Voici comment l'auteur et metteur en scène Philippe Ducros réagit aux échanges qui ont eu lieu sur ce blogue à propos de sa pièce L'Affiche et de la table ronde de vendredi dernier sur la situation en Israël-Palestine. Pour poursuivre le débat.
L'occupant à la table de l'occupé
Une des grandes victoires d'Israël, quand on parle de l'occupation de la Palestine, c'est de faire croire qu'on se doit de toujours donner les deux points de vue sur le dit « conflit », de présenter un portrait supposément équilibré de la situation, jetant les torts des deux côtés du mur, égalisant les douleurs de part et d'autre, comme si nous n'étions pas dans une situation d'occupation. Si jamais on se retrouvait à faire une table ronde sur l'occupation du Tibet, se sentirait-on obligé d'inviter un panéliste pour nous parler du point de vue de la Chine ? Or, lorsqu'on parle de l'occupation de la Palestine, c'est ce qu'on nous demande. On ne peut pas simplement dénoncer l'occupation, l'oppression qui en découle et la colonisation. À la base, le seul élément commun des panélistes était de reconnaître cette occupation. Les détails quant au boycott ou autres nuances ne faisaient pas l'unanimité des intervenants. Ils voulaient brosser un portrait juste, et un portrait juste ne nie pas l'occupation. Or lorsqu'on parle d'occupation, il y en aura toujours qui voudront minimiser ses impacts, ou même la nier, ou encore discréditer ceux qui prennent la parole, ou pire, nous traiter d'antisémites.
Nous faisons face à une occupation, à la répression militaire brutale nécessaire à son implantation. À l'ampleur inhumaine de cette répression. Cette occupation, je l'ai vue. L'ampleur de la répression, je l'ai vue aussi. Il serait pour moi hypocrite et lâche que de nier l'occupation ou de prétendre à un équilibre des forces et des agressions. Une fois sur place, l'occupation est une évidence criante, le déséquilibre est brutal et l'oppression, constante. Se réclamer de la neutralité face à un acte d'oppression, c'est refuser de le dénoncer. En refusant de le dénoncer, on tolère l'oppression et donc on prend parti pour l'oppresseur, on accepte. Continuer à perpétrer l'idée d'un équilibre entre les forces en jeu au cœur de cette occupation, d'un équilibre entre les souffrances qui en découlent, c'est promouvoir la légitimité de cette occupation. Et c'est nier l'ignominie qu'elle implique. L'occupation est d'une violence inacceptable. L'AFFICHE n'en présente qu'un bref coup d'œil, bien faible, bien comestible, intense peut-être, mais éphémère. Suite à la représentation, nous rentrons chez nous. Suite à mes voyages en territoires occupés, je suis rentré chez moi. Après le service militaire, les Israéliens rentrent chez eux. Puis bien souvent, ils partent en voyage à travers le monde. Les soldats israéliens de profession rentrent chez eux aussi, les soirs de permission. Pour les Palestiniens, l'occupation est constante, omniprésente. Ils n'y échappent jamais. Ils n'ont toujours pas de chez eux et, sauf s'ils sont chassés, ils ne peuvent pas sortir des murs qu'on leur impose, et ce malgré l'illégalité déclarée de ces murs par les agences internationales comme l'ONU.
Edmond Omran est un réfugié. Il partage le sort des autres réfugiés dont les familles ont été chassées de chez eux, le fusil à la tempe. Plus de 700 000 Palestiniens ont dû fuir leur demeure en 1948*. Et depuis, lorsqu'ils veulent témoigner de la violence qu'ils ont subie, de l'horreur qui se perpétue, ces réfugiés doivent toujours partager leur temps d'antenne avec l'occupant, sous le prétexte de l'équilibre. Leur parole en est banalisée, et leur douleur ne devient qu'une opinion diluée parmi la rhétorique, et la propagande. Cela doit cesser.
Je ne dis pas ici que Mme Ghila Sroka est pour l'occupation. Je ne réussis pas à comprendre ses opinions. Elle se prétend militante pour les Palestiniens mais elle s'est déclarée ouvertement sioniste lors de son intervention enflammée vendredi dernier. Non, nous n'avons pas invité de sioniste à la table ronde. Non, il n'y avait pas de représentant du point de vue officiel d'Israël. Oui, c'était un choix.
Daniella Weiss, l'ancienne maire de Kedoumim, une des colonies qui entourent la ville palestinienne de Naplouse a déclaré, il y a quelques jours : « Nous sommes 600 000 Juifs à vivre de ce côté de la Ligne verte (en Cisjordanie) en comptant Jérusalem-Est (annexée par Israël en juin 1967), je vous assure que d'ici cinq ans, nous serons deux millions.** » Aurions-nous dû l'inviter elle aussi à la table ronde ? Où tracer la limite ? Devrait-on aller jusqu'à inviter un violeur à table lorsqu'on parle de viol ?
Quant au Boycott, la position des syndicats palestiniens n'est pas aussi claire que le prétend Mme Sroka. Si on va sur le site info-palestine.net, on y trouve une déclaration de la fédération des syndicats qui va comme suit : « De plus, notre Fédération déclare sans ambiguïté sa position de principe engagée pour le boycott d'Israël dans tous les forums internationaux, et se réjouit de toutes les forces internationales, institutions et syndicats qui se tiennent solidaires du peuple palestinien et qui adoptent cette position.***» Qui croire ?
Finalement je trouve qu'il y a un manque de compassion extrêmement brutal dans le fait de dire « Le conflit israélo-palestinien n'est pas un conflit si important dans le monde. » Qui s'occupe de quantifier l'horreur ? Qui peut déterminer l'échelle de ce qui est important quand on parle directement de la vie de gens, de peuples ? J'y vois encore le souci intéressé de minimiser l'impact de l'occupation et la responsabilité de l'occupant ainsi que de ceux qui acceptent cette minimisation et qui en font la promotion.
La diversité d'opinion est effectivement primordiale. Lors de cette table ronde, nous voulions échanger sur les impacts de l'occupation, sensibiliser le public à ces impacts et réfléchir sur les solutions possibles pour sa fin ainsi que pour une paix juste au Moyen-Orient. Il est vrai que personne ne niait l'occupation. Les panélistes cherchaient des solutions, témoignaient d'espoir et de désespoir et ne partageaient pas le même avis quant à ces solutions et au futur. Elle fut là, la discussion. Il est là le dialogue. Dans la recherche de solution et d'espoir.
* Ces chiffres sont ceux de l'ONU. Encore une fois, il s'en trouve qui seront prêts à les nier.
** La Presse, 09 décembre 2009.
*** http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=7731
Photo: Philippe Ducros en Syrie. crédit : Gustave Akakpo