruin… Ceci dit, je me vois très bien refaire des concerts avec elles mais je ne sais pas trop quand ça pourrait se faire. Bikini Kill? Non, jamais. Je ne peux plus crier comme ça, ça me casse la voix. En plus, il y a des chansons auxquelles je ne m’associe plus. J’ai vieilli, je ne me reconnais plus là-dedans et je pense que j’aurais juste l’air ridicule à mon âge de chanter ça. Je serais une parodie de moi-même. Reste que je joue quelques chansons de Bikini Kill que j’aime beaucoup et qui me rappellent cette époque, comment on était sur scène… Mais tout un set de Bikini Kill? Non, vraiment pas”.

De retour en 2010 avec le projet Julie Ruin, qui s’est doucement muté en véritable groupe –la formation comprend l’ex Bikini Kill Kathi Wilcox, l’ex Kiki & Herb Kenny Mellman, Sara Landau et Carmine Covelli– et qui n’a plus grand chose à voir avec le projet initial de 1998, Kathleen Hanna oscille entre deux mondes. Certains titres plus hargneux de l’album Run Fast, paru en septembre 2013 sous l’étiquette Dischord (Minor Threat et cie) nous ramènent à l’époque Bikini Kill alors que d’autres, à saveurs beaucoup plus pop, résultent de l’expérience électroclash de Le Tigre. Côté sucré, côté givré… Y aurait-il deux Kathleen Hanna finalement? “Oui il y en a deux et il y en a une que tu n’as pas envie de rencontrer”, rigole la chanteuse au bout du fil. “On avait le goût de toucher à plusieurs styles et de ne pas rester coincé sur un genre de son. J’adore le rock garage et Oh Come On était une chanson importante pour moi et c’est pourquoi j’ai insisté pour que ce soit le premier extrait du disque. Il y a dans ce disque quelques chansons qui peuvent être similaires à ce que je faisais au début de ma carrière et d’autres beaucoup plus pop. J’adore la pop française des 60’s… Jacques Dutrunk… c’est comme ça qu’on dit? J’aime Françoise Hardy, Érick Saint-Laurent, France Gall, Brigitte Bardot… C’est Kathi (Wilcox) qui m’a fait un cd de chansons pop 60’s françaises et je l’écoute tout le temps”, révèle celle qui est aussi l’épouse du Beastie Boy Adam Horowitz pour ensuite se mettre à chantonner Mini Mini Mini de Dutronc en rigolant… “J’aime beaucoup ça et j’ai cherché à avoir ce genre de son; des chanson comme Goodnight Goodbye ou Just My Kind (réalisée par James Murphy) qui est très fin 50 début 60 comme style. Je suis une grande fan des B-52’s et y’a un peu de ça sur le disque. Puis il y a Stop Stop qui est une chanson complètement folle, hors de contrôle, du genre je ne sais pas ce qui se passe… Party City qui porte bien son titre… Donc on ne voulait pas que le disque soit cohérent et je pense que ça correspond un peu aussi au premier disque de Julie Ruin que j’ai sorti. Quand à mon expérience avec Le Tigre, elle se retrouve dans cet album plus par rapport au côté festif. On voulait que le gens puissent danser sur nos chansons, qu’ils puissent avoir du bon temps, célébrer mais avec comme trames de fonds des sujets plus sérieux qui les poussent à réfléchir si ils se penchent sur les paroles. Parce que nous attirons toutes sortes de monde de toutes sortes de communautés et ces gens se retrouvent tous dans la même salle lorsque nous donnons un concert. On voulait que tout le monde puisse s’amuser ensemble”.

Ex Riot Grrrl
Kathleen Hanna, malgré l’âge, malgré la maladie de Lyme qui l’a gardé hors du circuit durant plusieurs années, n’a pas décolèré. “Bien sûr je suis toujours en colère. Oui la colère est une forme d’énergie mais je vois plutôt ça comme une cible sur laquelle je consacre mon attention et mon énergie. Je focus sur un sujet qui me met en colère. Gamine, on me disait que je devais toujours être une petite fille gentille. Ado, je me suis rebellé contre cette atittude et j’ai crié ma colère. Aujourd’hui, avec l’âge, je dirais que ma colère est davantage canalisée. Je ne suis plus une enragée, je m’arrange surtout pour contester ou dénoncer quelque-chose qui me met en colère d’une manière plus calme et nuancée ».

