Dans mon article publié cette semaine à propos de la création en français de la pièce Bye Bye Baby (vous pouvez le relire ici), je soulignais qu'il est rare qu'une production anglo-montréalaise ait une grande longévité et un rayonnement adéquat. C'est dû à un manque d'argent, bien sûr, confinant les artistes à faire des spectacles plus modestes, mais aussi à un manque de salles et peut-être de public. J'aurais pu ajouter que le milieu francophone vit le même genre de problèmes à une autre échelle, mais l'exemple de la mise en scène de Clare Schapiro ramène à l'avant-plan la problématique anglophone, qu'hélais bien des francos ignorent.
Dans JEU 122, dans un dossier intitulé «Théâtre et argent», l'acteur et metteur en scène Guy Sprung rappelait que non seulement le théâtre anglophone est sous-financé par Québec, mais qu'il est aussi «invisible dans le reste du Canada.» Lorsque Sprung a interrogé l'un des décideurs du Conseil des Arts du Canada à propos de cette troublante disparité entre l'aide versée aux Montréalais et celle que reçoivent les autres provinces, il s'est fait répondre qu'il serait insensé de financer davantage les compagnies montréalaises étant donné les sommes qu'elles reçoivent déjà du gouvernement québécois. «Pensez aux théâtres de Saskatchewan qui ne reçoivent aucun soutien de leur province. Ne croyez-vous pas que nous devrions les soutenir d'abord ?» «C'est vrai, admet le metteur en scène. Le Québec, grâce à ses politiques éclairées en matière d'arts et de culture, accorde un soutien qui fait l'envie de tous les théâtres au Canada.»
On voit bien là dans quelle désagréable posture se trouvent les anglophones, sous financés par Québec comme par Ottawa, pendant que les artistes francophones réclament aussi, avec raison, des subventions plus généreuses.
À cela s'ajoute de sévères contraintes syndicales, forçant les artistes anglophones à créer dans un cadre de production très serré. Clare Shapiro me faisait remarquer en entrevue qu'alors que les acteurs francophones cumulent plusieurs contrats pour mieux gagner leur vie et bénéficient d'horaires de répétition relativement flexibles, les anglophones doivent respecter les règles très strictes d'une entente entre la Canadian Actor's Equity Association et la Professional Association of Canadian Theatres. «Il n'est pas possible de signer plusieurs contrats à la fois, précise-t-elle, ce qui complexifie la mise en place des distributions, et les répétitions doivent se tenir de façon continuelle pendant 3 ou 4 semaines, 6 jours par semaine, de 9h à 17h.»
Or, pour créer un théâtre durable et pertinent, qui interroge le théâtre et la société plutôt que de ressasser bêtement des méthodes et des discours connus, il faut du temps. Les francophones dénoncent depuis déjà longtemps, et toujours avec raison, le manque de temps alloué aux comédiens (relire à ce sujet l'essai polémique de Raymond Cloutier – Le beau milieu). Imaginez à quel point les revendications de la minorité anglophone, dont la situation est encore plus préoccupante, sonnent alors comme un cri dans le désert.
On peut en tout cas se réjouir, pour Clare Shapiro et Imago Theatre, de l'heureuse longévité de leur création. La pièce est à l'affiche au Monument-National à compter de jeudi jusqu'au 28 mars prochain. Seulement 10 représentations.