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FTA : Prêts pour Transports Exceptionnels

Je disais hier que le coup d'envoi du Festival Trans-Amériques sera donné demain soir par le Nouveau Théâtre de Riga et son spectacle The Sound of Silence.

Or, ce n'est pas tout à fait vrai. Car le festival commence hors les murs, dès midi, au Vieux-Port, avec Transports Exceptionnels, l'étonnant duo du chorégraphe Dominique Boivin. Un homme et une pelle mécanique se toisent et s'apprivoisent, accompagnés de la voix torride de Maria Callas. Numéro de danse de rue, ou de théâtre de rue (les frontières entre les disciplines sont très minces dans ce cas-ci), qui a beaucoup fait jaser d'un bout à l'autre de l'Europe. Rappelez-vous cet extrait vidéo, que je vous avais déjà montré dans un billet précédent.

Cela dit, vous ne trouverez pas beaucoup de détails sur Transports Exceptionnels dans la presse québécoise. Pas assez d'espace pour tout couvrir, mais peut-être aussi un léger manque d'intérêt chez nous pour ce qu'on appelle communément les «arts de la rue». Voici donc quelques repères, bribes d'entrevues et de critiques glanées dans les journaux français.

Dominique Boivin est l'un des premiers «chorégraphes humoristes» en France et milite pour une danse divertissante et populaire, nous dit Rosita Boisseau, dans Le Monde. Citation:
«Dominique Boivin, poète lunaire, champion des spectacles somptueusement dérisoires, se souvient de l'accueil pincé reçu en 1987 par la comédie musicale Zoopsie Comedi, conçue en collaboration avec le collectif Lolita : " On nous a reproché de faire dans l'anecdotique et le superficiel, bref, de ne pas rentrer dans le cadre sérieux de la création contemporaine. J'ai toujours été fidèle à ce qui me constituait profondément, qu'il s'agisse de choses belles ou laides. Il est important pour moi de pouvoir tout montrer, bon goût et mauvais goût, qualités et défauts, d'être sincère avec soi-même. Car je ne suis pas différent de ceux qui viennent me voir, je me sens comme tout le monde. C'est ce côté universel, humain, de la danse qui peut la rendre populaire.»

Il est «tendre et surtout drôle, il n'a pas son pareil pour créer des univers joliment foldingues», affirme Annie Suquet, de La Croix.
 
Et la critique de Transports Exceptionnels est fort élogieuse. Voici quelques extraits, le plus descriptifs possibles, pour vous donner une idée de la chose. Et du caractère «humanisant» de la chorégraphie, capable de faire oublier qu'il s'agit d'une pelle mécanique, si l'on en croit ces commentaires.

«La ballerine, alias la pelleteuse tout de rouge vêtue par sa boîte de location, a croisé sur son chemin un danseur, lui aussi assez atypique, Philippe Priasso. Ils se sont plu visiblement, car leur pas de deux, millimétré et parfaitement rythmé grâce au conducteur Eric Lamy (également aux lumières), est une aria des plus harmonieuses. Le bras de la pelleteuse emporte le danseur dans les airs; elle prend son partenaire ou le repousse, se met aussi à tourner follement, évitant de justesse l'humain, qui se fait alors torero. Quant au godet, il se fait réceptacle, berceau. Fer et chair.  Philippe Priasso, autant acrobate que danseur, doit prendre des appuis osés pour se maintenir dans les airs. La chorégraphie s'amuse avec tout un répertoire gestuel masculin, des saluts aux gestes de victoire, des révérences aux poses pour podium. Ça plaît à la pelleteuse et, derrière ce petit duo sans prétention, qui vient et puis s'en va, Dominique Boivin explore le rapport érotique de l'homme à la machine, qui remonte peut-être à l'enfance lorsque le gamin n'a qu'une grue pour compagne.»
Marie-Christine Vernay, Libération

«Voilà bien le plus extraordinaire, le plus extravagant duel chorégraphique qu'on ait jamais vu. Un fascinant duo où notre perception des choses s'égare, où l'on croit voir naître sous nos yeux confondus une relation affectueuse entre l'homme et la machine qui, après avoir été brutale et menaçante, se fait attentive, protectrice, tendre même, et qu'on ne regarde bientôt plus comme un assemblage puissant de pièces métalliques, mais bien comme une créature sensible et pensante, à l'humanité extrêmement troublante. Grave et athlétique, mais aussi, face à l'énorme machine, chétif et pitoyable, Philippe Priasso est dans ce jeu inédit d'une justesse et d'une sobriété qui forcent l'admiration. Et, face à lui, le monstre qui pourrait l'aplatir d'un coup d'un seul s'humanise insensiblement jusqu'à ce que l'on croie voir naître entre l'un et l'autre ce quelque chose de stupéfiant, de bouleversant qui ressemble à de la tendresse. »
Raphaël de Gubernatis, Le Nouvel Observateur

Une réflexion, en terminant. Un numéro de rue comme celui-là, quand il est bien fait et atteint un large public, contribue à la démocratisation des arts de la scène et à une réappropriation du tissu urbain par les citoyens, spectateurs ou passants. C'est du moins ce que croit Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique et ancien président de l'organisme gouvernemental français Hors les Murs, qui regroupe l'ensemble des artistes de la rue en France. Dans une conférence qu'il donnait à Montréal il y a quelques mois, il discourait sur les «rapports ténus entre le social et l'artistique dans les arts de rue, ceux-ci impliquant presque toujours une notion de participation citoyenne.» Les arts de la rue encourageraient, selon Wallon, une «mobilité physique et intellectuelle du spectateur, en allant dans la rue, là où le public ne sait pas encore que le spectacle va avoir lieu. L'art de la rue, dit-il, s'impose bien souvent comme substitut au vivre-ensemble, aux rituels sociaux perdus, et nous permet de se réapproprier un regard sur notre environnement, de reprendre collectivement possession de notre territoire.» Si ça vous intéresse, Wallon a publié quelques textes sur la question; vous trouverez les références sur son site web.

Il n'y aura que 5 prestations de Transports Exceptionnels au Vieux-Port, et c'est gratuit. Détails ici.