La Comédie Française va monter l'an prochain Le bruit des os qui craquent, pièce de la québécoise Suzanne Lebeau dont la mise en scène de Gervais Gaudrault est toujours à l'affiche du Théâtre d'Aujourd'hui. Le texte s'ajoute ainsi au prestigieux répertoire de l'institution fondée en 1680. Le communiqué précise que «cette reconnaissance confirme la place majeure de l'oeuvre de Suzanne Lebeau dans la dramaturgie internationale et souligne l'impact d'un répertoire qui ose explorer les zones de nuances où adultes et enfants partagent les mêmes doutes, les mêmes questions existentielles, les mêmes besoins de transcendance.»
Certes. Il faut bien se réjouir de tout rayonnement du théâtre québécois chez nos cousins. Mais ma surprise est grande. Car devant ce spectacle que j'ai vu la semaine dernière, je suis demeuré perplexe. À trop vouloir sensibiliser le public à la réalité des enfants-soldats, une tâche pourtant noble et nécessaire, il m'a semblé que Suzanne Lebeau tombait dangereusement dans le piège du sensationnalisme et de la culpabilisation facile. Rien à redire sur la très sobre mise en scène de Gaudrault (contrairement à mon collègue Christian St-Pierre, dont vous pouvez relire la critique ici). J'ai même plutôt apprécié la distance créée par la mise en scène, une précaution qui nous permet d'aborder l'horreur avec le recul nécessaire. L'ennui, c'est que le texte de Lebeau, qui évoque une série d'horreurs subies par des enfants soldats et expose leur lutte pour survivre en forêt (je raconte très grossièrement), ne se soucie pas de mettre les choses en perspective, de lancer de véritables pistes de réflexion, de situer le propos dans un cadre plus large ou de poser les questions qui s'imposent face à cette situation déplorable. Au lieu de ça, on reçoit le spectacle comme une grosse accusation. Le personnage de l'infirmière, qui témoigne du sort des enfants devant une commission d'enquête non identifiée, nous regarde de ses yeux féroces, l'air de nous crier de prendre enfin le blâme et de sortir de l'indifférence.
Je veux bien. C'est à ce genre de mission que se dévouent les organismes de protection de l'enfance – et cette mission est légitime. Mais est-ce bien là un discours qui méritait une heure de représentation ? L'occasion était pourtant belle de dégager des champs de réflexion, qu'ils soient intimes ou politiques. J'ai plutôt eu l'impression que ce texte nous servait une morale préfabriquée, jouant avec les cordes sensibles de tout être humain bien intentionné sans lui offrir de matière féconde à ruminer pour son repentir.
C'est à l'origine un spectacle pour adolescents. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi ça n'excuse rien.
Comme toujours, il y aura, un peu ou beaucoup de sensiblerie et des griefs bien inventoriés par certains, toujours dispo pour ruminer contre tous ceux qui nous montrent de trop près la misère du monde. Je connais la chanson. Il fallait prevenir de quoi on veut leur causer pour ne pas bousculer leur quiétude, il fallait aussi les prevenir que le récit n’est pas tendre, très dur ou encore sélectionner ceux qui ont le coeur corriace pour digérer ces images insoutenables. Je n’ai pas vu la pièce, mais je sais et connais les bobos qui démangent.
Arrêtez, arrêtez… et ceux qui vivent dedans, les subissent, meurent éttoufés dans leur sang? Brûlés vifs, les rescapés abondonnés pour morts et qui doivent se défendre contre les chiens errants. Tous ces faibles, ces victimes sans défense n’ont pas demandé de naître en enfer et ces enfers sur terre cher Phillipe, nous contribuons à les maintenir.
Chaque fois et à la moindre occasion, la morale des uns agace; la culpabilité et leurs colporteurs devraient être bien avisés de se garder d’approcher de notre confort. J’ai rencontré des enfants soldats, j’en ai dans ma famille et il faut peut-être entendre leurs histoires pour comprendre et mieux mesurer le décalage qui existe entre cette honte d’incultes qui mobilise tout notre intellect pour justifier l’injustifiable.
Il y a je crois, un terrain pour la dramaturigie, ses limites claires et le débat social par lequel nous nous exerçons à chercher des solutions et jusqu’ici personne ne vous empêche de développer dans ce sens.
Malheureusement hélas, vous n’êtes pas seul qui voulez qu’on vous laisse tranquille. Vous ne pouvez ni répondre des problématiques dont vous ignorez l’essentiel et cela se comprend mais n’empêchez pas ceux qui essaient d’aborder ces graves questions qui assiègent notre époque.
Vous voulez préserver votre indifférence? Dites-le dans des mots honnêtes.
C’est cela qu’il fallait dire… Nous l’avons aussi entendu trop souvent.
Sans rancune… il suffit d’essayer d’être de l’autre côté du confort pour mieux mesurer et surtout, vous parlerez en connaisance de cause.