Lorsqu’on lui demande si elle se considère encore une Riot Grrrl ou si elle s’est déjà considérée comme tel, Kathleen Hanna pouffe de rire. “Tu sais, je ne me suis jamais réellement considérée comme une Riot Grrrl bien que je me considère féministe. Le mouvement Riot Grrrl est une version punk du féminisme et je suis vraiment fière d’y être associée, fière d’avoir pu jouer un petit rôle dans la création de cette communauté de musiciennes féministes qui perdure encore aujourd’hui mais je ne me suis jamais présentée comme étant une Riot Grrrl. Je n’en ai pas honte cependant! Hier encore j’ai reçu un mail de gens qui me disaient qu’ils venaient de démarrer un chapitre Riot Grrrls à Singapour! Wow! Je trouve ça excitant! Ce n’est pas une marque, ça n’appartient à personne donc tout peut arriver avec ça et je trouve ça formidable que l’héritage de ce mouvement soit aujourd’hui partagé par des gens de partout dans le monde qui font évoluer la chose et la rendent meilleure. Le punk féministe va se pousuivre, que tu nommes ça Riot Grrrl ou non”.

Perfect Pussy Riot
Parler à Kathleen Hanna sans lui demander son avis sur les Pussy Riot est impensable. Le collectif russe qui a fait les manchettes dernièrement est bien entendu proche de l’ex Bikini Kill. “Tout d’abord, je dois dire que je suis très heureuse qu’elles aient été libérées! J’aimais bien leur art et leur musique avant qu’elles soient arrêtées. Je pense que c’est une situation compliquée pour un citoyen américain car, depuis longtemps, il y a tous ces stéréotypes envers la Russie véhiculés ici aux USA. Je ne suis pas une experte sur la Russie et la situation actuelle donc je ne veux pas trop m’avancer à ce sujet. Ce que je souhaite c’est que ces filles ne soient pas pointées du doigt et snobées parce qu’elles sont devenues populaires, que tout le monde en a parlé, qu’il y a eu un documentaire à leur sujet. Quand tu fais partie d’un collectif et que certains membres de ce collectif attirent soudainement l’attention des médias cela génère souvent beaucoup de ressentiment, de jalousie et de frustration et j’espère que les choses vont s’arranger au sein du collectif. Car il ne faut pas oublier qu’elles ont été en prison et que même là elles se sont battues pour le respect des droits des prisonniers et ça je trouve que c’est admirable. Ça m’a ramené à des choses smililaires que j’ai vécu au sein de Bikini Kill. Je n’ai pas été en prison mais j’ai dû composer avec l’animosité de plusieurs personnes à cette époque”.

As-tu déjà joué en Russie?
“Oui avec Le Tigre on a fait un concert organisé par une compagnie de voitures ou je ne sais trop (rigole). Il y avait ces modèles qui circulaient sur scène pendant qu’on jouait, comme un défilé de mode… C’était… (rigole)… Je sais pas… bizarre quoi. J’ai l’impression qu’ils n’avaient aucune idée de qui nous étions. C’était spécial et ça m’a fait réaliser à quel point je suis une fucking américaine. Mais aujourd’hui, à la lumière de ce qui s’est passé avec les Pussy Riot et la politique homophobe de Putin, je n’y jouerai pas. L’homosexualité illégale? Non, je ne peux pas. Il y a un des membres du groupe qui est gay.”

Suite au repos forcé auquel elle a dû se soumettre, Kathleen Hanna est très heureuse de repartir sur la route, de revoir des gens qu’elle a rencontré lors de ses tournées avec Bikini Kill et Le Tigre. “Je donne des concerts et fais des tournées depuis une vingtaine d’années, donc d’avoir dû m’arrêter tout ce temps, c’était assez intense. En concert, je me fais plaisir un peu. Je joue certaines chansons du premier disque de Julie Ruin et aussi de Bikini Kill et de Le Tigre selon les spectacles. On essaye de rester le plus près possible des versions originales. Ça dépend des soirs, ça dépend comment on file”.

The Julie Ruin
4 avril
Il Motore