Je dis souvent, même si je suis conscient que c'est cliché
et candide, que le théâtre façonne ma vision du monde. Ou plutôt que j'ai
choisi d'observer le monde par la lunette du théâtre.
Or, le théâtre ne me donne pas toujours à voir le monde
aussi concrètement que ne le fait ces jours-ci l'auteur et metteur en scène Philippe
Ducros à l'Espace Libre. Sa pièce L'Affiche, que je vous conseille vivement de
ne pas rater, aborde de plein fouet le conflit israelo-palestinien. Avec
courage, Ducros prend position, sans trop de raccourcis intellectuels et sans acharnement
buté. En tout cas à première vue. Son théâtre est politique, engagé, humain, et
il ose susciter le débat autour de l'un des conflits les plus complexes et les
plus sensibles de la géopolitique mondiale. Quand ce genre de théâtre se
produit, je me dis que j'ai bien fait de choisir la lunette du théâtre pour
observer le monde. Même si ça n'arrive pas assez souvent.
Et là, j'ai la vive impression que les médias sont en train
de rater une occasion de faire dialoguer le théâtre et la société. Que
lira-t-on dans les journaux à propos du spectacle de Ducros dans les prochains
jours? Des critiques. Qui décortiqueront de leur mieux le spectacle dans le
petit espace qui leur est réservé, en analysant,
dans le meilleur des cas, la signification des images scéniques ou l'impact du
jeu d'acteur, après avoir résumé brièvement le propos de la pièce. C'est bien.
L'exercice est nécessaire. Mais nulle part, je le crains, un journaliste n'aura
pris le temps de réfléchir au véritable propos de la pièce, ou décidé de l'utiliser
comme une prémisse pour donner lieu à des articles de fond sur le conflit
israelo-palestinien. Avec, par exemple, des entrevues avec des politologues qui
ont un avis éclairé sur la question et pourraient confronter leurs points de
vue à celui de Ducros. Il me semble que c'est le genre de papier que j'aurais
envie de lire après avoir vu le spectacle. J'ai de beaux grands rêves, je sais.
Si je vous parle de ça, c'est un peu parce qu'hier (vendredi
4 décembre), l'Espace Libre proposait une table ronde sur le sujet, avec Bruce
Katz (président de Palestiniens et Juifs unis pour la Paix), Edmond Omran (Aide
Médicale pour la Palestine) et Marie-Joëlle Zahar (professeure de science
politique à l'UdM). Le documentariste Hugo Latulippe (Bacon le film, Ce qu'il
reste de nous) y jouait les animateurs. Et pour les quelques trente personnes
qui composaient l'assistance, ce fut une discussion éclairante, axée sur les
solutions possibles au conflit et le rôle que nous avons à jouer en tant qu'Occidentaux
concernés. C'était en quelque sorte le prolongement direct du spectacle; une
manière intelligente de réfléchir à ses suites.
Vous me direz que je suis journaliste et qu'il n'en tient qu'à
moi de concrétiser mon grand rêve. Je sais. Je prends le blâme – j'y ai pensé
un peu trop tard et les délais de production d'un hebdomadaire comme Voir ne me
permettent plus de bondir dans le bureau de mon rédacteur en chef pour lui
proposer de publier l'affaire avant Noël. Mais comme Philippe Ducros ne s'arrêtera
pas là, je me reprendrai bien une autre fois.
En attendant, courez à l'Espace Libre et voyez comment le théâtre peut faire
œuvre utile. Allez, allez ! Jusqu'au 19 décembre.
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Mise à jour 6 décembre: L'attaché de presse de L'Affiche, Philippe Bergeron, porte à mon attention l'excellent reportage de Jacques Beauchamp de l'émission Desautels à la première chaîne de Radio-Canada (émission du jeudi 3 décembre à 18h07), où interviennent deux des spécialistes invités à la table ronde de l'Espace Libre. Très intéressant.
Voici le lien: http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2009/CBF/Desautels200912031807.asx