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Avignon 2009: Mouawad et ses "Ciels" décevants

Mon collègue Christian Saint-Pierre a bien aimé Ciels, nouvel opus tant attendu de Wajdi Mouawad, comme vous pouvez le lire ici. Je vous offre un contrepoint, un autre point de vue, car comme certains critiques français, j'ai de sérieuses réserves sur la nouvelle création mouawadienne. Comme Odile Quirot du Nouvel Observateur, j'aurais pourtant «aimé l'aimer». Peine perdue.

Soyons clairs, c'est encore du grand Wajdi: un alliage de mathématiques et de poésie comme lui seul peut arriver à le faire, à travers une intrigue complexe mais toujours limpide et captivante, où se croisent allègrement l'intime et le sublime. Mais cette fois, la quête qui anime les personnages est plus artificielle que viscérale. Comment adhérer à cette histoire tout droit sortie d'un polar à la Da Vinci Code, avec ses allures persistantes de scénario hollywoodien apocalyptique ? Bien sûr, Wajdi déjoue les codes du polar et s'y immisce pour y mêler ses thèmes chéris et son souffle épique. Mais si peu. Le ton du roman policier n'est «pas gênant», affirme mon collègue, «parce que le spectacle entrelace d'une manière bouleversante une mission plus grande que nature à la vie personnelle des protagonistes.» Peut-être, et c'est lors de ces moments de jonction entre l'intime et le collectif que le spectacle s'élève un peu. Mais il m'a semblé que la pièce restait trop longtemps clouée au genre policier et à ses codes restrictifs. Ce n'est certainement pas dans une telle structure que Wajdi peut voler à sa hauteur et nous entraîner avec lui.

Et que dire du dispositif scénique? On est plongés dans le bunker, forcés à suivre l'action à partir d'un siège pivotant, invité à recevoir les images et les sons de tous les côtés, comme immergés de mots et de sensations. Certes, cela place le spectateur dans la position du chercheur et le ramène à l'enquête, lui demandant aussi de rester ouvert à plusieurs points de vue et d'interroger constamment les pistes qu'on lui propose. Mais cela, le texte l'impose déjà et la place physique occupée par le spectateur n'y change pas grand-chose. En nous demandant de déplacer nous-mêmes notre regard d'une scène ou d'une image à l'autre, le metteur en scène nous demande aussi de se livrer à un travail d'imaginaire et de réfléchir aux liens, misant sur l'intelligence et la participation du spectateur. Mais ce faisant, il nous prive de son sens de l'image et des transitions, dissimulant son génie et sa vision singulière au profit d'une succession de scènes traitées de manière plus conventionnelle qu'à son habitude. C'est dommage.

Comme mon collègue, je me dois de souligner «le jeu encore disparate de certains comédiens». Il semble que le jeu exacerbé «à la Wajdi» soit plus difficile à incarner pour certains acteurs français de la distribution, qui s'y frottent de manière un peu affectée.

Reste à voir comment la pièce évoluera au fil de la tournée française et sous quel aspect elle se présentera aux spectateurs d'Ottawa et du Québec au cours de la prochaine saison théâtrale. En attendant, je vous invite à visionner la conférence de presse publique de Wajdi Mouawad pour en savoir plus sur les inspirations et le processus de création; il y est aussi éloquent et passionnant que d'habitude.

°°Philippe Couture est invité au festival d’Avignon avec le soutien de l’Office franco-québécois pour la jeunesse.