BloguesLe blogue de Philippe Boucher

Je suis… Hypocrite

« On manque le plus beau jour de notre vie de quelques jours » disait si bien un écrivain américain en parlant de nos funérailles.  Cette journée où nous sommes la meilleure personne au monde. La plus généreuse, la plus sympathique, etc.  Les dessinateurs de Charlie Hebdo, morts sous les balles de terroristes la semaine dernière, ont manqué le plus beau jour de leur vie ce matin.  Des millions de français se sont bousculés à l’entrée des librairies et des kiosques pour obtenir un des rares exemplaires de la revue qui publiait pour la première fois depuis la tragédie.  Et voilà, de la parole aux actes, les français ont été Charlie ce matin. Ils ont célébré la liberté d’expression en disant non à la censure.

Au même moment, l’humoriste Dieudonné était arrêté.  Pour avoir… parlé.  Pour avoir… écrit.  Moins de 72h après l’une des plus grandes manifestations de l’histoire de la France prônant la liberté d’expression réunissant plusieurs chefs d’État dans les rues de Paris, on arrête un humoriste, on l’accuse d’avoir fait l’apologie du terrorisme.  Résultat : possibilité de 7 ans de prison sans oublier les amendes dépassant les 100 000 euros (environ 172 000$ CAN).  Qu’a dit Dieudonné?  Il se sentait Charlie Coulibaly car plusieurs français le voyaient comme Coulibaly alors qu’il était dans les faits Charlie.  Est-ce de mauvais goût?  Tout à fait.  Est-ce que l’on doit emprisonner quelqu’un pour l’avoir dit?  Je vous pose la question à vous les « Je suis Charlie » car jusqu’où doit aller la liberté d’expression?

J’ai eu plusieurs surprises dans ce débat sur Charlie Hebdo.  J’ai vu des gens arborer la fameuse photo « Je suis Charlie » qui, pourtant, ne sont pas trop d’accord avec les principes qui guidaient cette lutte.  J’ai vu des gens faire des blagues très comiques sur Sophie Durocher pour ensuite se faire menacer de poursuite par la chroniqueuse du Journal de Montréal.  Pourtant, elle arborait fièrement « Je suis Charlie » sur ses différentes pages.

Le chroniqueur Mathieu Bock-Côté disait d’ailleurs ceci sur sa page Facebook le 11 janvier dernier :

« Plusieurs l’ont noté, le Québec francophone a fait preuve de courage, en publiant les caricatures de Charlie Hebdo, alors que le Canada anglophone, prétendant ne pas vouloir offenser les musulmans, s’est lamentablement couché. Ce qui dans les circonstances, consistait à dire que la liberté d’expression devait être balisée par la sensibilité des croyants, comme si l’esprit critique devant s’agenouiller devant les dogmes des uns et des autres. Comment dire ? Je suis fier, très fier de nous. Le Québec a révélé sa meilleure part. »

Pourtant, une page a été créée sur Facebook qui s’appelle « J’ai été bloqué par Mathieu Bock-Côté » et les commentaires qui sont à l’origine de l’ex-communion n’ont rien de méchant ou d’insultant, ce ne sont que des arguments contradictoires qui interpellaient le chroniqueur sans plus. Pourtant, il se dit fier que le Québec se tienne debout pour la liberté d’expression…

Il est là le piège.  Nous sommes tous pour la liberté d’expression… sauf quand ça nous heurte.  Je suis pour la liberté d’expression mais si on dénonçait moi, ma sœur, ma fille ou ma mère,  je serais le premier à vouloir fermer la trappe des gens qui cassent du sucre sur mon dos ou celui mes proches.  Je suis personnellement pour que l’on dessine des caricatures de Mahomet mais je considère aussi que de demander à une femme d’enlever son voile, ça porte atteinte à sa liberté d’expression.  Pourtant, des milliers de gens seraient contre l’un et pour l’autre et vice versa.  C’est aussi ça la liberté d’expression : être en désaccord que l’on caricature le prophète Mahomet ou que l’on soit désaccord avec le port du voile.

Je n’ai pas publié de photos « Je suis Charlie » tout comme je n’ai pas arboré de photos « Je suis Dieudonné ».  Parce que comme vous tous « Je suis Hypocrite ». Nous sommes tous pour la liberté d’expression…. mais il y a des limites et la limite, c’est ce qui nous heurte personnellement.

Fixer des limites à la liberté d’expression, c’est la restreindre obligatoirement.  Qui est le premier qui fixera la limite?  Bon courage à celui-ci…