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Fringe 2009: Pas mal comme début

Pas mal comme début de Fringe. Il y a du théâtre de qualité au rendez-vous. Voici 4 premiers comptes-rendus critiques. La suite demain.

1. Villes mortes
Trois contes urbains mettant en scène trois personnages dans trois villes déchues, et autant de descentes aux enfers. Je me retiens de vous en révéler les intrigues, mais sachez qu'il y a là une écriture fortement maîtrisée. L'auteure Sarah Berthiaume a du souffle, un humour un brin cynique, le sens du suspense et la capacité d'alterner les registres, mais surtout, elle sait structurer des histoires dans lesquelles rien n'est laissé au hasard et tout s'emboîte. Une narration tapie d'images fortes, réfléchies et conséquentes, particulièrement dans le premier conte (interprété très sensuellement par Céliane Trudel), où les éruptions volcaniques se déploient au sens propre et figuré: éruptions de lave, mais également explosions d'érotisme et de douleurs amoureuses dont on ne se remet pas. Une auteure à surveiller. Le jeu des trois actrices (Stéphanie Dawson complète la distribution) est impeccable, par moments littéralement survolté, et la mise en scène de Patrick Renaud, sobre et efficace. La parole prend toute la place qui lui revient, et les actrices sont mises à profit pour créer des environnements sonores en dehors de leur tour de parole – une idée simple et belle. À voir mardi 16, jeudi 18, vendredi 19, samedi 20 ou dimanche 21 juin à la salle Hour.

2. Quatre contes crades
Tant qu'à parler conte urbain, enchaînons avec les histoires crades de Jean-Philippe Baril-Guérard, un conteur essoufflant mais attachant. Ses quatre contes nous transportent du sauvetage raté d'un ami suicidaire jusqu'à une bravade contre la Mort, en passant par les tribulations d'une putain russe à la beauté phénoménale et une histoire de bijoux de famille éparpillés (digne du mythe d'Osiris). Ouf! L'acteur nous raconte ça en empruntant les traits d'un coursier à vélo bavard et hyperactif. En soi, ces contes-là ne sont pas très épatants, peut-être même assez prévisibles, malgré des finales plus poétiques qu'attendu. Mais tout est dans la livraison: à toute allure et en pente ascendante – pas de doute il connaît l'art de la montée dramatique. Le plaisir vient aussi de la langue, une oralité bien québécoise, qui emprunte un brin à la manière traditionnelle, beaucoup au slang urbain, un peu à l'anglais et surtout à des figures de style bien connues des conteurs de tous acabits: répétitions bien placées, comparaisons loufoques et énumérations bien senties. Et finalement, on savoure les grivoiseries qui parsèment les récits avec bon goût et beaucoup de répartie. Je me garde de vous révéler qui, dans le lot des personnages racontés, se retrouve «la noune au ras de l'asphalte» ou pris dans le bourbier d'«une soirée chaude comme de la sueur post-coïtale». Il faudra aller voir par vous-mêmes. Vous pouvez l'attrapper ce soir mardi 15, mercredi 16, vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 à la salle Hour.

3. Jaune
Le féminisme et le théâtre québécois, c'est une vieille histoire d'amour-haine. Mais il y avait un certain temps que le thème n'était pas réapparu sur scène. Le féminisme est-il dépassé ou est-il devenu tabou? Pas pour le Théâtre Acharnée, qui tente avec cette pièce de poser un regard neuf sur le phénomène, et même sur l'identité féminine au sens large. Jaune, c'est donc une pièce sur la femme et son incessant combat, lequel prend un nouveau visage au contact de réalités toutes contemporaines: la surenchère médiatique et l'image de femme parfaite qu'on y véhicule, l'incommunicabilité, la course à la performance, la consommation effrénée, l'avortement sans limites. La jeune compagnie s'attarde aussi à l'Homme, et en présente un spécimen bien mal-en-point (Cédric Patterson), en perte de masculinité, d'identité et de repères. Une succession de scénettes reliées par des transitions cérémonielles ou des voix hors-champ, dans un esprit à la fois tribal et guerrier. Sur scène, les citrons, symboles ultimes de la couleur jaune et de tout ce qu'elle évoque (au choix, l'acidité, l'espoir, la femme adultère, les fausses apparences et tutti quanti) ne sont jamais bien loin. Mais l'ensemble ne colle pas parfaitement. C'est parfois maladroit, la plupart du temps très peu subtil et rempli de clichés. On cherche la réelle nouveauté dans le discours, mais on n'y trouve que des idées convenues sur l'exigence pour la femme d'être belle et bonne en toutes occasions, ou sur le caractère inhumain de notre société surproductrice et surconsommatrice. Mais le filon de base est bon, et il y a certainement là quelques bonnes pistes à explorer, notamment une excellente scène montrant l'avortement sous un éclairage moins reluisant qu'on veut bien le voir habituellement. Au Théâtre La Chapelle les mardi 16, vendredi 19, samedi 20 et dimanche 21 juin.

4. Dans le salon avec la clé anglaise.

On nous avait annoncé un spectacle inspiré du jeu Clue, mais heureusement, plutôt que de se perdre dans une intrigue policière conventionnelle, les Néos proposent une exploration, presque une suite de portraits, de personnalités toutes plus criminelles les unes que les autres. De l'Ingénue à l'Affamé, ils sont tous plus ou moins coupables, de méfaits anodins comme de crimes hautement condamnables. Parce qu'un criminel sommeille en chacun de nous (c'est bien connu!), les personnages archétypaux créés par les Néos ne sombrent jamais dans le cliché du psychopathe. Ici, c'est la cruauté ordinaire, qu'elle soit pulsionnelle ou maîtrisée, qui est mise de l'avant. Un spectacle ludique et sans prétention où domine le plaisir de jouer, dans une forme efficace et belle: monologues, interrogatoires et flashs photographiques se succèdent comme autant de preuves accablantes. Et soyez prêts, car le juge, c'est VOUS. Soit dit-en-passant, les Néos participaient aussi, hier, à une joute d'improvisation bilingue au Parc des Amériques, le Fringe Franglais Improv Confiture Jam, dont j'ai attrappé quelques minutes au passage. Événement sympathique et éminemment montréalais. À ne pas rater si ça se reproduit.

J'ai aussi croisé, au hasard d'une rue, la troupe de P.I.Q.U.A.N.T (Projet Indisciplinaire Québecois Utilisant les Arts Nécessaires à Son Travail) en train de répéter le spectacle Éponyme, à propos duquel je vous recommande la lecture de la critique de ma collègue Aurélie Olivier.