Autant vous le dire tout de suite: assister à la trilogie de Wajdi Mouawad dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes m'a transporté d'émotion. À un point tel que je ne vois pas l'utilité d'en faire un quelconque commentaire critique. D'autant que ces trois pièces, Littoral, Incendies et Forêts, sont déjà fort connues de vous comme de moi, et abondamment documentées dans la presse québécoise. Jetez tout de même un oeil à ce qu'en a dit Brigitte Salino, dans Le Monde; elle est visiblement aussi conquise que la foule de près de deux mille spectateurs aux yeux brillants que j'ai observée sortir de là au petit matin après des applaudissements sentis et bruyants. Évidemment, on est en France, et ce brouhaha s'est exprimé à quelques décibels de moins que ce qu'aurait fait une foule québécoise, mais les bravos et les cris ont tout de même fusé de toutes parts.
De l'émotion, je vous disais. Évidemment, c'est un peu dû au lieu. Je ne vous dis pas les frissons qui m'ont assailli quand l'imposante distribution de la trilogie est apparue sur la scène la cour d'Honneur autour de 20h, pour une première scène de groupe, sorte de préface imagée à la trilogie. Des acteurs frénétiques, un lieu mythique et superbe, un petit vent doucereux et une foule toute disposée à écouter les mots puissants de Wajdi: il n'en fallait pas plus pour me tirer une larme. Puis sont venus les premiers mots de Littoral, prononcés par Emmanuel Schwartz, qui reprend ici le rôle créé par Steve Laplante en 1997. Et la démesure proprement mouawadienne, et les monologues au souffle tragique, et les pointes d'humour, et le jeu exacerbé, et les fortes images scéniques, et les voyages dans l'espace et le temps: tous ces ingrédients étaient là en puissance. Tout simplement magique, pendant des heures et des heures, alors que la nuit s'installait et perdurait, jusqu'au lever du soleil, dévoilant un parterre de spectateurs emmitoufflés dans leurs couvertures et toujours attentifs.
On sait que Mouawad a réécrit certains passages, retravaillé la structure pour éviter trop de redondances et unifier le tout. Bien difficile d'identifier précisément les changements à vue de nez, ils sont mineurs. Ce qui frappe, par contre, c'est l'héritage de Seuls, ce solo dans lequel Wajdi s'aspergeait de peinture et se libérait de ses chaînes dans une longue scène physique. Ce déferlement de couleurs, s'il vous a bouleversé dans Seuls, vous serez heureux de le retrouver dans la nouvelle mise en scène de Littoral, et à moindre mesure dans Incendies et Forêts. Sur le vaste plateau de la Cour d'Honneur, sans mur de fond et sans jeux de semi-transparence derrière ces murs, la mécanique des corps dans l'espace et les déplacements des acteurs d'Incendies se perçoivent autrement. C'est moins léché, plus brutal, moins pudique peut-être, comme si la mise en scène avait été déshabillée, remise encore plus à nu qu'elle ne l'était déjà.
Bref, une expérience vibrante.
°°Philippe Couture est invité au festival d’Avignon avec le soutien de l’Office franco-québécois pour la jeunesse.