Vous
vous rappelez de ma longue discussion avec Marie-Thérèse Fortin à propos de la
saison du Théâtre d'Aujourd'hui ? Elle y énonçait, entre autres, ses doutes et
ses réserves personnelles à propos du travail du metteur en scène Christian
Lapointe. Je vous invite à lire ce qu'elle écrit à ce sujet dans Le Souffleur,
le volumineux cahier dramaturgique créé autour du nouveau spectacle de Lapointe,
Limbes (photo) qu'on verra à Montréal en janvier au Théâtre La Chapelle. La forme écrite
lui permet les nuances et les précisions qui s'imposent. Et c'est très intéressant.
Voici :
Je
ne suis pas certaine de tout comprendre.
Je
ne suis même pas toujours sûre que je m'y retrouve.
Le
théâtre de Christian Lapointe ne me ressemble pas.
Quand
je rêve de théâtre, je ne rêve pas à ça.
Quand
on me demande ce que j'aime dans le théâtre ou au théâtre, je ne pense
pas aux spectacles de Christian Lapointe.
Comment
le pourrais-je ? Ce ne sont pas des spectacles.
Si
on me demande, tu aimes ça, toi ? Je ne sais pas quoi répondre.
Non,
je n'aime pas ça.
Ce
n'est pas aimer qu'il faut dire.
Aimer,
n'a rien à voir.
Aimer
ne correspond pas à ce que je ressens.
Quand
j'assiste à du Christian Lapointe, je suis prise.
Captive.
Aspirée
dans un univers où l'appréciation n'a pas sa place.
Je
ne peux pas apprécier.
Peut-on
apprécier une tempête ? Un cyclone ? Un raz-de-marée ? Un coupde
foudre ? Un songe à la sombre couleur de nuit ?
Non,
il ne s'agit pas d'apprécier.
Ce
n'est pas apprécier qu'il faut dire. Mais que dire alors ?
Quand
je suis prise par du Christian Lapointe, je glisse dans le mystère d'une parole
qui ne redoute pas l'obscur pour atteindre à la clarté.
Et
je ne peux que me rendre à quelque chose qui me dépasse.
Je
ne peux qu'accepter de déambuler dans les corridors d'un rêve, dans des espaces
où la boussole de ce que je pense savoir ne m'est d'aucune utilité.
Ça
ne fonctionne pas.
Et
pourtant, comme tout cet inconnu m'est proche…et nécessaire.
C'est
pour cela que j'aime Christian Lapointe.
Marie-Thérèse Fortin
Directrice artistique du Théâtre d'Aujourd'hui
Crédit photo: Guillaume D. Cyr
Ici, on joue un peu sur les mots.
Bien sur, « aimer » et toutes les subtilités qu’il comporte est beaucoup plus complexe qu’un simple oui ou un simple non. Je sais que lorsqu’on est devant un oeuvre plus grand que soi on a l’impression d’être perdu au milieu de nulle part, d’être pris par surprise ou d’avoir le souffle coupé… ok, ok, ok… mais en bout de ligne, si on y revient, si on y garde un souvenir positif, si on le qualifie de nécessaire… n’est-ce pas par amour? Peut-être un mal nécessaire? Encore là, ne suffirait de quelques jeux d’entourloupettes pour nous convaincre que nous aimons la souffrance si elle est nécessaire.
Dans tous les cas, les réactions de Marie-Thérèse Fortin me paraissent bien peu intéressantes.. j’ai plus l’impression qu’elle tente de jouer avec les mots et jouer avec l’absolu… certes une tâche amusante, mais qu’elle en est son intérêt?