J'ai passé un weekend intellectuellement bouillonnant à Ottawa, en tant que participant à un atelier de critique théâtrale avec le controversé Robert Lévesque. A l'initiative de Wajdi Mouawad, la classe de maître annuelle du Théâtre français du Centre national des arts s'adresse cette année aux jeunes critiques. Très intéressant de côtoyer pour un weekend cette figure marquante de la critique québécoise, qui fut autant admiré que détesté des artistes et des lecteurs, à cause de son exigence, de son érudition et ses phrases assassines, loin de tout consensus et de toute complaisance. Un homme par ailleurs très doux et particulièrement ouvert à la discussion, du moins dans le contexte de ce stage. Ce fut une occasion en or de réfléchir et d'échanger sur le rôle et le sens de la critique dans le Québec d'aujourd'hui, alors que la plupart des médias considèrent les critiques comme des journalistes interchangeables et ne soucient pas du dialogue à long terme qu'un critique peut et doit engager avec la discipline qu'il commente et analyse.
À échanger pendant des heures nos analyses et nos points de vue du remarquable spectacle Hedda Gabler de Thomas Ostermeier, on s'est pris à rêver d'un véritable espace de dialogue entre critiques, artistes et spectateurs. Un lieu où l'on pourrait échanger longuement autour des spectacles les plus fertiles, sans les contraintes d'espace et de temps imposés par la presse, dans une perspective plus large, plus analytique et surtout, moins chaotique et moins spectaculaire que ne tentent de le faire à la télé les collègues des Six dans la cité.
Il y a du chemin à faire avant que ce soit une réalité, mais il est permis de rêver. Qu'en pensez- vous ?
Photo Radio-Canada
Robert Lévesque est un gros malentendu. Comme plusieurs de ses anciens camarades du Devoir, il confond bien écrire et trop écrire… la justesse et les flaflas. Il confond perspective personnelle et nombrilisme… De plus, ses critiques dites littéraires sont très superficielles et se contentent souvent de résumer la vie de l’auteur… à la portée du premier étudiant un peu appliqué. Un prof de littérature l’avait remarqué et écrit, et Lévesque l’avait écorché au passage…
Quant à la critique culturelle en général, au Québec, elle est à peu près impossible. Tout le monde se connaît, se fait la bise ou, pire, collabore sur des projets ensemble, journalistes et artistes confondus. Je me souviens d’un journaliste du Ici qui critiquait le CD d’un chanteur québécois pour lequel il écrivait des textes de chansons.
Le milieu est très petit et le moindre bémol dans une critique est perçu comme une infamie.
Sans oublier les artistes intouchables, encensés à chacune de leur production…
Philippe, je rêve moi aussi d’un espace où l’on pourrait discuter. Comme tu le sais, je suis moi-même journaliste et critique de danse à La Presse et à CIBL et il n’y a rien comme échanger avec mes collègues. Nous sommes parfois en désaccord, ce qui prouve qu’en danse du moins, plusieurs interprétations peuvent être valables. Mais je crois aussi qu’un critique se construit, après des années de pratique, après avoir assisté à des centaines et des centaines de spectacles. Je fais moi-même ce métier depuis 16 ans. Il faut développer un regard historique sur le travail des artistes que l’on critique, pouvoir les replacer dans des courants artistiques et dans l’air du temps. Il faut aussi avoir discuté longuement avec eux, avoir échangé sur leur processus de création, pendant des années souvent, pour bien comprendre ce qui motive leur évolution. Et n’oublions pas l’importance d’avoir une plume! Malgré les difficultés à La Presse, le journal a respecté l’expérience que ma collègue Aline et moi avons développée en nous laissant faire les critiques de danse. Mais pour combien de temps?
Puisque qu’on parle de rêves, je ne me prive pas de songer à des médias qui donneraient cet espace dont tu parles, Philippe. À des émissions télévisées qui passeraient tard le soir, puisque c’est le créneau horaire souvent réservé à l’intelligence, et où l’on débattrait de toutes sortes de choses.
Francis, vous avez raison sur le fait que la promiscuité dans laquelle nous place la société québécoise rend l’exercice de la critique plus périlleux et que certaines bornes sont parfois dépassées. Je déplore autant que vous. Étant de nature très sociable, je fais la bise à de nombreux artistes de la danse que je suis ensuite chargée de critiquer (dans le Voir papier ou télé ou dans le site DF Danse). Certains sont même devenus de bons amis. Et voyez-vous, il m’est déjà arrivé de laissé un message sur un répondeur disant « J’ai fait une critique un peu dure de ton spectacle. Si tu veux qu’on en parle, tu peux m’appeler. » La personne a laissé un message à son tour disant « Merci de l’attention mais tout va bien : mon travail ne peut pas plaire à tout le monde » Il arrive aussi que je prenne un peu de distance dans les périodes où ils présentent un spectacle. Tant qu’une critique est basée sur des arguments solides, elle est bien accueillie par les artstes car elle est constructive. Sortons donc des préjugés et des généralisations.
