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Avignon 2009: une nuit mouawadienne

Avignon bouillonne et frémit d'anticipation. Dans quelques heures, les premières répliques de la trilogie Littoral-Incendies-Forêts vont retentir dans la cour d'honneur du Palais des Papes. Grand soir de première très attendu des festivaliers, et particulièrement des Québécois, nombreux cette année à déambuler d'un spectacle à l'autre. En ce moment, fin d'après-midi, ils font assurément  la sieste en prévision de cette folle nuit de théâtre; la trilogie dure 11 heures au total, incluant de longs entractes, et se terminera aux premières lueurs du matin. Il y a eu un certain travail de réécriture, de Littoral surtout (dont la création remonte à 1997), et les conceptions scénographiques, musicales et de lumières ont aussi été homogénéisées, mais les spectateurs assidus de Mouawad retrouveront là ce qui les a toujours fait frissonner: le souffle épique, la narration puissante, l'ancrage mythologique et les éloquentes images scéniques.

Il s'agit là d'un événement historique. Pour la toute première fois, un artiste québécois a l'honneur d'ouvrir le festival d'Avignon dans la prestigieuse Cour d'honneur du Palais des Papes. Qui plus est, on entendra pour une très rare fois la langue québécoise sur une scène avignonnaise. Dans un passionnant recueil d'entretiens distribué gratuitement sur le site du festival (et téléchargeable ici), le dramaturge parle de l'inventivité de cette langue, «pleine d'expressions concrètes et d'images parlantes», et en dit ceci:

«Le français du Québec est le seul qui soit la langue des vaincus. Au Liban, à Brazzaville, même à Bruxelles, sans parler de la Bulgarie, de la Russie, de la Roumanie, du Luxembourg, le français n'est pas parlé par les ouvriers , c'est la langue de la culture, c'est la langue du colon, c'est la langue de la civilisation ou de la richesse. On m'a dit qu'il y n'y avait qu'un seul autre endroit, mis à part le Québec, où le français est la langue la plus populaire, une langue des modestes et des ouvriers, et c'est l'île Maurice. Au Canada, comme à l'île Maurice, la langue économique, la langue de domination, c'est l'anglais. Pour bien te faire voir, quand tu y as des lettres et de l'argent, tu y parles anglais. Pour moi, le fait que la trilogie va s'ouvrir et se fermer sur un personnage qui parle québécois est très important, de surcroît dans l'un des symboles de la culture française, la Cour d'honneur du Palais de papes!»

Mon collègue Christian St-Pierre et moi-même vous en donneront nos impressions demain. Mais la grande nouvelle, c'est que si l'on se fie au calendrier de tournée remis aux journalistes, la trilogie, dans cette formule d'une durée de 11 heures, sera présentée à Montréal et Québec en mai et juin prochains. Ce ne sera peut-être pas aussi magique que dans la mythique Cour d'honneur, mais ça vaudra certainement le déplacement.

Photo: Littoral. Crédit Thibault Baron

°°Philippe Couture est invité au festival d’Avignon avec le soutien de l’Office franco-québécois pour la jeunesse.