Intéressante réflexion du producteur Roger
Frappier dans Le Devoir ce weekend (page C5). Il plaide pour un «cinéma du grand contexte». C'est à
dire un cinéma national qui cesserait d'être replié sur lui-même et de «puiser
son inspiration dans son propre bassin d'œuvres dramatiques» pour s'ouvrir
définitivement au monde et s'inscrire au cœur de la planète. C'est aussi un
cinéma qui cesserait de ne déployer qu'«une esthétique en phase avec son niveau
de développement artistique et ses moyens financiers limités». Un cinéma qui
serait définitivement d'envergure internationale, en misant sur des fonds
publics distribués bien autrement qu'ils ne le sont actuellement et sur le
principe de la coproduction internationale. Un cinéma du grand contexte, selon
l'expression inventée par Milan Kundera, c'est un cinéma qui ne tente plus de
seulement se situer dans «l'histoire de sa nation» mais bien dans «l'histoire
supranationale de son art».
Eh bien moi, je plaide aussi pour un
théâtre du grand contexte.
Si le théâtre québécois a abandonné depuis
longtemps les thèmes nationalistes pour se tourner vers le monde et vers une
parole plus universelle, au grand désespoir de certains nostalgiques, bon
nombre de créateurs font encore, en termes esthétiques, du théâtre de petit
contexte. C'est dû, bien sûr, aux contraintes de création dictées par nos
institutions, au manque de temps et d'argent pour aller au bout des
propositions, mais l'évidence est que le théâtre québécois souffre grandement
d'une sorte d'uniformité esthétique. Dans un article de l'ouvrage Le Théâtre
québécois 1975-1995 (sous la direction de Dominique
Lafon), l'auteur Gilbert David affirme même que
cette «uniformisation esthétisante de la représentation théâtrale entraîne,
d'une manière plus insidieuse, le plafonnement de la pensée artistique.»
Il suffit de voir quelques spectacles en
Europe ou même de s'intéresser à la scène européenne à distance, en visionnant
des extraits vidéo et en lisant sur le théâtre contemporain européen, pour
constater que bien des spectacles québécois manquent d'envergure et perdraient
toute signification si on les sortait de leur petit contexte national. Ce
qui, avouons-le, est bien triste. Il est temps pour les artistes et les
critiques québécois d'ouvrir leurs yeux et leurs oreilles sur le théâtre
d'ailleurs, et d'en tenir compte dans leur pratique et leurs revendications
auprès des gouvernements. Pour que le théâtre québécois compte vraiment. Pour
qu'il nous stimule et stimule les autres, et qu'il interroge notre collectivité
sans la cloisonner. Pour que nos productions, enfin, cessent d'être des
produits rapidement fabriqués, consommés et oubliés et deviennent des œuvres
durables et nécessaires.