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FTA: Gestes Impies, le risque de la création

En créant sa nouvelle pièce au Festival Trans-Amériques, le Théâtre de la Pire Espèce prenait un gros risque. Pas évident de présenter le fruit de nouvelles explorations formelles dans un festival d'envergure internationale, au centre d'une programmation de spectacles éprouvés (pour la plupart) et devant un public exigeant et aguerri. Et le Théâtre de la Pire Espèce, malgré le talent qu'on lui connaît, a accouché d'une proposition chevrotante et hésitante, un objet inabouti qui laisse perplexe. C'est le lot de la création, et il faut applaudir la compagnie pour avoir eu le cran de se mettre en danger sur la place publique. Mais si vous voulez mon avis, il aurait mieux fallu tester le matériel en saison régulière avant de se jeter ainsi dans la gueule du loup.

On nous avait prévenus: Gestes Impies est un cabaret étrange, à la jonction de plusieurs formes théâtrales: le théâtre d'objets, le jeu clownesque, la danse et le théâtre de l'image. On nous avait promis un spectacle plus poétique et onirique que narratif. Or, d'emblée, la forme du cabaret s'impose, avec ses influences circassiennes, son maître de cérémonie, ses personnages saugrenus et son petit orchestre. S'il y a là une volonté de briser la logique mimétique du théâtre conventionnel et d'interpeller le spectateur pour en faire son complice, c'est aussi l'une des principales faiblesses du spectacle, tant les interventions du maître de cérémonie ou celles, en voix hors-champ, du metteur en scène, ne servent qu'à créer des liens artificiels et redondants entre les différents tableaux. On y met en valeur les personnalités de chaque personnage, à travers une série de bouffonneries et de cabotinages, comme on y évoque assez maladroitement, en termes très flous et avec une candeur désarmante, les thèmes du spectacle (l'errance, la quête de sens, la perte de repères collectifs).

Il y a, dans les tableaux visuels, de jolies trouvailles. Les prothèses de papier dont on recouvre le visage ou les corps des acteurs, leur donnant l'allure d'étranges animaux volatiles, créent des effets saisissants. C'est là l'un des éléments les plus signifiants du spectacle, évoquant une panoplie de symboles et, à coup sûr, l'idée de l'élévation de l'âme humaine et de la recherche de spiritualité. La longue finale du spectacle nous transporte d'ailleurs dans des cieux d'une infinie blancheur. Il y a, ici et là, de très belles scènes de déambulation, à travers des chemins tracés que les personnages empruntent et desquels ils dévient, rappel des sinuosités de la quête de sens. Dans les prises de parole des personnages, au micro à tour de rôle, on comprend que la parole s'effrite, que les mots se perdent dans la vacuité du monde. Mais tout ça sent encore trop l'improvisation et l'exercice de style. On a là une collection de scénettes inégales dont la réunion est un peu forcée, pas assez organique ou mal structurée, de telle sorte que les liens entre les différents tableaux ne sont pas évidents. Si le théâtre de l'image se passe généralement de narration ou de dialogues, il ne s'envisage que rarement sans une structure précise, ou sans adopter un système de pensée, une logique, un parti-pris. Dans Gestes Impies, c'est plutôt l'anarchie. Ça a ses avantages, mais aussi ses lourds inconvénients.

N'empêche qu'il y a là de très bonnes pistes à explorer. Et je serai aux premières loges lors de la reprise du spectacle en janvier 2010 à l'Espace Libre, pour en constater l'évolution.