Et pour ce qui me concerne, Robert Lévesque, il est pour moi une référence et une grande source d’inspiration. Un homme qui se tient aussi droit m’aide à me tenir debout pour résister à la bêtise ambiante, même dans les temps de grande fatigue.
Il était un critique controversé, c’est un fait. Télé-Québec avait présenté un documentaire sur son travail et l’impact qu’il avait eu. Il reste qu’il était au sommet de sa gloire à une époque où tout se faisait à sens unique dans les médias d’information, car l’interactivité de l’internet n’existait pas comme c’est le cas présentement sur le site du Voir.ca. Ses connaissances étaient beaucoup plus développées que celles d’un spectateur-internaute. Je le perçois un peu comme un précurseur, mais ce genre de critique-vedette me semble être d’une autre époque maintenant révolue. Il était détesté par certains alors que d’autres pleuraient d’émotions devant les caméras de ce documentaire. Il a connu une très mauvaise fin de carrière, tombant de haut, suite à un accroc de taille relié à cette éthique professionnelle qui devrait diriger le travail de tout journaliste: cela formait la fin de ce documentaire. Le monde artistique est en perpétuel mouvement et les critiques doivent s’adapter au changement. S’accrocher au passé n’est pas rentable.
(…) « on s’est pris à rêver d’un véritable espace de dialogue entre critiques, artistes et spectateurs. » !
Mais il existe déjà cet espace, Philippe: c’est Internet. Tous ces blogues, ces sites et autre Twitter du cyberespace.
La critique n’a jamais été aussi pratiquée et démocratisée qu’aujourd’hui. Et je ne crois pas que cela marque la fin de la critique professionnelle (ou du journalisme culturel), mais plutôt le début de q.q. chose…
Une nouvelle façon de faire avec laquelle le critique ne peut plus, comme à l’époque de Robert Lévesque, toujours avoir le dernier mot!
Mon ami Stéphane Aquin, qui jadis couvrait les Arts visuels à « Voir, » aimait dire qu’un critique doit être la fois « fier et humble ».
Fier de son jugement, de sa plume, de son expérience, de sa tribune… Mais humble face aux artistes. Car son travail restera toujours de l’ordre du commentaire, de l’analyse, du point de vue circonstanciel.
On remonte « Les Belles-Soeurs », on aime lire ou relire « Prochain épisode » ou « Bonheur d’occasion » et d’autres classiques des années 50 et 60.
Mais qui se souvient d’une seule critique parue dans La Patrie, Le Petit Journal ou La Presse à cette époque ?
Il faut faire ce métier honnêtement, sérieusement, passionnément.
Puis après, se retirer élégamment sur la pointe des pieds et laisser la place aux chef-d’oeuvres…
Luc Boulanger (Le Devoir)
Luc Boulanger
@Francis Hébert: Si la critique culturelle est impossible au Québec, pour les raisons que tu nommes, il faut quand même combattre l’épidémie de complaisance et de copinage et croire que la critique est encore possible. Le problème, à mon avis, est plutôt le manque de courage de certains critiques, et surtout le manque d’espace et de considération pour la critique. À lire les commentaires de Stéphanie Brody et Fabienne Cabado, je vois en tout cas que je ne suis pas seul à rêver. Ça fait du bien.
@ Normand Parisien et Luc Boulanger: Intéressant vos points de vue sur la possibilité d’échanges sur le web. Mais les blogues, comme d’ailleurs celui-ci, ne permettent pas de structurer les échanges et laissent place à de nombreuses dérives. Et malgré le web, il est rare qu’un artiste ait le courage de discuter avec un critique, qu’un critique remette publiquement en question la pensée d’un autre critique, qu’un journaliste culturel réponde vraiment aux commentaires d’un spectateur qui s’est exprimé en dessous de sa critique sur le web. À vrai dire, je rêve de joutes orales, comme celles de l’émission Le Masque et la plume sur France Inter. Michel Vaïs, aujourd’hui rédacteur en chef de la revue Jeu, a déjà essayé de reproduire le concept dans une émission intitulée La Grande Scène du dimanche (au milieu des années 90). Mais ça n’a pas fait long feu. Car le Québec, tout autant que ses artistes et ses critiques, est une société profondément consensuelle qui ne recherche pas tellement le débat.
@Luc Boulanger: D’accord pour une critique humble, mais une critique tout de même vivante, animée et prête à se remettre en question.
Oh, et à propos de Robert Lévesque, je dois dire qu’il m’inspire aussi. Évidemment, il avait tendance à la moquerie, parfois même au mépris, ce qui est fort condamnable et que je ne défends pas. Mais en contrepartie, il est exigent, cultivé, et capable de mise en perspective. Qui plus est, il luttait férocement contre la proximité entre les journalistes et les artistes.
Je vous parlais cette semaine de Robert Lévesque , ancien critique du Devoir . Et voilà que ce même Devoir
À vous qui n'étiez pas à la lecture publique de textes d'auteurs québécois sur l'acte de