Septembre. Vous tenez peut-être entre votre mains le spécial rentrée de Voir. J'y ai écrit que la scène «grouille de partout» cet automne. C'est vrai à cause du nombre de productions à l'affiche, en constante progression à mesure que de jeunes compagnies se jettent à l'eau. C'est vrai aussi à cause de cette tendance à débuter la saison quelques semaines plus tôt, parfois dès la mi-août, pour laisser la place à un spectacle supplémentaire. C'est vrai, finalement, à cause du grand nombre de créations québécoises, que mon collègue Christian St-Pierre répertorie pour vous dans l'encadré qui suit mon article.
La scène grouille, mais ça ne veut pas pour autant dire que la saison est des plus réjouissantes. Si vous me permettez un coup de gueule, j'oserais affirmer que cette saison théâtrale me laisse un peu indifférent. Bon, on ne sait jamais ce que nous réservent les metteurs en scène et je crois qu'il vaut assurément la peine de se déplacer pour aller voir. Mais je me demande entre autres si cette année, le Théâtre d'Aujourd'hui remplit sa mission. Exception faite de Fanny Britt et Christian Lapointe, qui sont de moins en moins associés à la relève (heureusement!), les auteurs les plus prometteurs de la jeune génération n'y sont pas. Ils sont, comme Emmanuel Schwartz, au Théâtre La Chapelle, ou comme Etienne Lepage et Philippe Ducros, à l'Espace Go, Aux Écuries et à l'Espace Libre. Les auteurs établis mais plongés dans de constantes remises en question de leur art, ceux-là même qui font avancer la pratique théâtrale d'ici et la font voir aux quatre coins de la planète, comme Daniel Danis ou Wajdi Mouawad, n'y sont pas non plus. Pour voir la nouvelle version de Littoral et la première canadienne de Ciels, entre autres, il faudra aller à Ottawa ou attendre l'an prochain. Soyons patients. Quant à la comédie musicale Belles-Sœurs, je n'ose pas trop en parler. Il faudra voir avant de se prononcer.
Au TNM, on ira voir avec joie Blackbird (bravo pour cette trop rare invitation à une troupe étrangère dans l'une de nos institutions), ainsi que le nouveau texte d'Evelyne de la Chenelière (L'Imposture), et même la mise en scène du Huis-Clos de Sartre par Lorraine Pintal. Mais il y a aussi un Shakespeare et un Molière que les metteurs en scène René-Richard Cyr et Benoît Brière semblent vouloir monter dans un esprit festif, avec de grosses distributions et beaucoup de faste. Rien pour nous laisser croire qu'on apprendra quelque chose de nouveau sur ces œuvres fondamentales. Pour les véritables relectures, on repassera.
L'Espace Libre est fidèle à lui-même, on y prend toujours un risque, et c'est bien. Mais rien de bien notable, il me semble, excepté la pièce de Philippe Ducros, L'Affiche, qui attire ma curiosité à cause de son parti-pris très politique. Chez Duceppe, le choix d'une saison entièrement composée de créations québécoises est bienvenu, mais on se doute que la compagnie ne changera rien à son habitude de présenter des mises en scènes très conventionnelles. Toujours de qualité, mais rarement mémorable.
Tout le monde l'a décrié ces derniers jours: il y a beaucoup de reprises. Je ne veux pas trop m'en plaindre, parce que c'est signe que certaines créations québécoises arrivent à prolonger leur durée de vie, et c'est une très bonne nouvelle pour l'ensemble du milieu et des spectateurs, qui ne sont pas tous au théâtre chaque soir comme les critiques ou les mordus. Mais c'est vrai qu'à La Licorne, là même où se produisent habituellement certains de nos plus grands chocs théâtraux, le nombre de reprises frôle l'indécence. Même chose à l'Usine C. Passons.
Heureusement il y a l'Espace Go, toujours une valeur sûre. Et le réseau des petites salles, regroupées dans le livret Cartes Premières, qui nous proposera assurément de bonnes surprises et d'amères déceptions, mais dont la plupart des propositions m'allument. Il y a là de bons textes contemporains, trop souvent ignorés par les grandes institutions, comme La Campagne de Martin Crimp ou Crises de Lars Norén, et aussi de nouveaux noms qu'on a envie de surveiller, comme Louis-Karl Tremblay du Théâtre Point d'Orgue, qui monte les Troyennes de Sartre au Bain St-Michel.
Et surtout, cette saison est revigorée par le Théâtre La Chapelle. Non seulement le petit théâtre de la rue St-Dominique est sur le point de supplanter l'Usine C par son offre de spectacles internationaux (avec de la visite de France et des Pays-Bas), mais les propositions québécoises y sont des plus séduisantes. J'ai déjà mentionné Emmanuel Schwartz, artiste polyvalent dont les talents d'écriture nous ont été dévoilés au compte-goutte jusqu'à maintenant et ne demandent qu'à exploser. Mais je pourrais tout aussi bien nommer Peter James, Gaetan Nadeau, Nini Bélanger, Christian Lapointe (toujours lui) et Marc Beaupré. J'ai peut-être l'air de laisser de côté mon impartialité et d'être complètement vendu à la cause de La Chapelle, d'autant plus qu'ils ont abondamment utilisé d'extraits de mes critiques dans leur programme de saison, (ce qui peut donner l'impression que je suis de connivence avec eux). Je n'ai rien à voir avec leurs stratégies marketing, soyez-en assurés, et il faut aussi remarquer que chaque fois qu'un critique est ainsi cité dans un document promo, toutes les nuances de son propos disparaissent comme par magie. Je ne peux toutefois que constater la pertinence et le courage de cette programmation. Au lancement, la semaine dernière, Christian Lapointe disait au directeur artistique Jack Udashkin qu'il se sentait privilégié de créer dans un «lieu aussi libre, qui fait fi de toutes les contraintes d'entreprise culturelle habituelles.» En d'autres mots, il voulait sûrement dire qu'à la Chapelle, on fait confiance au spectateur et on lui propose des démarches radicales et nécessaires sans le prendre pour un imbécile et lui donner du pré-mâché. Il a raison, Christian Lapointe.
Bonne saison tout de même. Soyez curieux. Peut-être que je me trompe…