Depuis trois jours, je relis régulièrement les lettres que m'ont
envoyées Philippe Ducros et Ghila Sroka, publiées sur ce blogue dans le sillon
des représentations de la pièce L'Affiche à l'Espace Libre, et je demeure
perplexe. Je ne vais pas essayer ici de prendre position en faveur de l'un ou l'autre
des camps. Je ne maîtrise pas assez le dossier, même si tout ça m'intéresse
grandement. Mais j'ai tout de même envie de faire un retour sur les vifs
échanges ayant eu lieu ici.
En avril 2002, dans la page idées de La Presse, le
politicologue Yvan Cliche écrivait : «Remarquable dans ce conflit en effet est la solidité des arguments
historiques avancés par les deux factions en présence.» C'est bien l'une des
choses que l'on constate quand on lit Ghila Sroka. «La raison pour laquelle il
y a place pour les représentants des deux parties, c'est que le conflit ne
commence pas en 1967 avec l'occupation des territoires, […], mais en
1947, lorsque le plan de partage est voté et que la partie palestinienne
et arabe le rejette totalement, en répondant par la guerre.» D'un côté ou de l'autre, l'appartenance
à ce territoire s'explique par des raisons historiques légitimes. Je ne vous
apprends rien. Sinon que la leçon à retenir est qu'il faut être extrêmement
prudent dans nos prises de position par rapport à ce conflit.
Je persiste toutefois à dire qu'en tant qu'artiste et
citoyen, Philippe Ducros a bien le droit d'inviter qui il veut à sa table
ronde. Le théâtre est un lieu de prise de position, n'en déplaise à certains. Ça
aurait été bien différent si la table ronde avait eu lieu à l'université ou sur
le plateau d'une émission d'affaires publiques. Ducros n'a jamais prétendu être
neutre ni organiser une table ronde neutre. En s'y rendant, il fallait en être
conscient et user de sens critique en écoutant les panélistes exposer leurs
points de vue.
Peut-on être sioniste et dénoncer l'occupation de la
Palestine ? Ghila Sroka le prétend. Ça me semble être une position ambigüe,
du moins si l'on considère que le territtoire revendiqué historiquement par les
sionistes implique toujours une partie ou une autre des territoires revendiqués
par les Palestiniens. Mais le sionisme, semble-t-il, varie grandement selon les
interprétations. Faudrait fouiller la question.
Pour les défenseurs des Palestiniens, le boycott des
produits israéliens est-il une bonne idée ? On a bien vu que les choses ne
sont pas si simples. C'est à méditer.
Philippe Ducros est-il manipulateur et antisémite ? Bien
sûr que non. Il suffit de voir sa pièce, remplie de nuances, pour le constater.
Elle est publiée aux éditions Lansman, pour ceux qui auraient envie de s'y
plonger en profondeur après avoir vu le spectacle. Et quand Ghila Sroka l'accuse
d'être phallocrate, elle est totalement hors-sujet. Je lui ai dit ce que j'en
pensais au téléphone. On n'avance pas de telles accusations sans s'appuyer sur
des déclarations faites en ce sens ou des gestes précis commis à l'encontre des
femmes. Madame Sroka connaît aussi mes réserves par rapport à son style
vindicatif. En insultant son interlocuteur, elle ne sert pas son propos.
Une dernière chose. Je ne suis pas d'accord avec Ghila Sroka
quand elle suggère que le conflit israelo-palestinien, au 49e rang
des conflits importants dans le monde selon les statistiques qu'elle brandit,
ne mérite pas autant d'attention. Ce conflit est passionnant, et force est de
constater qu'il intéresse grandement les Québécois. Je serais curieux de lire
une étude qui mesurerait le degré d'intérêt pour la question chez le peuple
québécois en général, et les raisons possibles de cet intérêt. Dans mes recherches rapides, je n'ai rien trouvé de tel. Si quelqu'un a une référence à suggérer, ne
vous gênez pas.
