BloguesParathéâtre

La tragédie des femmes dramaturges

Vous me pardonnerez ma longue absence de la blogosphère; je me suis permis un peu de vacances après le sprint du festival d'Avignon. Je suis de retour en force.

Dans ma boîte de réception ce weekend, un document intitulé Rideau de verre. Auteures et scène québécoise. Portrait socio-économique. C'est signé Marie-Ève Gagnon, auteure dramatique et metteure en scène. On la connaissait déjà pour sa contribution au comité des femmes de l'Union des Artistes, lequel a souvent dénoncé l'écart des revenus entre les comédiennes et leurs collègues masculins. Sans surprises, Gagnon porte le même constat à la situation des auteures dramatiques québécoises. Son étude, chapeautée par l'AQAD (Association québécoise des auteurs dramatiques), s'appuie à la fois sur une étude Léger Marketing donnant un aperçu de la situation financière des auteures dramatiques, et sur une recherche quantitative mettant en évidence "les lieux ou les auteures québécoises sont jouées et la fréquence à laquelle elles le sont."

 Ainsi donc, il se joue moins de textes de femmes que de textes d'hommes sur les scènes québécoises. Chez les auteurs dramatiques en général, les revenus liés à l'écriture sont minces, mais encore plus chez les femmes. Les textes québécois, nombreux à atterrir chaque année dans les bacs du CEAD (Centre des auteurs dramatiques), ne sont pas tous montés, mais ceux des hommes le sont plus que ceux des femmes (61% des pièces jouées sont écrites par des hommes, 29% par des femmes et 10% par des collectifs mixtes). Les revenus tirés des productions sont inférieurs pour les femmes auteures, parce que les textes de femmes sont généralement joués par des compagnies aux moyens et aux revenus plus modestes. Une situation que Marie-Eve Gagnon voudrait voir changer. Son objectif: que plus de textes d'auteures québécoises soient portés à la scène, par le biais de la sensibilisation des directeurs artistiques et la mise sur pied d'outils de réseautage et de négociation pour les auteures.

L'étude est bien documentée; on ne peut pas nier ses conclusions. Mais la parité hommes-femmes devrait-elle vraiment constituer un critère de composition de la scène théâtrale ? Dans la concoction d'une saison, un directeur artistique doit-il se soucier de favoriser les deux genres plutôt que de songer uniquement à la qualité et au potentiel scénique d'une oeuvre ? Cette objection, l'auteure-chercheure la voyait venir. Elle précise, assez subjectivement bien sûr, qu'il suffit de lire beaucoup de théâtre québécois pour constater qu'"année après année, les oeuvres des auteures dramatiques sont aussi multivoques et multiformes que celles de leurs confrères. Hyperréalisme, travail sur la langue, poésie, absurde, elles n'ont rien à leur envier."

Dans son introduction, Marie-Eve Gagnon se dit consciente d'étudier "un sujet qui dérange". Elle sait bien que "le sujet détonne, impatiente, ou au mieux, attriste. On souhaiterait le balayer sous le tapis ou alors on le juge d'une époque révolue." Ce n'est pas loin de ce que je pense, hélas. Même si Marie-Ève Gagnon cherche à détruire cette opinion en analysant l'impact négatif  du "radicalisme féministe" et en détruisant le mythe occidental voulant que les "batailles féministes ont été gagnées", je dois avouer que je ne suis pas convaincu.

Si, à l'intérieur d'une même institution ou compagnie théâtrale, les auteures étaient littéralement moins bien payées que leurs homologues masculins, on n'hésiterait pas à brûler notre chemise sur la place publique pour les défendre. Mais ici, la situation est tout autre. Les auteures québécoises gagnent moins que leurs confrères parce qu'elles sont moins jouées et jouées par de plus petites compagnies. Que pouvons-nous y faire, réellement ? Forcer les directeurs artistiques à choisir toujours un nombre égal de créations d'auteurs masculins et féminins serait faire ombrage à leur jugement et à la nature artistique de leur prise de décisions.

Pour appuyer ses dires, la chercheure fait référence aux gender studies américains, lesquels ont prouvé que "les schèmes d'une personne, qu'elle le veuille ou non, influent sur les jugements qu'elle porte sur autrui et peuvent même l'induire en erreur." Et que "nous sommes enclins, hommes et femmes, à dévaloriser le féminin."

Je ne suis pas spécialiste en gender studies, et ça mérite d'être approfondi,  mais cette dernière affirmation manque un peu de nuances, non ?

 Qu'en pensez-vous ?

Crédit photo: Jean-François Leblanc