Comme mon collègue Steve Proulx, j'aime Le Devoir. Pour les
mêmes bonnes raisons. Et je me réjouis de son centenaire, que l'on devrait célébrer haut et fort
ces jours-ci. Pas sur que les célébrations seront à la hauteur du miracle qu'a
constitué et que constitue encore ce journal dans une société comme la nôtre,
dont les élans intellectuels sont souvent freinés par le manque de moyens, la
petitesse du milieu médiatique et
la tendance générale au spectaculaire et à la course aux profits.. Le Devoir est
un formidable résistant, qui mérite des célébrations grandioses.
Mais j'aime aussi Le Devoir parce qu'au Québec, à part
l'exception qu'a constitué Jean St-Hilaire au Soleil, c'est le quotidien qui
valorise le plus la critique d'art et l'exerce de la manière la plus
indépendante, la plus nuancée, la plus sérieuse, la plus fouillée, sans
complaisance et sans complexe. En plus de ne pas tomber dans le piège de
l'enthousiasme comme le font trop de critiques ou de chroniqueurs montréalais à
propos de «l'effervescence du théâtre québécois», les critiques de théâtre du Devoir ont toujours été
(si je ne m'abuse) des gens
compétents, cultivés, plus portés sur l'analyse que sur le
commentaire rapide, en plus de faire preuve de constance et de se dévouer à une
seule discipline avec cœur pendant plusieurs années, au lieu de jouer à la
girouette en passant sans arrêt d'une section à l'autre du journal, comme
l'imposent aujourd'hui trop de médias à leurs critiques et journalistes. Dans l'histoire
récente du quotidien, il y a eu
bien sûr Robert Lévesque, un critique des plus exigents et des plus compétents
malgré les controverses qui ont marqué son passage, et puis Hervé Guay, dont
l'indéniable érudition se lisait dans chaque phrase. Solange Lévesque, jusqu'à
tout récemment, y exerçait de façcon très pointilleuse, cherchant toujours le mot juste et la
plus grande précision. Aujourd'hui, les Marie Labrecque et Luc Boulanger (tous
deux anciens de Voir) y font un travail sérieux et nuancé, comme la recrue Alexandre Cadieux avec
qui, je ne le cacherai pas, je
partage souvent plusieurs opinions et peut-être même une certaine vision de la
pratique du métier, même si tous deux nous sommes encore des critiques en
construction et risquons d'évoluer beaucoup avec l'âge.
A Voir aussi, on fait du bon travail, du très bon même. Mais écrire dans un hebdomadaire gratuit
et indépendant, avec les
contraintes budgétaires et les limites naturelles que cela impose, nous force à rédiger des textes plus courts qui ne peuvent pas
pleinement rivaliser avec les critiques plus fouillées des collègues du Devoir.
Bref,
je lève mon verre à la santé de la critique au Devoir, même si elle n'est pas
parfaite elle non plus et qu'elle est menacée , comme les autres, par les diktats du
marché et le manque d'espace auquel sont confrontés tous les journaux indépendants à revenu précaire.
Chapeau.
C’est ce que plusieurs d’entre nous nous efforçons de faire, je crois, «de se dévouer à une discipline avec cœur pendant des années». C’est de plus en plus difficile.. Chapeau au Devoir! Sa façon de résister aux impératifs publicitaires semble, pour le moment, lui permettre de se tirer d’affaires dans un univers qui change. C’est aujourd’hui au tour de Canwest, le propriétaire de The Gazette, d’éprouver des difficultés financières. Quel va être le sort réservé aux critiques culturels de ce journal, dont le très consciencieux Victor Swobada, qui y couvre la danse. Les journaux sont un investissement parmi tant d’autres lorsqu’ils appartiennent à des conglomérats. La qualité du contenu devient parfois secondaire… Et ces orientations ne sont certainement pas toujours dictées par les chefs de pupitre, souvent pris eux aussi dans le tourbillon. Je salue au passage mon amie Frédérique Doyon (signature de l’article présenté), qui a commencé, comme moi, sa carrière à la radio communautaire, puis à La Presse, avant d’aller rejoindre l’équipe du Devoir. Elle y a, entre autres, bénéficié des conseils d’excellents mentors.