« Les réflexions d'Olivier Choinière se portent depuis quelques années sur la mécanique des désirs qui animent notre société du spectacle et avec PARADIXXX il pousse jusqu'à l'inconfort la fabrication de cette promesse non tenue. »
Généralement, les bons journalistes essaient de ne pas recopier ainsi des phrases provenant des communiqués de presse. Mais celle-là, si on la lit après avoir vu le spectacle, prend soudainement tout son sens. Car Paradixxx, malgré ses apparences de spectacle provoquant et politiquement incorrect, n'est pas aussi virulent, pas aussi direct, pas aussi décapant qu'on aurait pu le croire. Jusqu'à un certain point, la séance de doublage d'un film porno qu'on nous propose est assez ennuyante. Mais à l'usure, le spectacle crée bel et bien chez son spectateur une sorte d'«inconfort», un malaise qui ne demande qu'à être transformé en réflexion.
Certes, on rit devant les dialogues improbables qu'Olivier Choinière met dans la bouche des protagonistes de ce film plus érotique que pornographique. Tous auront aussi remarqué le discours ironique qui s'y construit graduellement, à propos des vertus libératrices de l'art et du théâtre en particulier – ironie d'autant plus accentuée par la situation (c'est un doublage de film porno par des acteurs visiblement désillusionnés). Très drôle aussi d'observer en pleine action ces bruiteurs astucieux. Mais quand l'écran fige et que la voix de la régisseure soumet les acteurs à de longs et grotesques pantomimes érotiques, on rit un peu jaune. Certains diront que tout ça tourne à vide, que la situation s'éternise, qu'au final il n'y a rien là de bien signifiant. C'est vrai que l'exercice est finalement un peu simpliste, inachevé, insatisfaisant. Mais j'y ai ressenti un vrai malaise. Comme une invitation à réfléchir au sens des images qu'on nous lance au quotidien, et pas simplement à la pornographie. Comme une prise de conscience du voile de cynisme et d'insouciance qui recouvre trop souvent l'œil.
Mais le mieux dans tout ça, c'est que la structure du spectacle laisse libre cours à toutes sortes de méditations de ce genre-là sans altérer sa dimension profondément ludique. Autrement dit, avec cette forme inédite, Choinière s'est arrangé pour qu'on puisse choisir nous-mêmes notre posture réceptive : on peut s'emmerder et crier au scandale, rire aux éclats sans se poser trop de questions ou s'abandonner au malaise et réfléchir sans contraintes à notre propre consommation de pornographie (et autres contenus débiles). Je vous laisse deviner où je me situe.
Plus d'infos sur le spectacle sur le site web des Écuries (http://www.auxecuries.com/) ou en relisant l'article de mon collègue Chrisitan St-Pierre (http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1§ion=8&article=63025)
Merci pour cette réflexion critique, je suis maintenant capable de prendre la décision d’aller voir ou non cette pièce.
J’ai bien aimé. Ces faux élans de bleu-nuit me rappellent la pertinence de notre puberté aux temps moderne. Ici la consommation érotique ne pourrait-elle pas se retourner en joutes de voyeurisme? Je me le pose, puisque moi… je me suis senti touché et interpellé par leurs présentations. Aucun malaise, au contraire. J’aurais voulu y participer.
Monsieur Guignon, je ne suis pas certain de saisir le sens de votre commentaire. Vous vous êtes identifiés aux acteurs jusqu’à vous projeter en eux ? C’est l’un des effets du théâtre au sens très classique du terme. Heureux de voir que la proposition atypique d’Olivier Choinière a aussi provoqué ce genre de réactions. Ça prouve hors de tout doute qu’il y avait là plusieurs possibilités pour le spectateur.
Philippe, (pardonnez-mois l’imprudence de ma familiarité)
Vous semblez mettre les mots sur ce que, moi j’ose appeler ce réflexe soudain de me donner au spectacle. Ici, important de faire la nuance entre le fait de se donner EN spectacle et le fait de se donner AU spectacle.
Bien qu’à mon avis limitée, Choinière à tout de même su m’ébranler, moi-même ayant déjà désiré faire du doublage dans des films érotiques (quand j’étais jeune adolescent bien sûr… il y avait là un désir très saint de voyeurisme). C’est justement dans cette optique que j’ai senti le désir soudain de retrouver ma crise pubertienne et de me lancer dans ce gros happening. Le fait de retraverser ma période d’adolescent active…. !!!
Bien heureux d’en discuter avec vous.