J'étais hier à la première de Scotstown, le spectacle solo
de Fabien Cloutier à La Licorne. La pièce est drôle, par moments. Mais elle est
aussi grave, et nous présente une sombre facette du Québec rural, ce Québec
raciste et homophobe qu'on refuse trop souvent de regarder en face.
Dans la salle, sans cesse, des rires démesurés, grossiers et artificiels.
C'était soir de première, évidemment, et la salle était remplie d'amis de
l'artiste, de journalistes et de gens du milieu, ce qui donne souvent lieu à des
dérives et des excès d'enthousiasme que l'on s'explique assez bien dans ce
contexte. Mais ces rires-là, souvent dérangeants, sont le reflet d'une tendance
bien implantée du public de théâtre québécois: la fuite dans un rire excessif
pour déjouer la gravité des propos et la profondeur du discours qu'on leur
sert. Comme si le théâtre, même si l'on reconnaît son exigence, n'avait pas le
droit de ne pas être drôle dans notre société dominée par l'humour et
l'anti-intellectualisme. J'aime bien rire moi aussi, mais pourquoi sommes-nous
si incapables de rire avec intelligence? Pourquoi n'arrivons-nous pas à
recevoir le drame, la tragédie, les textes coups-de-poing ou les paroles
sérieuses pour ce qu'elles sont, sans toujours les désamorcer par l'humour?
Vous me trouverez désagréable, sans doute, de frapper sur ce
qui fait de nous des êtres sympathiques et agréables: notre légendaire humour
et notre si grande convivialité. Mais il me semble que même l'humour est
destructeur dans certains contextes.
En entrevue, Fabien Cloutier me disait justement son
désarroi de voir qu'au Québec, «on rit à toutes les sauces. Les humoristes
prennent beaucoup de place dans l'espace public, évidemment au détriment des
intellectuels et des artistes, ou même d'autres gens qui portent un autre type
de discours. Le rire est pourtant une arme intellectuelle redoutable lorsqu'il
est provoqué de manière intelligente.»
Qu'en pensez-vous?
Le fait de tout tourner en drôleries n’est pas un signe d’anti-intellectualisme, bien au contraire. Il connote cependant un signe flagrant de deux problématiques:
1. Le théâtre est vue pour la plupart comme du pure divertissement – pas par anti-intellectualisme; mais plutôt pour permettre aux gens de décompresser et de souffler un peu. Le théâtre-divertissement n’est pas le genre de théâtre que j’ai toujours le goût de voir, et heureusement, je crois qu’il n’est pas si présent… malgré tout il y a peut-être ici une mauvaise éducation du public face aux spectacles (et non pas face à l’intellectualisme).
2. Le rire est une réaction humaine. Qu’elle soit causée par le malaise, la joie ou même pour rien. Et pourquoi pas? Il ne s’agit pas là d’un manque de respect pour personne, mais plutôt d’une expression. N’y a-t’il pas là tout simplement un droit à l’expression… même grossière soit-elle?
Et si le spectateur rit parce qu’on y parle de sexe, de vulgarité ou d’amour? S’il rit parce qu’il trouve ça profondément drôle. Parce que pour lui c’est drôle… et bien pourquoi pas. Il réagit non? Il réagit à ce qu’il voit? Après, viendra l’analyse psychologique, sociologique et psychanalytique du pourquoi du comment. Mais au moins, le théâtre va l’avoir fait réagir et donc penser. Que se soit par le rire, que se soit par l’expression orale, ou par les huées. Le rire n’est pas anti-intellectuel… bien au contraire; il démontre un savant procédé de réflexion sur le fonctionnement humain, ses troubles, ses ambiguïtés et sur les malaises profonds d’une société. Il en dresse un portrait. N’est-ce pas ce que le théâtre veut faire aussi?
Mon dernier billet (à relire ici ) a vivement intéressé Fabien Cloutier. S'il n'est pas prêt
@Germain Pitre
Le rire est certainement humain, et c’est une manière de réagir que je ne veux pas non plus condamner catégoriquement. Mais il faudrait être bien naïf pour s’imaginer que le rire entendu dans les salles de théâtre est toujours un rire constructif, un rire qui engendrerait une réflexion après coup. On peut rire par pur divertissement, ça fait du bien, mais je voulais ici dénoncer ce qui m’apparaît comme un excès, comme un rire dérangeant qui fait dévier notre attention des propos essentiels des oeuvres. Le rire n’est pas anti-intellectuel, mais certains rires découlent peut-être de l’anti-intellectualisme dont le Québec est affligé. Je n’en suis évidemment pas totalement certain, mais c’est l’hypothèse que je soutiens.