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Tentatives: voyage erratique

Il n'y avait pas foule au Théâtre La Chapelle lors de mon passage pour assister à Tentatives, le nouveau spectacle de Jérémie Niel. Dommage, car il y a là une démarche artistique singulière, une franche remise en question de la forme théâtrale par le biais d'influences cinématographiques et chorégraphiques. Il ne s'agit pas tout à fait d'intermédialité (au sens d'une interaction entre un média et la scène), car Niel réussit à créer des ambiances filmiques sans recourir aux écrans.  Il ne s'agit pas non plus de théâtre dansé, du moins pas exactement, car le corps y est plus pulsionnel et imprévisible que musical ou chorégraphique. La proposition de Niel est pourtant un peu tout ça à la fois, légèrement décalée de l'une ou l'autre de ces formes tout en les englobant et les questionnant. Singulier, je vous disais.

Il n'en a pas l'habitude (son dernier spectacle était presque entièrement silencieux), mais la première partie de Tentatives est très bavarde. Des amis autour d'une table mangent, boivent et discutent d'aventures rocambolesques vécues pendant leurs derniers voyages. Le thème de l'errance s'installe doucement, mais plus encore celui de la mise en danger, de la nécessaire tentative de bousculer ses habitudes. Pourtant, les mots n'ont pas beaucoup d'importance, majestueusement supplantés par l'ambiance de brouhaha contrôlé et la musique des paroles superposées. Successivement, chacune des voix prend le dessus sur les autres, créant l'impression d'un changement de plan ou de point de vue. On n'oublie pourtant jamais de jeter un œil à l'ensemble, ou de surveiller du coin de l'œil le personnage interprété par Eric Robidoux, qui sort soudainement de table comme pour reprendre contact avec lui-même et sortir de son personnage social. Le micro, discret jusque-là, amplifie sa toux et sa respiration, comme un «zoom in» discret. Et puis le corps prend le plancher, la sensualité débarque, les pulsions s'activent. Mais ne perturbent pas le repas, clairement situé dans un autre espace-temps. Suit une deuxième partie plus silencieuse, plus exploratoire, où corps théâtraux et corps quotidiens se chevauchent, où le réalisme du souper a laissé place à une sorte d'onirisme erratique. Il y aura rencontre, et puis fusion charnelle, accentués par le bruit amplifié du souffle et des profondeurs, et par une superbe trame sonore atmosphérique (environnement sonore d'Alexandre St-Onge).

Niel nous invite finalement à écouter et regarder autrement, à se perdre nous aussi, à laisser promener nos yeux et notre esprit là où on ne les traîne pas d'emblée, à ouvrir l'oreille pour entendre le bruit de l'inexploré. C'est d'une grande simplicité et gagnerait à être encore approfondi -certains s'y perdront peut-être jusqu'à décrocher- mais il y a là matière à réflexion, contemplation, découverte. Et ça vaut le coup d'aller faire un tour. Il y a peu de représentations, alors faites vites.

Les détails sur le site web de la Chapelle