Madame Sroka n'a toutefois pas tort d'affirmer qu'il y a
chez nos artistes un manque d'intérêt pour la question amérindienne. Je ne suis
pas prêt à affirmer que leur situation se compare à celle des Palestiniens. Une
lectrice, Françoise Miquet, faisait d'ailleurs remarquer qu'«il y a 400 ans, le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes était une notion toute relative, et
qu'Israël s'est emparé d'une terre et de ses habitants en 1948, au moment où
les colonies des puissances occidentales étaient en voie de libération.» Le cinéaste Bernard Emond a toutefois fait ce rapprochement dans un documentaire
intitulé La Terre des Autres en 1995.
De son propre aveu, il s'est cassé la gueule avec ce film. Mais je vous invite à
lire ce qu'il en raconte dans un entretien accordé à des chercheurs de la
Chaire René-Malo en stratégies de production culturelle de l'UQAM. C'est assez intéressant.
À lire aussi pour aller plus loin, un texte de Philippe Ducros paru dans Le Devoir en janvier dernier.
Je m'arrête là. Mais, je le redis, bravo et merci à Philippe
Ducros d'avoir fait théâtre utile et de nous donner envie de débattre, de lire,
de réfléchir, de poser des questions. C'est la principale chose à retenir de
toute cette saga. Le théâtre engagé, bête noire du théâtre québécois depuis les
années quatre-vingts, est peut-être en train de revenir en force. Je m'en
réjouis. Et s'il vous plaît, que l'on cesse de taxer chaque prise de position
artistique de propagande haineuse. Il n'en était rien dans ce cas-ci, il me
semble.
Voici des précisions que Philippe Ducros tenait à partager avec vous en ce qui concerne le territoire rejeté par les Palestiniens en 1947:
« Merci pour ton bilan. Juste une réflexion, non pas pour repartir le débat, mais pour clarifier cette histoire de refus de la part des Palestiniens.
Quand on regarde la carte qui était dans le programme de L’AFFICHE, on voit le dit « Plan de partage de l’ONU » dont parle Mme Sroka (vous pouvez le voir en cliquant sur le lien http://2.bp.blogspot.com/_G80h0z6M4os/SXHPY8TvVRI/AAAAAAAAAJk/9hcd8NQF_3Q/s400/carte-territoire-palestinien-depuis-1946.jpg). On voit ce qu’il en était des zones habitées par les Juifs, à l’époque de ce plan de partage. Et ça, c’est après plus de 50 ans de sionisme. En 1890, 650 000 Arabes (musulmans et chrétiens) et 35 000 Juifs vivent en Palestine, partie sud de la Syrie, sous administration ottomane (ces chiffres varient selon les sources, mais la proportion reste plus ou moins la même). Au moment du plan de partage, la population totale de Palestine est composée pour deux tiers d’Arabes et un tiers de Juifs. L’État juif proposé est sensiblement plus grand (55 %) que l’État arabe, dont une très grande part occupée par le désert du Néguev (40 %). C’est donc vrai qu’en 1947 les Palestiniens ont refusé le plan de partage dont parle Mme Sroka. On les comprend. Les Québécois refuserait totalement de donner 55 % de leur territoire à des gens débarqués pour la plupart d’Europe. Personne n’accepterait. On comprend aussi facilement les juifs de vouloir une terre, suite aux pogroms russes, aux massacres européens et à l’horreur de l’holocauste, et de se battre violemment pour l’avoir, cette terre… Mais reste quand même que les Palestiniens se voyaient voler la moitié de leur territoire. On comprend moins les européens et les USA, l’ONU d’avoir donné la terre d’un autre pour y placer les Juifs. C’était une autre époque, une époque d’empires colonialistes. Et maintenant, il reste autour de 10 % de cette terre pour les Palestiniens ? 7 % disent certains ? Entre 48 et 67, la Cisjordanie était sous contrôle de la Jordanie, et Gaza, de l’Égypte. Puis il y a eu la guerre de 67 et Israël a occupé à ce moment-là ces deux régions. La répression militaire et la colonisation ont alors commencé. Voici ladite carte de la progression de ce territoire.
Là, c’est le temps des fêtes et même si le contraste est violent, il faut passer à autre chose. Merci de cet espace de parole qu’est ton PARATHÉÂTRE. »