Le festival d'Avignon, c'est bien souvent le règne des productions à gros budget et des grosses distributions. On y voit des créateurs audacieux et avant-gardistes, qui travaillent sans compromis des formes monumentales, avec l'aide de subventions fort généreuses. Mais il y a aussi une place pour des créations plus modestes, et c'est sur une note plus discrète que se termine le festival, avec Mon képi blanc de Hubert Colas et Loin… de Rachid Ouramdane, deux productions qui ont pris l'affiche en ce début de la quatrième semaine de festivités. Tous deux avaient présenté un spectacle de plus grande dimension, si je puis dire, au début du mois.
Le livre d'or de Jan, la nouvelle création pour grand plateau d'Hubert Colas, avait alors provoqué de vives réactions dans la presse. «Que du vide», se sont exclamés la plupart des critiques influents, jugeant le spectacle poseur et prétentieux. J'avais pourtant bien aimé cette pièce dans laquelle des trentenaires urbains sont confrontés à la disparition d'un ami, et par le fait même, ramenés à leur propre absence, leur propre vide intérieur. Colas y distillait, à coups de micro-récits parcellaires et souvent livrés avec le rythme du spoken word ou par des emprunts au théâtre performatif, le portrait ambigu d'un artiste et de ses relations tordues, superficielles ou malsaines, égocentriques mais vraies. Fossé générationnel, me suis-je dit en lisant les commentaires de la critique française. La presse préfère sans doute quand l'artiste marseillais prend une autre voie, plus concise et précise, comme dans Mon képi blanc, monologue de Sonia Chiambretto que Colas a d'abord porté à la scène en 2007. La pièce est en effet assez éloignée de la forme fragmentaire et très contemporaine du Livre d'or de Jan (celle-là étant plus proche de certains textes de Martin Crimp que Colas a aussi monté il y a quelques années). Sur scène, un acteur (l'impressionnant Manuel Wallade) raconte, dans une langue réinventée, inspirée du français «mixte» parlé par les légionnaires étrangers d'Aubagne, la réalité de ces képis blancs exilés et confrontés à la guerre. Parole musicale, au souffle saccadé, qui dégringole à toute vitesse et adopte le rythme droit et cadencé du pas militaire, jusqu'à un extrême et époustouflant climax. Une parole guerrière et calculée, qui a l'impact foudroyant d'un tir contrôlé.
Rachid Ouramdane, danseur et chorégraphe français d'origine algérienne, propose avec Loin… une exploration des traces laissées par la guerre du Vietnam dans les familles qu'elle a écorchées au passage. Sa démarche est d'abord documentaire: il s'est rendu là-bas pour interroger des gens dont l'existence ou l'histoire familiale a été marquée par la guerre. Sur scène, il fait voir et entendre des bribes de ces témoignages par le biais de la vidéo et d'enregistrements sonores, lesquels fragments sont suivis de séquences dansées qui évoquent plus fortement le voyage, le nécessaire retour aux sources pour comprendre son identité et sa place dans la Grande Histoire. Lenteur aérienne ou ondulations frénétiques mènent le bal et transportent le spectateur dans un parcours mémoriel, à la recherche de sens, d'héritage et d'identité. Si la danse et la vidéo ne semblent pas d'abord pleinement communiquer, Ouramdane ne nous invite pas moins à y chercher des liens et y construire notre propre parcours identitaire. Il m'a semblé que le thème du voyage, de l'errance, résonnait plus fortement que celui de la guerre, ce qui est un peu dommage, certainement moins riche et plus éloigné du propos souhaité par le chorégraphe. Avis aux intéressés : ce spectacle sera présenté en mars au Centre national des arts d'Ottawa.
°°Philippe Couture est invité au festival d’Avignon avec le soutien de l’Office franco-québécois pour la jeunesse.