Je vous parlais il y a quelques semaines de la participation de Simon Boulerice au festival Festival de Théâtre Afro-Arabe (FETAAR) à N'Djamena au Tchad. Il y présentait son solo Simon a toujours aimé danser, que d'ailleurs on pourra revoir cet automne au Théâtre d'Aujourd'hui. Seul Occidental à participer à ce festival qui mettait aussi à l'affiche des troupes camerounaises, béninoises, centrafricaines et tchadiennes, il y a vécu une expérience déstabilisante et fort nourissante. Son récit de voyage ne manque pas d'intérêt, alors je vous partage des bribes d'un long entretien téléphonique qu'il m'a accordé à son retour il y a quelques jours.
Un festival à l'africaine
«Évidemment, au Tchad, il faut changer de rythme, accepter les retards, vivre plus lentement. Le festival auquel je participais fonctionnait aussi selon une structure très aléatoire, l'horaire des réprésentations de ma pièce a changé plusieurs fois, comme d'ailleurs les lieux de représentation. J'ai finalement présenté mon solo deux fois, dans une école primaire et dans un centre culturel.»
«J'ai joué à la toute fin du festival, et heureusement, parce que ça m'a permis de constater, comme spectateur, le comportement du public, et de m'y préparer. La représentation théâtrale est complètement différente. Le public est très agité, et comme tout le monde a des cellulaires au Tchad (étonnamment!), les spectacles sont constammment interompus par des sonneries. Les gens répondent à leurs appels et ne se gênent pas pour parler fort. Ça m'a vraiment sonné de voir toute cettte agitation; ça bouge beaucoup, il est fréquent que les gens se déplacent pour aller parler à un autre spectateur un au fond de la salle, ce genre de choses. J'étais prêt à tout. Quand j'ai joué dans l'école primaire, y'a une sorte de fanfare qui est passée dans la rue vers la fin de mon spectacle et qui m'a complètement enterré, et les gens se sont spontanément levés pour aller danser au fond de la salle. Heureusement, rien de tel au centre culturel, ça a été un charme.»
Une expérience de spectateur et de pédagogue
«J'ai vu beaucoup de spectacles africains, et je ne veux pas généraliser parce que je crois que c'est différent dans chaque pays de l'Afrique, mais le jeu d'acteur est très gros, pour ne pas dire grossier. Il n'y a pas d'école de théâtre là-bas – j'ai d'ailleurs été percu comme un maître dans les quelques ateliers de théâtre que j'ai donnés, ce qui m'intimidait. Les acteurs sont très généreux, ils se donnent sans retenue, mais aussi sans grandes nuances, sans subtilités – ils jouent la peine à grosses larmes et à sanglots bruyants, et c'est la seule manière qu'ils connaissent de transmettre ces sentiments là., Même si je ne crois pas posséder un immense savoir théâtral, ça a vraiment été une super expérience de transmission de connaissances pour moi. Comme j'ai tout de même fait l'école de théâtre, j'étais en mesure de travailler à les faire accéder à de nouvelles zones de jeu.»
Traiter d'homosexualité dans un pays musulman
«C'était ma plus grande crainte. Simon a toujours aimé danser traite d'homosexualité, et même si c'est fait à travers des images féériques d'attente du prince charmant, le personnage est si près de moi que je me demandais comment on allait ensuite me percevoir. Le Tchad est un pays musulman, ou l'homosexualité, pour ainsi dire, n'existe pas et est fortement réprimé. D'autant qu'à la suite de mes discussions avec le directeur du festival, je n'étais pas certain qu'il avait bien compris le propos. Au téléphone, il demeurait évasif et nébuleux. J'étais très inquiet de la réaction du public à ce sujet là, j'en étais même à me demander si je ne devais pas censurer certains passages. Mais j'ai été vite rassuré par une jeune actrice camerounaise, qui m'expliquait qu'étant donné que l'homosexualié n'y existe pas, le public tchadien ne se rendrait sûrement pas compte de la présence d'homosexualité dans mon texte, ou l'interpréterait autrement, comme ils préfèrent nier la chose. «Si tu n'embrasses pas un homme sur scène, me disait-elle, ils n'y verront que du feu.» Et effectivement, mon spectacle n'a pas vraiment causé problème.»
De nouvelles pistes de réflexion et de création
«La femme devant partager son mari avec d'autres femmes, toute cette question de la polygamie, m'intéresse beaucoup. J'étais content d'en parler avec une Camerounaise de mon âge, qui m'expliquait que la nouvelle génération est en voie de changer les choses, que certaines jeunes filles ne sont plus prêtes à vivre avec un homme polygame. Ce qui est vraiment intéressant, c'est que dans les ateliers que j'ai donnés, c'est aussi un thème qui est revenu souvent dans les improvisations. Les jeunes acteurs profitaient vraiment des sketchs pour parler des problèmes de leur société, dénoncer les situations des femmes battues par exemple. Je sentais aussi que les jeunes hommes étaient en faveur de cette prise de position, comme une sorte de vent de féminisme. Le théâtre, pour eux, est spontanément social. Il y est beaucoup question de la guerre et des rapports homme-femme. C'est une leçon pour moi, qui malgré tout, est porté à travailler beaucoup l'esthétique, les belles «images». Ça me donne envie de pratiquer un théâtre plus directement politique. C'est à suivre.»
Il est tout à fait regrettable de véhiculer de tels lieux communs : « En pays musulman, l’homosexualité n’existe pas ».
Votre actrice camerounaise au mieux aura voulu vous rassurer, au pire, se moquait de vous.
Au contraire, en pays musulman (lire les auteurs français du 20ème siècle sur l’homosexualité en Afrique du Nord), et en particulier au Tchad que je connais bien, comme avant le mariage, il est plus difficile qu’ailleurs d’approcher les femmes, l’homosexualité existe comme « pratique de remplacement « .
Cependant, il est vrai qu’elle n’est pas « institutionnalisée », ce qui, à mon sens, est plutôt une bonne chose : cela évite de mettre les gens dans une « case », définitivement.
Monsieur Pierre
Votre commentaire est fort intéressant, et merci d’y suggérer au passage quelques lectures (mais au fait, de quels auteurs français parlez-vous?). Ça incitera certainement quelques lecteurs à approfondir la question, et Simon Boulerice le premier. Cela dit, il n’est pas question ici de « véhiculer des lieux communs », mais de témoigner, à chaud, des préoccupations d’un jeune artiste au Tchad, ainsi que des nouvelles pistes de réflexion qui se dégagent de son expérience, lesquelles pourraient faire l’objet, une fois mûries, de points de départ à une nouvelle création.
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